Après avoir pris connaissance du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche (faisant suite à la concertation lancée par les « Assises » et au rapport du député Le Déaut), et après avoir été informé par la presse des dernières modifications qui auraient été apportées à ce projet, QSF entend faire les observations suivantes, qui ne recouvrent pas cependant l’intégralité des mesures contenues dans ce long texte (55 articles), dont certaines – en particulier la reconnaissance du diplôme de doctorat – sont fort bienvenues [1].
I – La première impression, qui ressort nettement de ce projet, est qu’il est moins ambitieux qu’on pourrait l’espérer. Si l’on veut vraiment, comme le propose le rapport Le Déaut, « refonder l’université et dynamiser la recherche », il faut des réformes qui soient à la hauteur de cette ambition. Par ailleurs, la rupture de ce projet de texte avec la loi LRU n’est pas toujours évidente, alors que le monde académique s’accorde à reconnaître que cette loi avait des défauts de construction manifestes.
En effet, ce projet de loi n’aborde pas les deux questions décisives pour une véritable refondation des universités françaises.
Tout d’abord, le projet de loi ne s’attaque pas à cette aberration selon laquelle, contrairement aux segments « nobles » de l’enseignement supérieur, les universités n’ont pas le droit de contrôler l’accès des bacheliers à leurs établissements. Cette absence de sélection à l’entrée ou d’orientation sélective, est le verrou du système qui empêche toute réforme sérieuse et ambitieuse des universités françaises. En escamotant ce problème et en poursuivant cette politique aveugle et irrationnelle, l’actuel gouvernement ne peut pas prétendre se donner les moyens de refonder l’université française.
Néanmoins, il convient de reconnaître un changement appréciable, qui semble aller dans la direction souhaitée par QSF : le projet de loi prévoit d’orienter les bacheliers technologiques et professionnels vers leur destination naturelle, à savoir les BTS et les IUT, en leur accordant une priorité d’accès (art. L 612-4). Cette réforme mérite d’être saluée à sa juste valeur, car elle prend acte des raisons principales de l’échec en licence à l’université, qui tient moins à une prétendue faiblesse du système ou des enseignants qu’à une mauvaise orientation des étudiants.
Par ailleurs, le projet de loi est totalement muet sur la question du financement des universités. En ces temps de restrictions budgétaires, une des rares ressources possibles est l’augmentation, fût elle-minime dans certains cas, des droits d’inscription, sous condition de ressources, et assortis d’une vraie politique de bourses. On aurait pu attendre d’une loi qui se veut ambitieuse qu’elle reconnaisse aux universités une véritable autonomie dans l’élaboration de leurs ressources budgétaires.
De même, alors que le rapport Le Déaut proposait de fixer dans la loi le fait que tout transfert de charges de l’État aux universités devait être automatiquement accompagné d’une compensation financière au profit de celles-ci, l’actuel projet de loi n’en fait pas mention. Il convient pourtant de rappeler que si la loi LRU fut si mal accueillie par les universitaires, c’est aussi parce qu’elle a surtout consisté en un transfert de charges aux universités, notamment par la masse salariale, qui s’est révélé désavantageux pour les établissements universitaires, désormais ligotés par des dépenses qu’ils ne peuvent maîtriser et privés des recettes correspondantes.
Par ailleurs, on peut regretter que, sur de nombreux points, l’actuel projet de loi ne rompe pas avec certaines dispositions très contestables de la loi LRU. C’est ainsi que la concentration du pouvoir gestionnaire et du pouvoir académique, constamment dénoncée par QSF, demeure en partie présente dans ce projet de loi. Le président de l’université conserve le pouvoir discrétionnaire de s’opposer à un recrutement décidé par les instances compétentes. De manière plus générale, les dispositions relatives au recrutement des universitaires sont peu modifiées par le projet de loi, alors qu’elles ont fait l’objet de critiques récurrentes, y compris de la part du Conseil d’État.
II – Ce projet de loi peut apparaître comme étant à maints égards régressif à l’égard de l’autonomie des universités, principe que QSF a toujours défendu.
La volonté affirmée par la ministre et par le rapport Le Déaut d’un « État stratège » fait craindre le retour de l’État dirigiste et risque de malmener fortement l’autonomie. On peut en effet craindre qu’au nom de la défense de « la cohésion nationale » (rapport Le Déaut), le projet de loi soit porteur d’une uniformisation entre toutes les universités, qui aboutirait à réduire très sérieusement leurs marges de manœuvre.
L’exemple le plus manifeste de ce dirigisme est la parité imposée pour la composition des conseils élus des universités (art. L 719-1, p. 31) On peut aussi légitimement s’inquiéter du risque d’interventionnisme étatique dans l’incidente ajoutée dans l’article L 712-3, IV, selon lequel le Conseil d’administration aurait pour compétence la répartition des emplois, « dans le respect des priorités nationales ». Cette dernière formule est ambiguë, car même si l’on prétend qu’elle aurait pour but de protéger des disciplines menacées par la baisse des étudiants, elle pourrait servir à d’autres fins si elle n’est pas précisée. Par ailleurs, les disciplines menacées ne sont pas les mêmes d’une université à l’autre, de sorte qu’il est très difficile dans ces conditions de déterminer des « priorités nationales ».
