« Donner et retenir ne vaut » Ce vieil adage vient à l’esprit de celui qui constate les relations entre l’Etat et les universités, la loi LRU de 2007 ayant attribué aux universités l’autonomie que l’Etat semble retirer actuellement à certaines d’entre elles pour cause de mauvaise gestion. Qu’en est-il de cette impression, la première impression, dit-on, étant souvent la bonne mais étant également trompeuse ?
On souhaite simplement présenter ici cette posture de l’Etat tutélaire sur les universités : « L’autonomie des universités réduite aux acquêts » (Les Echos 29 nov. 2011) ; « Le budget de cinq universités placé sous surveillance » (Le Figaro 1er déc. 2011) ; « La très relative autonomie financière des universités » (Le Monde 1er déc. 2011) ; « Contes et comptes approximatifs » (www.sauvonsluniversite.com) …
L’actuelle « mise sous gestion rectorale » de quelques universités s’inscrit dans le cadre de la tutelle de l’Etat à laquelle tous les établissements publics nationaux sont soumis. Si la tutelle sur les universités est souple en régime de croisière, des mécanismes de surveillance sont prévus pour certains actes ou dans des contextes difficiles, l’ensemble rappelant le contrôle auquel sont soumises les collectivités territoriales depuis 1982.
La tutelle de l’Etat sur les universités est particulièrement souple en régime de croisière caractérisé depuis longtemps par le principe d’autonomie énoncé en termes inchangés depuis la loi Savary de 1984 : ces établissements publics jouissent « de l’autonomie pédagogique et scientifique, administrative et financière » (art. L. 711-1 du code de l’éducation).
En ce qui concerne la gestion, la conciliation entre autonomie et tutelle est mise en oeuvre notamment par le contrôle administratif et financier a posteriori qui signifie que les décisions et délibérations universitaires sont applicables sans approbation préalable de la part de l’Etat, le contrôle s’exerçant par l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et surtout par l’intermédiaire du juge administratif auquel le recteur-chancelier des universités peut transmettre les actes lui paraissant entachés d’illégalité (art. L. 719-7, al. 2 du code de l’éducation). De son côté, le contrôle financier a posteriori est exercé en particulier par l’inspection générale des finances, par les juridictions financières et par l’agent comptable (art. L. 719-9 du code de l’éducation). Et pour faciliter ces contrôles administratifs et financiers a posteriori, de nombreux actes doivent être transmis au recteur – chancelier (ce qui conditionne d’ailleurs leur caractère exécutoire) : tous les actes réglementaires (art. L. 719-7) et surtout les actes financiers essentiels : projets de budget, budgets eux-mêmes, comptes financiers de fin d’exercice (art. 12, 17, 49 du décret n° 2008-618 du 27 juin 2008, décret financier d’application de la loi LRU).
Les « mises sous surveillance » actuelles de quelques universités concernent la gestion financière où, en effet, le dispositif légal et réglementaire permet à l’Etat d’intervenir de façon rigoureuse. Sont concernées en l’occurrence les deux hypothèses de déséquilibre budgétaire : absence d’équilibre réel du budget prévisionnel pouvant amener le recteur – chancelier à décider que le budget est soumis à son approbation (art. 16 du décret de 2008) ; déficit d’exécution pendant deux exercices consécutifs amenant le recteur – chancelier à établir le budget suivant, ou même les budgets suivants, jusqu’au rétablissement complet de l’équilibre financier (art. 56 du décret de 2008). Précisons qu’en pratique, c’est le représentant financier de l’Etat (directeur régional des finances publiques) qui intervient sur la base d’une convention de partenariat passée avec le recteur – chancelier (art. 54 du décret de 2008).
Ce dispositif somme toute classique fait partie des nombreuses mesures d’interventions spécifiques de l’Etat que la LRU et son décret financier d’application n’ont pratiquement d’ailleurs pas modifiées par rapport au régime antérieur (décret financier des universités n° 94-39 du 14 janvier 1994) : approbations préalables par le recteur – chancelier en cas de certaines anomalies de gestion (projet de budget pas transmis dans les délais, absence au budget des crédits pour dépenses obligatoires, dépassement du plafond d’emplois, déséquilibre ou déficit) ou pour des décisions financières universitaires importantes (prises de participations, créations de filiales, délibérations en matière d’emprunt, décisions budgétaires modificatives prises sur délégation du CA) ; budget arrêté par le recteur s’il n’est pas exécutoire au 1er mars ; mandatement d’office d’une dépense obligatoire par le recteur – chancelier en cas de refus de la part de l’ordonnateur ; suspension d’application par le chancelier des mesures susceptibles de porter gravement atteinte au fonctionnement de l’établissement ; interventions du ministre et du recteur – chancelier en cas de difficulté grave dans le fonctionnement des organes statutaires ou de défaut d’exercice de leurs responsabilités.
Au-delà de cet arsenal tutélaire de crise, il faut mesurer l’opportunité de leur utilisation par l’Etat et surtout poser les deux questions de fond essentielles : quelle véritable autonomie a été attribuée par l’Etat en 2007 ? De quelle mauvaise gestion sont coupables certaines universités autonomes ?
Constatons ici simplement la légèreté blâmable des acteurs : l’Etat ayant le tort de mettre en place une politique d’autonomie sans accorder aux universités les moyens de sa mise en œuvre ; les universités ayant le tort d’avoir décidé de passer aux RCE (responsabilités et compétences élargies) sans prendre conscience des pièges qui se referment progressivement sur elles : grandes difficultés pour lever des fonds privés ; compensations financières insuffisantes de l’Etat ; soumission aux tutelles de fait des collectivités locales avec les effets pervers de proximité ; absence d’expertise de gestion et insuffisance des personnels d’encadrement dans les universités… Voilà trois ans que l’on dit et répète ce mot de Paul Valéry : « Si la stratégie veut ignorer la tactique, la tactique ruine la stratégie. La bataille d’ensemble gagnée sur la carte est perdue en détail sur les coteaux » !
On se prend finalement à rêver sur l’avenir de la tutelle faisant nôtre une conclusion optimiste énoncée en… 1930 (Roland Maspétiol et Pierre Laroque, La tutelle administrative) :
« La tutelle administrative de demain, dans ses méthodes comme dans son esprit, doit être une institution de collaboration et de solidarité ».
Henry Michel CRUCIS
Professeur de droit public à l’université de Nantes
22 décembre 2011