Entretien avec Olivier Beaud et François Vatin paru dans Le Monde du 29 mars 2012
Olivier Beaud et François Vatin, universitaires du groupe des Refondateurs, s’invitent dans le débat présidentiel
Olivier Beaud est professeur de droit public à Panthéon Assas (Paris-II) et président de l’association Qualité de la science française. François Vatin est professeur de sociologie à l’université Paris-Ouest-Nanterre. Coauteurs, avec Alain Caillé notamment, de Refonder l’université (La Découverte, 2010), tous deux veulent saisir la campagne comme lieu d’un vrai débat sur l’enseignement supérieur.
Pourquoi défendez-vous une sélection à l’entrée à l’université ???Depuis 1995, le nombre de bacheliers stagne, à l’exception des titulaires d’un bac professionnel. Or les bacheliers s’inscrivent de plus en plus dans des cursus non universitaires. Les universités ont donc vu leurs effectifs décroître, et ce sont leurs meilleurs étudiants qui sont partis. L’absence de sélection dévalorise de fait les cursus universitaires.
En 1996, 56 % des bacheliers » généraux » s’inscrivaient dans une licence universitaire ; en 2008, ils n’étaient plus que 46 %, même en tenant compte des effectifs de première année de médecine et de droit qui ont explosé.
Beaucoup ne viennent à l’université que par défaut, parce qu’ils ne sont pas admis dans les filières sélectives comme les classes préparatoires ou les IUT qui recrutent massivement des bacheliers généraux. Sans doute les sections de techniciens supérieurs (STS) recrutent-elles plus de bacheliers » professionnels « , mais elles repoussent aussi vers les universités le public qu’elles refusent. Cette situation favorise la privatisation de l’enseignement supérieur français. En 1996, 9 % des bacheliers généraux s’inscrivaient dans des formations supérieures privées dès la sortie du baccalauréat ; en 2008, la proportion était de 17 %.
Cette relative désaffection n’est-elle pas due au fait que les étudiants recherchent un meilleur encadrement et un enseignement qui débouche sur un emploi, ce qu’ils ne trouvent pas dans les universités ? ??Bien sûr, mais tout est lié. On ne peut garantir un accompagnement de qualité sans maîtriser ni le nombre de personnes que l’on accueille, ni leur qualité. Malgré la LRU – loi relative aux libertés et responsabilités des universités – , les universités sont encore tenues d’inscrire des étudiants sur injonction des rectorats, parfois jusqu’en décembre de l’année, alors que les cours ont commencé depuis deux mois ! Aujourd’hui s’opère une sélection par l’échec : c’est la pire des solutions. Il y a sans doute bien des améliorations à apporter à l’enseignement universitaire, en termes de prise en charge des étudiants, de pédagogie. Tant que l’on n’aura pas fait sauter ce verrou idéologique, aucune réforme ne sera efficace.
Les universités ont une mission de production, de conservation et de transmission de savoirs approfondis. Cela leur permet de fournir aux personnes qu’elles forment des capacités d’adaptation à long terme. Elles ne peuvent en revanche pas répondre aux besoins à court terme de chaque segment professionnel, sauf à se transformer en écoles professionnelles, non pas de haut niveau, segment déjà occupé par les grandes écoles, mais de bas niveau, pour ceux qui n’ont pas trouvé de place dans les IUT, voire dans les STS.
Le baccalauréat ne joue donc pas rôle de filtre à l’entrée des universités ?
Tout le monde sait que non. La création du baccalauréat professionnel (et avant du baccalauréat technique) ne visait pas à développer le public étudiant, mais à augmenter le nombre de jeunes ayant achevé des études secondaires. Or, on a maintenu la fiction qui fait de tout baccalauréat le premier grade universitaire. Dans sa très grande majorité, le public des bacheliers professionnels n’est pas en mesure de suivre des études universitaires. Seuls 10 % de ceux qui entrent à l’université accèdent à la troisième année. C’est un immense gâchis, d’abord pour les jeunes pris dans cette nasse, mais aussi pour les universitaires et enfin pour les comptes publics.
On a confondu politique universitaire et politique de la jeunesse. Il faut impérativement s’occuper de l’orientation vers l’emploi de l’ensemble de la jeunesse, titulaire ou non du baccalauréat. Mais l’idée que l’université aurait pour mission d’assurer la transition de masse entre l’école et l’emploi, alors que la vraie formation supérieure se ferait ailleurs (classes préparatoires, grandes écoles) est une erreur grave partagée par tous les gouvernements depuis trente ans.
Quel type de sélection proposez-vous ? ??Il s’agit de n’accepter en première année que les étudiants disposant des prérequis nécessaires, définis selon les filières et par les établissements pouvant prendre en considération la série du bac, une mention, voire s’appuyer sur un entretien. Les candidats qui ne seraient pas jugés en mesure de suivre le cursus pourraient accomplir une année zéro de remise à niveau, sanctionnée par un examen d’entrée en licence. Pour cela, on pourrait faire appel aux professeurs agrégés de l’enseignement secondaire.
Si l’on ne modifie pas le cap sur la non-sélection, l’université française sera dévolue aux seuls » pauvres « , les riches allant, comme dans les pays du tiers-monde, dans des établissements privés.
Propos recueillis par Isabelle Rey-Lefebvre