L’intégrité scientifique :
une garantie épistémologique et déontologique à construire ensemble
« Telle est la raison pour laquelle certains pensent que le législateur a le devoir, d’une part, d’inviter les hommes à la vertu et de les exhorter en vue du bien, dans l’espoir d’être entendu de ceux qui, grâce aux habitudes acquises, ont déjà été amenés à la vertu ; et, d’autre part, d’imposer à ceux qui sont désobéissants et d’une nature par trop ingrate, des punitions et des châtiments, et de rejeter totalement les incorrigibles hors de la cité. »
Aristote, Éthique à Nicomaque (1180 a 4–10)
Note liminaire
La recherche a été souvent définie comme l’ensemble des actions entreprises en vue de produire et de développer les connaissances scientifiques. L’histoire des sciences prouve cependant que les chercheurs ne sont pas à l’abri de l’erreur. La recherche peut même se nourrir des erreurs voire des errements des chercheurs. Il y a une vertu de l’erreur. L’erreur a été dans quelques cas une porte qui a donné accès à une connaissance qui, autrement, serait restée inaccessible. En témoignent des dizaines de découvertes regroupées sous le concept de « sérendipité ».
Il faut cependant distinguer l’erreur de la faute, qui implique un manquement conscient. Dans ce domaine, il convient de séparer la faute de la fraude, qui ajoute au manquement l’intention de tromper en vue d’en tirer un bénéfice[1]. Le but de la fraude, dont la faute peut être une sorte de cause efficiente, est donc aux antipodes de la mission de la recherche, qu’elle pervertit dans son essence et dans sa vocation. Mais elle lui est comme consubstantielle. En effet, la finalité de la recherche est de « produire et développer des connaissances scientifiques », elle détermine un objectif qui peut inciter certains chercheurs à mettre en œuvre tous les moyens permettant la réalisation d’une mission où semblent se confondre intérêt collectif et bénéfice individuel. La noble finalité du processus cognitif semble alors justifier les moyens de parvenir à des résultats originaux dignes des efforts produits. Un chercheur qui ne trouve pas, qui ne produit pas une connaissance nouvelle, peut être considéré, et donc se considérer, comme un chercheur inutile qui gaspille l’argent public et ne remplit pas sa mission. Cela explique pourquoi la fraude scientifique est presque aussi ancienne que la recherche. De Galilée à Newton, jusqu’à l’archéologue japonais Shinichi Fujimura, enterrant lui-même sur des sites de fouilles des objets de sa collection personnelle, nombreux sont les savants qui ont été accusés d’avoir inventé, falsifié ou copié les résultats de leurs recherches. Si l’art peut se nourrir de la contrefaçon ou du plagiat et le sublimer jusqu’à en faire un chef-d’œuvre – que l’on pense à Pierre Menard, autor del Quijote –, la recherche ne peut qu’y perdre sa raison d’être et sa gratuité épistémique, origine et fin ultime de la connaissance.
L’émergence d’une conscience de l’intégrité scientifique
Or si l’on s’intéresse autant depuis une vingtaine d’années à la question de l’intégrité scientifique, c’est que la conscience de la rigueur méthodologique et déontologique qu’exige la production de connaissances nouvelles s’est développée dans tous les milieux scientifiques et, de manière inégale, dans tous les domaines disciplinaires, devenant une conditio sine qua non de la recherche. Désormais, l’intégrité du processus scientifique est non seulement une exigence à la fois téléologique et déontologique du savoir, mais une réponse à la requête de transparence qui émane de la société de l’information. L’apparition de blogs et de sites, tel qu’Internet PubPeer, consacrés à l’intégrité scientifique en est une parfaite illustration.
Cette nouvelle conscience d’une normativité globale et partagée – avec tous les risques que l’uniformisation des modèles de recherche, et donc d’intégrité scientifique, peut comporter – est le résultat à la fois d’une croissance exponentielle de la recherche scientifique (de ses acteurs et de ses productions) et de la dimension de plus en plus collective, notamment dans les sciences, de la production des connaissances. Elle est due aussi à une forme de “mondialisation” du savoir qui fait de la connaissance un bien universel, ouvert non seulement à l’ensemble des acteurs de la communauté scientifique mais partagé et consommé par l’humanité tout entière. Levier des esprits, fondement d’une nouvelle économie, la recherche doit s’inspirer d’une éthique du vrai, qui est à la fois un discours de la méthode et un idéal moral. Le défi est à la hauteur de l’enjeu.