QSF est hostile à ce que l’État impose aux universités une stratégie nationale de recrutement. L’université, qui est déjà empêchée de choisir ses étudiants, ne serait pas non plus maître du recrutement de ses enseignants-chercheurs.
III – En ce qui concerne la rénovation de la gouvernance des universités, QSF a une position partagée.
Il est vrai que certaines propositions rompent avec la loi LRU et tirent les leçons de la pratique. C’est notamment le cas de la suppression de la prime majoritaire au profit de la liste arrivée première et son remplacement par une mini-prime majoritaire, qui, à la différence de la précédente, garantit la représentation de la liste minoritaire. C’est aussi le cas des dispositions relatives au mandat du président, réduit de cinq à quatre à ans, ou du fait que les personnalités extérieures élisent le futur président. L’idée de prévoir un président du Conseil académique, qui ne serait pas le président d’université, est séduisante ; on peut espérer que le lobbying de la CPU ne remettra pas en cause cette disposition, qui peut laisser espérer, si les compétences des deux conseils sont bien définies, un meilleur équilibre des pouvoirs. QSF est également favorable à la proposition d’un « conseil de directeurs des composantes » (art L713-1). Cette option statutaire peut se révéler utile, notamment dans le cas de « grosses » universités issues de la fusion d’anciennes universités.
QSF est en revanche hostile à l’extension du nombre de membres du CA qui, pour être un organe de décision efficace, doit fonctionner avec un nombre réduit de membres.
QSF manifeste également une véritable inquiétude pour la principale innovation statutaire de ce projet de loi : le Conseil académique, qui reprend en partie – mais en partie seulement – l’idée d’un « Sénat académique » que QSF recommande depuis longtemps. Ce conseil est censé fusionner les compétences de l’ancien Conseil scientifique et de l’ancien Conseil des études et de la vie universitaires (CEVU). Si le souhait d’avoir une instance représentative qui réunit la formation et la recherche est théoriquement louable, les modalités pratiques envisagées pour ce Conseil académique ne sont pas acceptables et dénaturent l’idée initiale.
La composition du Conseil académique est trop nombreuse pour qu’il soit envisageable qu’il puisse délibérer correctement sur des décisions aussi importantes que celles que lui attribue le projet de loi. Sur ce point, QSF regrette le fait que les enseignants-chercheurs soient en minorité dans une telle instance. Il est démagogique de laisser croire que les étudiants – à l’exception des doctorants – auraient une quelconque compétence pour donner leur avis sur la politique de la recherche et sur la qualification des emplois scientifiques (qui relèveraient des compétences de ce Conseil). Bref, les modalités fixant la composition de ce Conseil académique contredisent l’idée selon laquelle il devrait être une instance éclairée de décision et laissent craindre des conflits de compétences avec le Conseil d’administration.
Par ailleurs, le texte relatif à sa composition est encore trop flou. Il prévoit par exemple qu’un quart des membres de ce Conseil académique soit formé par « les représentants des composantes », (L.712-4), sans que le statut de ces représentants soit fixé.
Le projet de loi initial prévoyait que le Conseil académique pouvait être organisé en deux sections par une décision propre à l’université (art L 712-IV). La CPU vient d’annoncer que la nouvelle version tiendrait compte de la proposition du rapport Le Déaut, selon laquelle la loi reconnaîtrait aux universités la liberté de choisir le système de conseils qu’il leur conviendrait le mieux : soit la fusion du conseil scientifique et du CEVU en un Conseil académique, soit leur maintien comme deux instances séparées, mais avec la possibilité d’une réunion périodique en un Conseil académique (organe alors non permanent). QSF voit là une bonne évolution.
