Depuis sa fondation en 1982, QSF est favorable à l’accès d’un plus grand nombre de bacheliers à l’enseignement supérieur, considérant que l’augmentation des diplômés de l’enseignement supérieur est un atout appréciable pour la société française. Toutefois, si les universités françaises et tous les acteurs de l’enseignement supérieur doivent être capables de répondre aux nouvelles attentes de la société en matière de formation et d’insertion professionnelle, il est indispensable qu’ils le fassent sans remettre en cause la centralité des savoirs disciplinaires dans l’éducation générale. L’enseignement supérieur et la recherche sont associés dans l’élaboration de ces savoirs. La transmission de ces savoirs forme l’esprit critique des futurs citoyens et contribue à l’évolution et à la maturation des nouvelles générations, et avec elles de la société dans laquelle elles s’intègrent. L’enseignement supérieur doit avoir pour objectif de renforcer ce processus cognitif et de fonder la réussite des étudiants sur des savoirs maîtrisés et vérifiés selon des procédures qui garantissent la qualité et la reconnaissance des diplômes et qui facilitent l’insertion professionnelle des diplômés. C’est sur ces bases que QSF entend prendre position sur les trois thèmes proposés à la réflexion par le ministère.
I – « La réussite de tous les étudiants »
QSF recommande de modifier l’intitulé de ce premier point, en considérant qu’il faut mettre au centre de la réflexion sur le système de l’enseignement supérieur la qualité de celui-ci sous tous ses aspects. La réussite aux examens ne constitue pas à elle seule un critère pertinent ; il faut lui associer la qualité de l’enseignement et de la recherche, ainsi que le rapport aux moyens financiers, la qualité de la vie des étudiants, la progression du nombre de diplômés à tous les niveaux du LMD, et la reconnaissance des diplômes. La seule prise en compte de la progression quantitative du nombre de licenciés est donc une tentation qu’il faut combattre.
QSF observe aussi que l’opposition entre enseignants et étudiants est stérile et nocive. La vocation de l’université ne coïncide pas avec les intérêts légitimes de telle ou telle catégorie de personnes. L’université a pour principale mission l’élaboration et le partage de savoirs, qui produisent une nouvelle richesse, scientifique, intellectuelle, économique. La réalisation de cette mission est aujourd’hui fragilisée par la massification incontrôlée des études supérieures, par l’absence d’une période d’orientation (semestre ou année propédeutique), laquelle est devenue indispensable depuis qu’a été fixé l’objectif légitime d’amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat.
QSF estime qu’il est impératif de prévoir des prérequis disciplinaires et de réintroduire une année propédeutique afin de réduire la sélection par l’échec, laquelle frappe chaque année plus de 150 000 étudiants, ainsi que de faire cesser la dévalorisation progressive des diplômes universitaires, en particulier dans les sciences humaines, sociales et juridiques.
Le récent arrêté sur la nouvelle licence, auquel QSF s’est publiquement opposé, ne fait qu’aggraver le problème de la crédibilité des diplômes, en introduisant des mesures de compensation annuelle, destinées à abolir de fait tout contrôle direct des connaissances acquises. QSF réclame son abrogation.
Sur ce premier point, QSF recommande deux mesures simples :
1) l’introduction d’une année d’orientation entre le Bac et le début des études universitaires (année facultative pour les étudiants disposant des prérequis disciplinaires), l’admission à cette année propédeutique se faisant après contrôle du niveau atteint dans les prérequis disciplinaires ;
2) la capitalisation des crédits, qui remplacerait le système de compensation (semestrielle ou annuelle). La licence en trois ans est à la fois une raison de l’échec de masse et un obstacle à la capitalisation des crédits ; en permettant aux étudiants de capitaliser à leur rythme les crédits nécessaires et sans compensation systématique, on réduira l’échec et adaptera la transmission du savoir au rythme et aux possibilités de chacun.
Au lieu de faciliter l’obtention des diplômes par des artifices comptables, l’objectif d’une telle mesure serait de lutter contre le déficit en France de la formation tout au long de la vie. Une telle capitalisation serait la condition d’acclimatation de l’idée selon laquelle la formation continue pour les adultes doit se faire prioritairement dans les universités. C’est aussi le moyen permettant de se déprendre d’une conception rigide des études qui veut qu’on les accomplisse à plein temps aussitôt après le baccalauréat et que, si l’on échoue, l’on ne revienne pas plus tard à l’université.
Notre système souffre d’une contradiction manifeste, qui consiste à déplorer l’échec à la fin de la première année du premier cycle et à interdire la sélection à l’entrée. Le droit donné à tout bachelier d’entrer à l’université, même s’il est mal orienté, a pour effet de dévaloriser d’emblée la voie universitaire par rapport aux autres voies de l’enseignement supérieur. Laisser entrer dans les universités les étudiants les moins bien formés se retourne contre eux. L’absence de sélection par les universités s’avère préjudiciable aux chances de réussite des étudiants issus des classes les moins favorisées. Dans les pays où il existe une sélection, les universités ne placent pas toutes la barre au même niveau, de sorte que, en fin de compte, très peu de candidats à l’inscription sont exclus. C’est l’absence de sélection, et non la sélection, qui est antidémocratique.