La place que la science et la recherche occupent dans la réalité et l’imaginaire explique et justifie donc que l’on exige d’elle rigueur et transparence. C’est la nécessaire rançon d’une centralité sans équivalent de la science dans l’histoire de l’humanité, comme le rappelait déjà Karl Jaspers : « La science moderne est un phénomène dont on chercherait en vain l’équivalent dans toute l’histoire de l’humanité ; elle est propre à l’Occident [qui] a donné le signal de l’essor intellectuel, technique et sociologique, entraînant toute l’humanité dans son sillage[2]. » La science est désormais porteuse de valeurs morales et éthiques ainsi que d’une espérance collective qui l’obligent et qui en constituent le soubassement théorique et le cadre public. La pureté, la rationalité et l’exemplarité de ses méthodes et de ses pratiques s’imposent aussi bien aux individus qui en sont les acteurs qu’à la communauté scientifique qui en est à la fois le destinataire premier et le médiateur public. C’est ce que soulignait Cédric Villani, en conclusion du colloque consacré à l’intégrité scientifique en 2016 à l’université de Bordeaux : « nous devons reprendre inlassablement les questions éthiques, les transmettre et les enseigner, pour préserver notre cohésion, notre efficacité, notre réputation et par là même l’attractivité de nos métiers et leur impact auprès de la société. » Finalité, règles et valeurs sociales de la recherche sont indissolublement liées pour le savant d’aujourd’hui. Recherche et science sont un tout, et ce tout désormais nous concerne tous.
La communauté scientifique ne s’est cependant pas encore dotée des instruments épistémologiques, normatifs et institutionnels qui permettent de réaliser ces conditions. S’il est capital d’exhorter les chercheurs à la mise en œuvre des bonnes pratiques, au respect d’un protocole rigoureux de production et de diffusion de leurs travaux, il est tout aussi essentiel, comme le rappelle le philosophe dans le texte qui est en ouverture de ces pages, de favoriser l’essor de la “vertu scientifique” en imposant à ceux qui ne s’y conforment pas des sanctions qui soient en adéquation avec la gravité des actes frauduleux dont ils seraient convaincus. Cela ne sera possible que si une procédure claire et commune à tous les acteurs de la recherche est définie et mise en œuvre. Elle aura pour fonction de garantir à la fois la “traçabilité” et la crédibilité des résultats ainsi que le droit à la contradiction et à la défense pour les chercheurs qui seraient accusés de fraude.
Vingt-cinq ans de chartes et textes sur l’intégrité scientifique
Depuis vingt-cinq ans, on ne compte plus les textes règlementaires, les comités d’éthique (notamment auprès des organismes de recherche, CNRS et INSERM en premier lieu), les chartes, les rapports, les colloques qui se sont succédé sur la question de l’intégrité scientifique[3]. La formulation même d’intégrité scientifique remonte à l’un des premiers actes importants dans ce domaine, la création aux États-Unis, en 1992, de l’Office of Research Integrity.
Ces nombreux textes, notamment la Charte européenne du chercheur, le Singapore statement on research integrity et l’European code of conduct for research integrity ont défini les principes d’autonomie de la science et d’éthique dans la recherche. Réunissant dans un même document les grandes lignes qui ont inspiré les différentes chartes internationales, le Rapport de Pierre Corvol, Pour la mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique, a dressé une liste de seize propositions qui devraient permettre une application claire et rigoureuse de la charte d’intégrité scientifique. Ce rapport, qui aborde également des questions moins consensuelles, concernant notamment le libre accès aux publications[4], a le mérite de formuler des recommandations opérationnelles et d’évoquer la nécessité de la définition d’une procédure nationale, avec ses règles, ses sanctions et ses modalités disciplinaires (propositions n° 11 et 14).
La vertu scientifique est une pratique à diffuser et à partager mais aussi un bien à protéger à travers une procédure de saisine clairement définie, une jurisprudence commune et une nécessaire distinction entre responsabilité individuelle et évaluation des politiques d’intégrité mises en œuvre par l’ensemble des institutions qui gouvernent l’espace de l’enseignement supérieur et de la recherche (proposition n° 10 du Rapport Corvol). Avant de devenir un critère essentiel de la déontologie scientifique et de l’économie de la connaissance, l’intégrité scientifique est d’abord et avant tout une affaire de responsabilité individuelle.