Enfin, QSF tient à manifester son opposition à la parité pour la composition de tous les conseils élus (art L 719-1) et conteste le prétendu devoir d’exemplarité des universités dans ce domaine, que vient de mettre en avant la CPU, en contredisant le principe de collégialité académique. Une telle disposition présuppose que les conseils universitaires seraient passibles du même traitement que les assemblées politiques et seraient soumis à l’impératif de représentativité. QSF rappelle que c’est le principe de la collégialité académique qui caractérise l’université et non le principe démocratique. Les universitaires élisent des collègues non en raison de leur sexe, mais sur le seul critère de leurs compétences et de leurs secteurs disciplinaires. Il est aisé de constater que même la composition des cabinets ministériels (y compris du MESR), formés pourtant de membres nommés, ne respecte pas ce principe de parité et semble obéir plutôt à cette logique de compétence. Impolitique, cette mesure est aussi impossible à réaliser dans les circonstances actuelles. QSF se borne à rappeler son commentaire de la proposition des assises relative à ce point : « l’obligation d’une parité femmes/hommes dans les listes électorales, ne garantit pas d’ailleurs une parité parmi les élus. Une telle parité dans des universités ayant souvent un corps électoral restreint, par conséquent un vivier de candidats encore plus limité, signifierait obliger dans certains cas des femmes qui ne le souhaiteraient pas à être candidates contre leur gré. Elle pourrait également pénaliser la présentation de listes, qui seraient dans l’incapacité d’avoir un nombre suffisant de candidates ; elle renforcerait enfin le rôle des organisations syndicales, seules capables sans doute d’“organiser” une telle parité, en biaisant le concept de collégialité académique et en transformant en particulier le conseil scientifique en un organisme ne représentant plus les compétences disciplinaires mais l’obédience syndicale. »
IV – Concernant la restructuration du paysage institutionnel universitaire et plus particulièrement la transformation des PRES en « communautés d’universités », QSF regrette que le projet de loi ne simplifie pas assez l’actuel panorama des sigles et ne différencie pas les solutions concernant les universités pluridisciplinaires par rapport aux établissements monodisciplinaires. La question de l’architecture globale du système universitaire est complexe. QSF estime qu’une solution uniforme ne correspond ni à la réalité historique des universités françaises – l’Île de France ne peut pas être traitée comme d’autres régions – ni à leurs besoins. La fusion des universités doit pouvoir être étudiée au cas par cas. QSF ne peut pas ne pas remarquer qu’au moment où l’on insiste sur une réelle autonomie des universités, on imagine des cadres nationaux de plus en plus contraignants.
QSF est en revanche favorable à une disparition progressive du statut dérogatoire de Grand Établissement, à la condition que l’on permette à toutes les universités de bénéficier du droit de sélectionner et d’orienter ses étudiants à l’entrée.
V – La proposition de remplacement de l’AERES par le Haut Conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, dont le statut et le rôle sont fixés par le nouvel article L 114-3-1 (code recherche), y compris dans la dernière version ministérielle, ne satisfait pas entièrement QSF qui, dans sa Note publiée sur son site le 21 janvier dernier, a relevé les impasses de l’ancien système avec lequel le projet de loi ne rompt pas suffisamment: http://www.qsf.fr/2013/01/20/note-de-qsf-sur-levaluation-pour-une-autre-reforme-de-levaluation-de-la-recherche-et-de-lenseignement-superieur/
Une vraie réforme, c’est autre chose qu’un toilettage ou un changement de nom, qui risque de coûter selon certaines estimations environ un million d’euros. On ne peut qu’être sceptique face au remplacement de l’AERES par un Haut Conseil de l’évaluation, dont la mission ne serait plus directement l’évaluation, mais la « validation des évaluations ». Une telle solution, qui est le résultat d’un compromis entre syndicats, administration et organismes, ne répond pas aux questions de principe que QSF a soulevées dans la Note citée.
QSF rappelle que l’AERES ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Bien plus que l’agence d’évaluation, c’est l’organisation même de la recherche qu’il faut transformer pour donner aux chercheurs individuels la place légitime qui leur revient dans les domaines scientifiques où le travail collectif n’est pas la norme.
VI – Un mot s’impose sur les mesures concernant l’enseignement en ligne. QSF n’est pas hostile par principe aux Massive Open Online Courses (MOOC’s) expérimentés dans les universités américaines, mais rappelle qu’il est impossible de transposer ce genre de solution dans nos établissements sans tenir compte des spécificités disciplinaires – un séminaire en ligne de philologie ou d’archéologie paraît plus problématique qu’un séminaire sur les intelligences artificielles – et en feignant d’oublier que les budgets de nos universités ne sont en rien comparables à celui de Stanford. Un tel projet ne saurait se faire sur le principe d’un bénévolat, ou d’une rémunération symbolique des enseignants — dont certains vont, du fait de la diminution du nombre des masters, se trouver dans une situation de sous-service. La loi devrait se borner à prévoir une expérimentation dans certaines universités volontaires au lieu de fixer un programme dont la réalisation et les résultats risquent d’être très aléatoires.
S’il s’avérait exact que la ministre aurait fait modifier le projet de loi en raison de l’opposition de la CPU à certaines de ses dispositions, QSF manifesterait son inquiétude de voir le Gouvernement si facilement céder aux revendications de la CPU. Celle-ci, qui est très prompte à défendre les intérêts des présidents d’université, a déjà été coresponsable de l’élaboration de la loi LRU, négociée en amont par le ministère avec la CPU et quelques syndicats (notamment l’UNEF). Un tel précédent devrait valoir comme avertissement pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
[1] Les présentes observations portent principalement sur la version du 15 janvier 2013 communiquée aux organisations représentatives. Lorsqu’il y a un changement annoncé par la presse, nous le mentionnons sous réserve, faute d’avoir un texte faisant foi.