Dans le cadre des consultations entreprises par Mme la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, une délégation de QSF a été reçue le 11 décembre par M. Thierry Coulhon, directeur de cabinet adjoint. Mme Carole Moinard, conseillère sociale et vie étudiante, était également présente. Nous avons exposé les observations de QSF sur le projet de mastérisation de la formation et du recrutement des enseignants dans les termes suivants :
Après une année de discussion autour des projets de mastérisation, il apparaît clairement qu’il est impossible de trouver une solution satisfaisante dans le cadre posé par les ministères en 2008. La décision gouvernementale d’appliquer la mastérisation en superposant la deuxième année des masters à la préparation des concours se révèle une grave erreur. Les différentes solutions que les ministères ont avancées tout au long de l’année, ainsi que celles que les syndicats ou la conférence des présidents ont proposées, ne convainquent pas : restant dans ce cadre contraint, elles ne parviennent pas à garantir une bonne formation disciplinaire et une solide initiation à la recherche. Elles déçoivent aussi du point de vue de l’expérience professionnelle, laquelle s’acquiert par une entrée progressive dans le métier.
Comme nous l’avons plusieurs fois fait remarquer, prétendre qu’un étudiant prépare un concours et s’initie à la recherche durant la même année, c’est méconnaître la nature profondément différente des deux exercices. Ajouter un stage à cette année déjà doublement chargée, c’est ignorer les contraintes temporelles et aller à l’encontre du bon sens.
Le télescopage de trois types de formation, à la recherche, au concours et à la profession, ne pouvait que produire un rétrécissement de chacun de ces trois éléments. Ainsi nous avons, dans le dernier état du projet ministériel comme dans les précédents, un concours à épreuves drastiquement réduites, un master recherche privé de l’essentiel, un stage insuffisant. Voulant supprimer une année au moment même où on en ajoute une autre, le gouvernement construit un système de recrutement appauvri et plus fragile que jamais.
La volonté de hausser le niveau de recrutement, en le liant au diplôme de master, exprimée par le président de la République en juin 2008, n’est pas traduite en acte par ces dispositifs confus et destructeurs. Il faut revenir au sens premier de la mastérisation, qui est un enrichissement de la formation, et reconnaître qu’on ne peut l’obtenir qu’en acceptant un allongement des études et en prévoyant le financement qu’il comporte. « Je souhaite que l’enseignant de demain soit mieux formé, avait déclaré le président de la République, que la durée de ses études soit allongée d’un an. […] On exige une année de plus pour devenir professeur et cette année de plus on la rémunère mieux. » (Discours à l’occasion du bicentenaire des recteurs, palais de l’Elysée, 2 juin 2008). Nulle réforme ne se fait à moyens constants et à coût zéro, et celle-ci nécessite un triple investissement : dans les formations, dans l’aide apportée aux étudiants, dans la rémunération des futurs enseignants.
La mastérisation ne doit pas non plus s’organiser en dépit du système LMD que la France a adopté en conformité aux accords de Bologne de 1999. L’adoption du LMD a déterminé la création des masters, diplômes acquis par une formation de deux ans dont la cohérence doit être garantie. Le fractionnement de la durée de deux années du master en deux parties, par l’introduction d’un concours que les étudiants passeraient après la première année de master, et le sacrifice de la cohérence de la préparation au doctorat, doivent être rejetées. La préparation à l’Agrégation doit absolument se situer après l’obtention d’un diplôme de master recherche.
La voie que le gouvernement a choisie amène à des contradictions insolubles, qu’on s’efforce en vain de résoudre. La situation est encore aggravée par un autre choix ministériel : celui d’exclure la possibilité de masters spécifiques conduisant aux concours, et notamment au Capes. La création de mentions de master distinctes, les unes qui incluraient la préparation aux concours et les autres initiant à la recherche, permettrait au moins une clarification et un partage plus rationnel des enseignements. La discussion est ouverte sur les différents modèles auxquels pourrait se conformer ce partage : un M1 commun et des M2 distincts, ou bien une distinction immédiate dès le M1, mais le principe de cette distinction est indispensable et le gouvernement doit revoir sa position à ce sujet.
Enfin, le système d’épreuves de concours envisagé par le document ministériel du 13 novembre est aberrant. Deux seules épreuves écrites d’admissibilité et deux épreuves orales d’admission ne suffisent pas à pratiquer une bonne évaluation des connaissances disciplinaires. La seconde épreuve orale, portant sur l’éthique et la responsabilité, n’a pas lieu d’être : la morale du fonctionnaire ne doit pas faire l’objet d’un examen sélectif dans le cadre d’un concours public, surtout aux dépens d’examens portant sur les connaissances à transmettre aux élèves.
QSF souhaite que le gouvernement revienne à l’esprit initial de la mastérisation, abandonne le cadre confus qu’il tente d’imposer depuis un an, et ouvre la voie d’une réforme fondée sur de bases plus claires et plus saines.