Responsabilité individuelle et procédure nationale
Or l’intégrité est selon la définition qu’en donne le Trésor de la langue française la « qualité d’une personne intègre, incorruptible, dont la conduite et les actes sont irréprochables » ; elle s’attache prioritairement à l’individu avant de désigner une vertu collective, un comportement collégial. Le manquement à l’intégrité scientifique appelle des sanctions individuelles, qui ne peuvent être prises que dans le cadre du respect de normes procédurales garantissant la confrontation des positions, une instruction à charge et à décharge, les droits de la défense, une typologie et une gradation des sanctions[5].
Toute peine ne peut être prononcée qu’à l’issue d’une procédure juste et équitable. On risque autrement de passer de l’absence de sanctions à l’abus disciplinaire.
Si l’on veut échapper à la judiciarisation des affaires de fraude scientifique, qui empoisonnent la vie de la communauté des chercheurs, ont un impact très négatif sur l’image de la science et diminuent la crédibilité des résultats, favorisant au passage la tentation d’une remise en question des savoirs scientifiques, il faut doter le monde de la recherche d’une procédure juridique et administrative qui respecte les libertés académiques et qui permette à la communauté scientifique de s’auto-discipliner en sanctionnant de manière adéquate l’un des siens, dès lors qu’un manquement est prouvé. Sinon les libertés académiques apparaîtront comme un privilège, comme une garantie d’impunité pour une communauté universitaire tentée par le corporatisme. Alors, les affaires de fraude scientifique se termineront de plus en plus souvent devant les tribunaux et aboutiront à des sanctions pécuniaires qui ne satisferont pas les éventuelles victimes, ne contribueront pas au respect et à la diffusion de l’éthique scientifique et ne créeront, souvent, aucun véritable préjudice aux fraudeurs. La véritable sanction pour un fraudeur vient du jugement de ses pairs et des conséquences qu’il peut avoir pour son image scientifique. Comme le suggérait Jean-Pierre Alix dans son rapport de 2010 (supra n. 3), la sanction doit « dissuader les fraudeurs potentiels, être en cohérence avec la loi, s’appuyer sur la qualité de l’enquête, l’homogénéité [du processus], la confidentialité du traitement, la responsabilité de la décision », et, ajouterais-je, une publicité juste et proportionnée de la sanction prononcée.
Le gouvernement de la recherche et la séparation des pouvoirs
Une procédure nationale implique une séparation claire des pouvoirs universitaires. Le pouvoir disciplinaire doit être indépendant du pouvoir exécutif (le conseil d’administration et le président d’université ou d’organisme). Sans une telle séparation le risque d’abus, de conflits d’intérêts, de règlements de comptes, de pressions économiques ou politiques, rendra peu crédible et peu efficace la répression des fraudes scientifiques.
Dans chaque organisme, dans chaque université, la mission de l’action disciplinaire doit être confiée à une autorité indépendante du gouvernement de la recherche. Les règles de fonctionnement et de saisine de cette autorité ainsi que les moyens de protection des pressions doivent être fixées sur un plan national[6], en tenant compte pour les universités de l’instance d’appel que représente le CNESER disciplinaire, que les différents rapports semblent oublier.
L’exemple du CNESER disciplinaire est intéressant également en ce qui concerne le comportement des conseils disciplinaires des universités. Alors que les cas de fraude scientifique jugés par les tribunaux se sont multipliés dans les dernières années, entre 2011 et 2015 le CNESER disciplinaire, qui, on le rappelle, est une instance d’appel, n’a été saisi que d’un seul cas de fraude scientifique. Cela signifie que les présidents d’université, qui ont seuls le pouvoir d’engager des poursuites et de transmettre le dossier concernant la fraude présumée à la section disciplinaire (formation juridictionnelle du conseil académique de l’université des établissements publics français d’enseignement supérieur[7]) n’ont recours que très rarement à une telle procédure lorsqu’elle concerne un pair. Dans un certain nombre de cas portés devant les tribunaux, qui ont donné lieu à des jugements condamnant les enseignants-chercheurs accusés de fraude scientifique, les universités n’ont pris aucune disposition disciplinaire ou suspensive à l’encontre des fraudeurs reconnus comme tels.
Cela prouve une fois de plus l’urgence d’une séparation des pouvoirs et la nécessité d’une totale indépendance de l’instance disciplinaire.
L’Office de l’intégrité scientifique : une mission à redéfinir
La seizième proposition du Rapport Corvol préconisait la création d’un office : « l’OFIS (Office français d’intégrité scientifique), structure transversale, indépendante gérant les questions d’intégrité scientifique (expertise, observatoire, lien institutionnel…). » Le rapport a été remis le 29 juin 2016 et l’OFIS créé moins d’un an plus tard, le 22 mars 2017.
