La communauté universitaire est concernée par le différend qui oppose actuellement M. Luc Ferry à l’université Paris-Diderot. Elle s’inquiète des conséquences très négatives que son traitement médiatique peut avoir sur l’image des universitaires français.
M. Luc Ferry, professeur des universités, et ancien ministre de l’Education nationale (2002-2004), se voit reprocher par son université d’appartenance (Paris-Diderot) d’avoir touché son traitement durant l’année 2010-2011, sans avoir assuré son service d’enseignant-chercheur. Il se défend en estimant qu’il exerce ses fonctions au Conseil d’analyse de la société (CAS), qui dépend du Premier ministre et auprès duquel il a été en effet détaché durant six ans (2004-2010). Mais, selon les faits rapportés par la presse, son université a refusé à l’automne 2010 de prolonger ce détachement et elle lui a rappelé à plusieurs reprises, et en vain, qu’il devait reprendre son service. Laissant de côté la discussion de la solution administrative envisagée pour régulariser cette situation, ainsi que toute personnalisation polémique, QSF entend faire trois observations.
1/ Cette affaire permet de saisir les implications considérables de la loi LRU sur la gestion du personnel par les universités. Celles-ci, qui sont responsables de leur masse salariale, sont désormais obligées de surveiller de près son affectation, tant cette part de leur budget pèse sur leur fonctionnement. Cette rigueur gestionnaire est nouvelle, de sorte que les arrangements entre présidents d’université et gouvernement ne sont plus possibles. M. Ferry en fait l’expérience. Le fait que cela tombe sur un ancien ministre de l’Éducation donne du relief à cette affaire, mais il est évident que sa portée déborde ce seul cas.
2/ M. Ferry se défend en faisant valoir qu’une dizaine de milliers d’enseignants se trouvent dans sa situation. Mais il englobe dans ses chiffres les enseignants du secondaire et ceux du supérieur. En réalité, sa situation n’est pas comparable à celle des nombreux enseignants-chercheurs qui, sous forme de délégation, mise à disposition ou détachement, servent l’État dans d’autres administrations que l’enseignement supérieur (CNRS, ministères, institutions françaises à l’étranger, etc.). De source ministérielle, ils seraient actuellement autour de huit cents délégués et mis à disposition. Si l’on ajoute les détachés, le chiffre dépasserait le millier. On peut discuter au cas par cas l’intérêt public de leurs fonctions, mais il est évident qu’on ne doit pas considérer ces situations comme des privilèges indus. Elles témoignent de la nécessaire mobilité dans la haute fonction publique à laquelle est censé appartenir un professeur des universités.
Néanmoins, le problème se pose de l’usage abusif que les gouvernements ont parfois fait de ces procédures (délégation, mise à disposition, détachement, etc.), pour fournir à des anciens ministres ou autres responsables de commodes sinécures. Il devient nécessaire et urgent de discuter de la place respective que doivent désormais avoir des procédures différentes comme la délégation, la mise à disposition et le détachement, et surtout de clarifier les règles pour que l’on sache quelles sont les responsabilités qui donnent droit à de telles positions administratives.
3/ Si QSF souhaite faire entendre sa voix dans cette affaire, c’est enfin et surtout parce que cette polémique risque de nuire gravement à l’image des universitaires auprès de l’opinion. À l’heure où certains membres du gouvernement veulent faire travailler quelques heures les bénéficiaires du RSA au motif qu’ils seraient des assistés, l’information suivant laquelle un professeur des universités est rémunéré sans faire son service peut donner à l’opinion publique une image très négative de l’universitaire.
M. Ferry conçoit et décrit son travail universitaire comme la simple dispensation d’un certain nombre d’heures de cours, et les journaux ne contestent pas cette représentation. Certes, les cours sont essentiels, mais toutes les autres tâches disparaissent de la discussion actuelle dans les médias. Où est passée la recherche, sans laquelle les cours universitaires n’auraient pas de sens ? Où sont passés le contrôle des connaissances, la direction du travail des étudiants (mémoires, thèses), la gestion de la scolarité, les projets de formation, l’application des innombrables réformes, l’animation des centres de recherche, les projets ANR, les échanges internationaux, les commissions de recrutement, d’évaluation, etc. ?
Il est grand temps que les universitaires apprennent à donner une image juste et complète de leur travail, sans quoi l’opinion continuera à le connaître uniquement à travers des cas atypiques.