Hier, le 12 juillet s’est tenue la session du CNESER au cours de laquelle devait être délibéré le projet d’arrêté instituant une nouvelle licence, concernant donc un texte controversé, qui risque de changer définitivement la portée et le sens de l’enseignement universitaire et la nature de ses diplômes. QSF avait réclamé, comme d’autres organisations (le SNESUP et le Syndicat autonome), le report de l’ordre du jour. Le nouveau ministre M. Laurent Wauquiez, qui faisait l’honneur aux membres de cette assemblée de présider cette session, l’a toutefois commencée en donnant la parole à toutes les organisations représentatives pour qu’elles expriment leur sentiment à l’égard du projet d’arrêté. QSF a rappelé son opposition à cette nouvelle licence, comme elle l’avait déjà fait dans son communiqué du 5 juillet, auquel elle renvoie pour ses propositions de réforme. À la suite de ce premier tour de table, le secrétaire général du SNESUP a rappelé la motion préalable qu’il avait lue au début de la réunion demandant le report de l’ordre du jour. Devant le refus de l’accorder opposé par le ministre, QSF a décidé de ne pas participer à la délibération portant sur ce projet, elle n’a donc proposé aucun amendement et a refusé de participer au vote. Le texte a finalement été adopté par 26 voix pour, 20 contre et 14 abstentions. Ce sont les organisations étudiantes qui ont permis de faire passer le texte.
Comme il n’est pas dans les habitudes de QSF de pratiquer la politique de la « chaise vide », il convient d’expliquer les raisons impérieuses qui ont conduit notre association à manifester ainsi ouvertement son hostilité au projet ministériel.
I – La première raison, bien que de forme, n’est pas mineure. Le CNESER représente à travers ses quarante-cinq membres élus l’ensemble des acteurs de la vie universitaire. Or, l’attitude récente du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, l’élaboration d’ordres du jour particulièrement chargés, empêchant toute analyse sérieuse et sereine des projets soumis au CNESER, les changements de date annoncés seulement trois ou quatre jours à l’avance, les conditions matérielles dans lesquelles se déroulent les réunions des différentes sections, la fin de non recevoir que les représentants du ministère ont opposée à plusieurs reprises aux requêtes des élus, font apparaître une totale absence de respect à l’égard du CNESER. Cela s’est manifesté de manière particulièrement nette pour l’adoption de cet avis sur la nouvelle licence.
En effet, initialement, c’est le 11 juillet que le CNESER aurait dû statuer sur le projet d’arrêté instituant une nouvelle licence. Quatre jours seulement avant cette réunion, les membres du CNESER ont appris par un email laconique que la réunion était reportée d’un jour (du 11 au 12). Sans explication, sans même un mot d’excuses. Or, ce report de la date empêche de fait la plupart des membres de l’organe de siéger et de participer aux discussions et au vote ; ce report inexplicable et annoncé très tardivement fait naître des doutes sur les véritables intentions du ministère et souligne le peu d’intérêt que ce ministère porte aux avis du CNESER et la considération dans laquelle il tient ses membres. C’est seulement le lundi 11 juillet, la veille de la réunion, que les membres du CNESER ont appris que le nouveau ministre présiderait la session du 12 juillet. On pourrait aussi souligner d’autres éléments très contestables de la procédure suivie par le ministère qui a encore pratiqué une concertation très « orientée » pour faire aboutir dans la précipitation une réforme d’une portée considérable pour l’avenir de l’université. Ainsi, c’est seulement le 8 juillet que le projet d’arrêté a été ultimement modifié.
II – Cette première raison justifiait à elle seule le refus de délibérer et de participer au vote. Mais sur le fond, comme QSF l’a indiqué dans son communiqué du 5 juillet 2011, ce projet de licence n’est pas acceptable pour les universitaires. Il marque une profonde régression de l’idée même d’Université qui cesse de délivrer des connaissances, mais doit certifier des « compétences ». Celles-ci, quels que soient les adjectifs tous aussi flous les uns que les autres qui les qualifient, ne remplaceront jamais les connaissances. L’enjeu est de taille : ce genre de réforme vise à instiller l’idée que l’université n’est plus un lieu de savoir. Sous prétexte de professionnalisation, on veut transformer les universités sur le modèle des IUT. Le changement est donc considérable.