Les missions d’expertise, d’observation et d’animation confiées à l’OFIS sont globalement conformes à quelques-unes des seize propositions du rapport. Il manque en revanche la dimension procédurale, qui était explicitement évoquée dans la proposition n° 11 : « Élaborer et mettre à disposition un vade-mecum juridique national retraçant précisément les typologies de sanctions en cas de manquement à l’intégrité scientifique, leurs modalités de traitement administratif et juridique, les textes et la jurisprudence applicables en la matière ».
L’OFIS a été rattaché à l’Hcéres, à savoir à une autorité en charge de l’évaluation des institutions de la recherche, qui était évoquée dans le Rapport Corvol (ibid., p. 42). Le rôle de l’Hcéres est en effet clairement mentionné dans la préconisation n° 10. Il est dans ce cas logiquement relié à la question de l’évaluation. Faire en revanche de l’OFIS un département de l’Hcéres revient, d’une part, à priver l’OFIS de sa mission principale, à savoir l’élaboration d’une procédure disciplinaire nationale, et, d’autre part, concevoir l’intégrité scientifique comme une des fonctions de la gouvernance scientifique, contribuant ainsi à une confusion des pouvoirs, au lieu de favoriser leur séparation. Il est en effet important que l’Hcéres soit incité par l’OFIS à élaborer un référentiel permettant d’évaluer la mise en œuvre d’une politique de l’intégrité scientifique, mais cette incitation sera d’autant plus efficace qu’elle émanera d’une autorité indépendante et non d’un département de l’Hcéres. Par ailleurs, sans la définition du « vade-mecum juridique national », l’OFIS risque d’être un observatoire du statu quo, ne possédant pas de véritable levier pour favoriser une pratique partagée de l’intégrité scientifique. L’OFIS doit avoir un statut d’autorité administrative indépendante qui garantisse l’autonomie de sa mission et lui offre les moyens de son action.
Conclusion
L’intégrité scientifique est aujourd’hui un enjeu essentiel pour la recherche. Comme l’écrit le Rapport Corvol, « La recherche est un superbe métier, pratiqué avec rigueur et honnêteté par l’immense majorité des chercheurs. Découvrir, inventer, innover, apporter des réponses à des questions majeures ou apparemment futiles, tout apport nouveau au corpus des connaissances existantes requiert la véracité des faits rapportés. C’est ainsi que se construit l’héritage scientifique de l’humanité. » (Ibid., p. 6)
Le rôle de l’OFIS doit être à la hauteur de ces enjeux. Sa vocation d’observatoire et sa fonction de moral suasion sont certes importantes, mais elles ne suffiront pas à changer les pratiques et les habitudes de la communauté scientifique. Ses missions doivent donc être repensées et son indépendance garantie. En collaboration avec le Collège de déontologie du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, l’OFIS doit être en mesure de faire accepter par tous les acteurs du monde de la recherche un code de bonne conduite exemplaire, assorti de sanctions disciplinaires dissuasives. Ce code doit tenir compte de la pluralité des modèles de recherche, des différences disciplinaires, des droits des accusés, de la possibilité de l’erreur. Il est également impératif qu’il respecte l’autonomie des universités et le rôle juridictionnel du CNESER disciplinaire et qu’il soit pensé en tenant compte des instances d’évaluation des carrières (CNU, CoNRS, etc.), d’évaluation des projets de recherche (ANR) et des institutions de la recherche.
L’intégrité scientifique est un idéal éthique et un horizon déontologique à construire dans la collégialité et dans la transparence.
Claudio Galderisi
10 octobre 2018
[1] Selon la définition qu’en propose Lucienne Leteillier : « une violation sérieuse et intentionnelle dans la conduite d’une recherche et dans la diffusion de résultats » (Lucienne Leteillier, « Sur l’intégrité de la recherche : quelques considérations éthiques sur l’organisation et les pratiques de recherche », Revue Prétentaine, 27-28, 2011).
[2] Karl Jaspers, « Science et vérité » dans Essais philosophiques, Paris, Payot, 1970, p. 70.
