Le recrutement local pratique consistant à privilégier systématiquement au moment des recrutements en qualité de maître de conférences ou de professeur des candidats déjà en poste au sein de l’établissement, même dans l’hypothèse où des candidats dits « extérieurs » justifieraient le cas échéant de dossiers scientifiques manifestement plus étoffés, est hélas une pratique ancienne.
Q.S.F., qui se refuse à accepter ou cautionner cette attitude contraire aux exigences du principe d’égal accès aux emplois publics, considérant que les seuls critères valables sont ceux posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (qui affirme que la capacité doit primer sans autre distinction que celle des vertus et des talents, art. 6), entend une nouvelle fois alerter les pouvoirs publics et la communauté académique sur ce fléau, qui sape la légitimité des universités et des universitaires, et dénoncer les risques ouverts par la L.R.U. sur ce point.
Alors même que le législateur avait en 2007 pour ambition revendiquée de remettre en cause le localisme (en remplaçant les commissions de spécialistes par les comités de sélection, composés pour moitié au moins de membres extérieurs à l’établissement), on constate malheureusement que ces pratiques perdurent, voire se développent, et que les juges, qui connaissent mal le monde universitaire, ont adopté des positions qui s’avèrent favorables au localisme.
Certes, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont semblé s’opposer à cette dérive en procédant à une forme de réécriture contentieuse de la L.R.U. (Cons. const., 6 août 2010, déc. n°2010-20/21 QPC ; C.E., 15 décembre 2010, SNESUP-FSU et autres, req. n°316.927) et en affirmant à cette occasion que le jury des concours de recrutement n’était pas le conseil d’administration (comme l’avaient envisagé les rédacteurs de la loi) mais le comité de sélection. Il en découle notamment, conséquence qui n’est assurément pas négligeable, que le conseil d’administration, lorsque le comité de sélection lui a transmis une liste de candidats classés par ordre de préférence, ne peut pas remettre en cause ce classement et le modifier (C.E., 26 octobre 2011, D., req. n°334.084).
Mais tant le Conseil constitutionnel que le Conseil d’Etat ont laissé subsister deux outils juridiques permettant aux élus de l’établissement de s’opposer au choix du comité de sélection : le droit de veto du président (art. L.712-2 du code de l’éducation) ; le pouvoir du conseil d’administration siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé de bloquer la procédure en refusant de transmettre au ministre compétent le nom du candidat dont il propose la nomination ou une liste de candidats classés par ordre de préférence (art. L.952-6-1 du code de l’éducation).
Une lecture rapide de la jurisprudence pourrait rassurer, dès lors que ces deux pouvoirs semblent encadrés :
- Le Conseil constitutionnel a en effet précisé que « le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs s’oppose à ce que le président de l’université fonde son appréciation sur des motifs étrangers à l’administration de l’université et, en particulier, sur la qualification scientifique des candidats retenus à l’issue de la procédure de sélection » ;
- Le Conseil d’Etat a non seulement mis en œuvre la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel relative au pouvoir de veto du président mais a également indiqué qu’ « il incombe au conseil d’administration d’apprécier l’adéquation des candidatures à la stratégie de l’établissement, sans remettre en cause l’appréciation des mérites scientifiques des candidats retenus par le comité de sélection ».
Il semble donc résulter de ces décisions une césure claire entre les appréciations scientifiques, où le comité de sélection est souverain, et celles relatives à l’administration de l’université et à la stratégie de l’établissement, où le président et le conseil d’administration peuvent faire obstacle à la proposition formulée par le jury.
On pourrait ainsi avoir le sentiment, à s’en tenir à ces principes, qu’un équilibre a été trouvé entre les exigences de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et plus largement ce que l’on nomme les libertés académiques (en particulier le principe d’indépendance et ses différentes déclinaisons) d’une part, et la logique de l’autonomie des établissements d’autre part.
Cet équilibre est cependant grandement menacé par le caractère très plastique et trop subjectif des notions de motifs tirés de l’administration de l’Université (justifiant le veto présidentiel) et de stratégie de l’établissement (qui peut fonder l’opposition du conseil d’administration) qui permettent en pratique aux organes universitaires de s’opposer à des comités de sélection privilégiant la compétence scientifique sur l’origine géographique des candidats.
Evidemment, un président qui motiverait son veto en affirmant qu’il refuse de nommer M. X. parce qu’il vient d’une autre Université, ou un conseil d’administration qui reconnaîtrait s’opposer à la nomination de M. Y au motif qu’il n’appartient pas à un centre de recherche de l’Université, seraient très probablement censurés par le juge administratif.
Il en irait de même s’ils prétendaient ouvertement substituer leur appréciation sur les qualifications scientifiques des candidats à celles du comité de sélection (V. ainsi C.E., 9 février 2011, A., req. n°329.584 ; C.E., 14 octobre 2011, A., req. n°341.103).
En revanche, un chef d’établissement qui oppose son veto à une nomination au motif que « le profil de recherche retenu pour cet emploi n’avait pas permis, en raison d’une définition trop large, une bonne compréhension des priorités scientifiques du laboratoire, ni de déterminer celle des équipes qu’il convenait de renforcer, par un tel recrutement » (C.E., 5 décembre 2011, M. El Kamel, req. n°333.809) ne commet aucune illégalité.
Tout connaisseur du monde universitaire ne pourra que s’étonner de cette solution pour des raisons qui ont été parfaitement résumées : « en faisant même abstraction de ce que la définition des emplois relève du conseil d’administration (art. L.712-3 C. éduc.), c’est donner ainsi au président le pouvoir de définir voire de rectifier la définition d’un emploi à un niveau de précision qui lui permet en fait de prédésigner le ou les quelques candidats qui peuvent seuls prétendre entrer dans le costume qui leur est taillé. On est loin de la « stratégie de l’établissement ». N’est-ce pas faire la part trop belle aux préoccupations des nouveaux « managers » de l’université aux dépens du respect du principe d’indépendance des enseignants-chercheurs ? » (Yves Jégouzo, Autonomie universitaire versus libertés académiques, A.J.D.A., 2011, p.2497).
Poser cette question revient évidemment à y répondre et à regretter que le juge administratif donne ainsi aux tenants du « localisme », en confirmant ici une nouvelle fois sa profonde méconnaissance du droit universitaire (M. Keller, rapporteur public dans l’affaire jugée le 5 décembre 2012, affirme à cet égard que « c’est le ministre qui définit le profil du poste » alors même que, si c’est bien le ministère qui publie le poste, son profilage est en pratique très généralement décidé au niveau local), des outils juridiques leur permettant de maquiller des oppositions fondées sur l’échec d’un candidat local (pour qui ils avaient ouvert l’emploi, croyant que son recrutement serait une formalité) ou sur des oppositions de personnes au sein de l’établissement, oppositions dont des candidats extérieurs font régulièrement les frais.
On ajoutera enfin que les comités de sélection eux-mêmes ne sont trop souvent qu’un obstacle bien limité aux tentations localistes, leur composition étant déterminée, après avis du conseil scientifique, par le conseil d’administration sur proposition du président (art. L.952-6-1 du code de l’éducation).
A l’heure où des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche sont annoncées, on ne peut que souhaiter que la question essentielle des modes de recrutements des universitaires constitue un volet important de ces réflexions. En effet, bien loin d’avoir réduit les risques de localisme comme le prétendaient ses promoteurs, la L.R.U. a aggravé une situation déjà critiquable. Rien ne saurait donc pire que de considérer que, sur cette question, la loi de 2007 n’a pas à être réformée.