En outre, on peut déplorer les charges supplémentaires très lourdes que cette réforme va imposer aux enseignants, sans que des moyens d’accompagnement aient été prévus (l’absence de chiffrage est révélatrice de cette précipitation), les reculs sur les modalités d’évaluation, le fait qu’aucune mention de sélection ni d’orientation un tant soit peu contraignante n’apparaisse, l’absence de parcours bien clairs pour protéger les « référentiels » de compétences disciplinaires ou pluridisciplinaires : ou encore le flou entourant les dispositions sur les stages et la notion de parcours qui remplace celles de formation et de cursus.
Plus grave : le ministre n’a cessé de marteler l’idée que l’objectif principal de la nouvelle licence était de faire baisser le taux d’échec. Mais il y a derrière cette visée, louable en soi (qui pourrait se réjouir de l’échec des étudiants…?) un phénomène très inquiétant qui se profile : cet arrêté fera subir aux universitaires la pression convergente des étudiants, des présidents des universités et du Ministère, qui récompensera les « efforts » de ceux qui auront su faire augmenter, par n’importe quel moyen, le taux de réussite aux examens.
Enfin, la manière dont s’est déroulée cette session a conforté les craintes de QSF au-delà de ce que la seule lecture du texte pouvait déjà susciter. Le ministre a commencé par donner la parole à toutes les organisations étudiantes, qui, toutes tendances politiques confondues et avec un accord aussi unanime que troublant, ont chanté les louanges de cette réforme qui vise à rendre plus facile l’obtention de la licence sous prétexte de la rendre plus professionnalisante et plus attractive. Par sa politique, le ministère produit une opposition entre les intérêts prétendus des étudiants (le diplôme plus facile à obtenir) et les vrais intérêts des enseignants, qui défendent une institution où l’enseignement est lié à la recherche de haut niveau. Les étudiants devraient comprendre que cette vision myope de leur intérêt les pénalise en fin de compte, et adopter une vision plus stratégique en défendant eux aussi la qualité scientifique des diplômes.
Comme le désolant arrêté Bayrou en 1997, qui avait déjà, sous la pression de l’UNEF, conduit à instaurer une sorte de droit au diplôme, le projet d’arrêté sur la nouvelle licence risque d’aboutir à une considérable dévalorisation du diplôme universitaire et à accroître le désespoir des universitaires qui voient leur métier sacrifié au nom d’une idée purement démagogique. Si l’on voulait augmenter la désaffection des bacheliers les plus motivés envers l’Université et si l’on voulait continuer à pousser les universitaires les plus brillants à la quitter, on ne s’y prendrait pas autrement.
III – QSF constate donc à grand regret que le ministère a pris le parti d’une réforme précipitée, mal préparée, et arrachée au forceps, avec l’appui des seuls syndicats d’étudiants, du MEDEF et de quelques autres organisations peu en liaison avec le monde universitaire. Le ministère n’a pu obtenir l’accord de la CPU (qui s’est abstenue) et il a décidé de passer outre à l’opposition radicale des organisations les plus représentatives des enseignants-chercheurs.
Après la désastreuse réforme de la mastérisation et le non moins désastreux décret statutaire, le ministère entreprend, dans la précipitation, une réforme aussi contestable que dangereuse, sans absolument prendre en compte les critiques et les objections de la très grande majorité des représentants des enseignants. Il portera donc entièrement la responsabilité des effets de son entêtement si son arrêté provoque les plus graves résistances des universitaires. Il sera aussi comptable devant les étudiants qui, quoi qu’en disent leurs organisations, seront les premières victimes de cet arrêté car ils devront se contenter, sur le marché du travail, d’un diplôme certes « professionnalisé », mais totalement démonétisé.
QSF ne pouvait donc pas laisser passer, sans protester vigoureusement, cette énième avanie imposée par des gouvernants aussi peu respectueux de l’idée d’Université que des universitaires et des étudiants. Elle espère que le nouveau ministre sera à l’avenir plus ouvert au dialogue.