[3] Voici quelques exemples qui illustrent l’émergence d’une conscience partagée de l’éthique « en recherche » : Création en France du Comité d’éthique du CNRS (1994) ; Convention d’Oviedo ou « Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine » (1994) et protocole additionnel relatif à la recherche sur les personnes (2005) ; Création en France d’une délégation à l’intégrité scientifique à l’INSERM (1999) ; Loi du 9 août 2004 portant sur la recherche biomédicale chez l’homme et visant à mettre la législation française en accord avec la Directive Européenne 2001/20/CE du 4 avril 2001, mise en place de Comité de Protection des Personnes (ou CPP) qui se substituent aux CCPPRB, faisant suite au Rapport de Claude Huriet sur le fonctionnement des comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (2004) ; Charte européenne du chercheur (2005) ; Première conférence mondiale sur l’intégrité scientifique tenue à Lisbonne en 2007 à l’instigation de l’European Science Foundation (ESF) et de l’Office of Research Integrity des Etats Unis (2007) ; The Singapore statement on research integrity (2010) ; Propositions de prévention et de traitement de la fraude scientifique, par Jean-Pierre Alix (2010) ; The European code of conduct for research integrity (2011) ; Colloque « L’intégrité scientifique, enjeu de la recherche » (2012) ; Rapport par Philippe D. Chaumet-Riffaud, Éthique et recherche biomédicale : perspective historique (2014) ; Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche (2015) ; Colloque de Bordeaux : « L’intégrité scientifique, parlons-en ! » (2016) ; Décret du 16 novembre 2016, mettant en application de la loi Jardé, relative aux recherches impliquant la personne humaine, et qui réglemente notamment l’information de la personne qui se prête à une recherche impliquant la personne humaine et recueil de son consentement, Décret n° 2017-884 du 9 mai 2017 modifiant certaines dispositions réglementaires relatives aux recherches impliquant la personne humaine (2016) ; Rapport de Pierre Corvol (avec la collaboration de Rémy Gicquel) pour la mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique (2016) ; Création de l’Office français d’intégrité scientifique ; The European Code of Conduct for Research Integrity (2017, version revue) ; Création du Collège de déontologie du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (mai 2018).
[4] On lit dans le rapport « Les activités de recherche doivent être conduites par des chercheurs honnêtes, suivre une méthodologie rigoureuse, les résultats obtenus sauvegardés et disponibles de façon ouverte, les publications libres d’accès. Telles sont les bases d’une recherche intègre et fiable. » (Rapport Corvol, p. 3). Ce qui est sans doute vrai dans certains domaines disciplinaires l’est moins pour d’autres ; il faudrait autrement en conclure qu’une édition dans la Bibliothèque de la Pléiade, un essai publié au Seuil ou une biographie parue chez Fayard seraient moins intègres et fiables du fait de ne pas être en libre accès que des travaux publiés en ligne sur des plateformes gratuites. Les comités d’édition des maisons d’éditions privées ne sont pas moins rigoureux et intègres que ceux des archives ouvertes. Par-delà l’intérêt et les mérites de l’open acces, la réflexion sur les critères de l’intégrité scientifique doit tenir compte des traditions et des cultures disciplinaires. Chaque communauté scientifique doit pouvoir élaborer ses propres règles et les modalités de ses bonnes pratiques. La défense de la pluralité des modalités de recherche et la conscience de la différenciation des pratiques euristiques sont des conditions d’une conception partagée de l’intégrité scientifique.
[5] L’accusation de falsification des résultats portée par une jeune post-doctorante contre Thereza Imanishi-Kari et David Baltimore, prix Nobel de Physiologie en 1975, illustre les risques liés à une procédure qui ne serait pas fondée sur une instruction à charge et décharge. Les deux chercheurs ont été condamnés à deux reprises (1991 et 1994) par l’Office of Research Integrity sans qu’ils aient pu bénéficier d’une procédure contradictoire. Ils ont été finalement (1996) lavés des accusations de manquement et de fraude portées contre eux, mais leur carrière a été brisée pendant une dizaine d’année et leur image a subi un très grave préjudice, leur nom étant associé encore aujourd’hui moins à leurs travaux qu’à l’affaire dont ils ont été les protagonistes involontaires et les victimes désignées. (Voir Daniel J. Kevles, « Les leçons de l’affaire Baltimore : Fraudeurs les chercheurs ? », La Recherche, 999, n° 323, 1999, p. 66-72).
[6] Aujourd’hui, les chercheurs qui sont informés d’une possible fraude scientifique sont contraints par l’absence d’une procédure claire de saisine soit au silence, qui est une forme de complicité, soit à ce que certains considèrent comme de la “délation”, qui les expose au moins autant, sinon plus, que le fraudeur.