Une sélection bien conçue inciterait aussi les lycéens à mieux travailler pour obtenir non pas simplement un parchemin de niveau très variable, mais la possibilité de s’inscrire dans la formation qu’ils souhaitent. L’introduction d’une sélection aurait un effet vertueux sur l’enseignement secondaire et permettrait de relier enfin le secteur non sélectif de l’enseignement supérieur au secondaire selon des critères pertinents, et de permettre aux universités de se renforcer à côté du système sélectif (classes préparatoires, IUT, STS).
Auprès de la sélection, le second grand thème que devraient aborder les assises est celui des droits d’inscription des étudiants.
La quasi-gratuité de l’enseignement supérieur en France n’a pas d’effet redistributif, contrairement à ce qui se passe dans le primaire et le secondaire ; elle est donc inéquitable. QSF demande qu’une analyse comparative des systèmes alternatifs, en termes d’efficacité et d’équité, soit menée sur la question des droits d’inscription, politiquement difficile à poser, mais socialement et financièrement décisive pour l’évaluation d’une politique publique. Cela implique que les systèmes d’attribution de bourses soient remis à plat et que des bourses substantielles soient accordées aux étudiants d’origine modeste ayant les prérequis disciplinaires. La question des droits d’inscription n’épuise pas celle du coût des études, et la quasi-gratuité de l’inscription universitaire ne peut être utilisée comme prétexte à l’absence d’une politique de bourses digne de ce nom.
Un système qui, s’inspirant des valeurs républicaines d’équité sociale, tienne compte des conditions sociales des étudiants, est possible : une augmentation des droits liée aux revenus des familles et limitée par des règles nationales n’aurait rien de commun avec le système américain, où des droits d’inscription très élevés sont financés par un très lourd endettement.
QSF tient enfin à attirer l’attention sur le fait que se développent de plus en plus, dans le premier cycle d’études très sélectives, comme la médecine, ou moins sélectives, comme le droit, des formations privées onéreuses, réservées aux étudiants fortunés. Ici encore, la gratuité de façade dissimule la réalité, à savoir que beaucoup de familles sont prêtes à payer davantage pour recevoir des enseignements complémentaires performants.
II – « Une nouvelle ambition pour la recherche et l’enseignement supérieur, leur rôle dans la société, l’économie, la transition écologique et le rayonnement international de notre pays »
La renaissance des universités française ne se fera que si on les considère non seulement comme des institutions permettant aux diplômés de trouver du travail, mais aussi des lieux de formation des élites, d’élaboration et de transmission de connaissances vérifiées et renouvelées.
Cela suppose un effort de rationalisation. Par exemple, la multiplication des licences et masters professionnels, créés par centaines depuis dix ans, égarent les étudiants et les familles. Il s’impose de procéder à un élagage.
Le rayonnement international des universités françaises dépend de la qualité de l’enseignement et de la recherche dont les étudiants français ou étrangers, jusqu’au doctorat, peuvent bénéficier. Le sous-financement historique n’est pas le seul handicap. Les conditions de travail des universitaires ne sont pas satisfaisantes ; ils ne disposent plus du temps libre nécessaire pour mener des recherches innovantes, et les moyens de travail mis à leur disposition ne sont pas à la hauteur des exigences modernes (bibliothèques spécialisées, bases de données en ligne, bureaux, salles de travail, etc.). La situation des bibliothèques publiques, particulièrement préoccupante, est un handicap majeur dans le domaine des sciences humaines et sociales.
QSF est favorable à la création d’un Sénat académique national, qui permettrait de poursuivre le travail de réflexion lancé par les Assises de la recherche et avancerait des propositions sur toutes les questions stratégiques.
III –« La recomposition du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche, de ses articulations et collaborations, de la gouvernance de ses structures »
QSF appelle à la simplification indispensable du paysage de l’enseignement supérieur, devenu trop touffu en raison de la prolifération des institutions et des réseaux d’institutions, la multiplication parallèle des acronymes provoquant la confusion (PRES, RTRA, FCS, IDEX, etc.). Les universités doivent constituer le cœur du système de l’enseignement supérieur. Il faut cependant corriger la conception trop centralisée du pouvoir dans les universités qui résulte de la loi LRU et qui fait des « composantes » – nom donné désormais aux anciennes facultés ou UFR – de simples unités, soumises à l’autorité des instances centrales et concurrencées par des institutions transversales comme les écoles doctorales ou les LABEX.
Si les classes préparatoires restent un atout pour l’enseignement supérieur, l’introduction dans l’université d’une sélection bien comprise est le seul moyen de permettre de rétablir une concurrence entre les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur, et d’atténuer la hiérarchisation entre un secteur sélectif et un secteur non sélectif dans l’enseignement supérieur.
QSF s’inquiète aussi de la prolifération d’institutions privées qui, sur la base de la sélection et de droits d’inscription élevés, attirent de plus en plus de bacheliers sans que l’État n’assure un véritable contrôle sur ces institutions parallèles. QSF appelle de ses vœux une loi qui régulerait l’ensemble de l’enseignement supérieur.
Par ailleurs, QSF plaide pour une meilleure intégration entre les universités et les grands organismes de recherche. Elle rappelle qu’elle a toujours été hostile au principe du recrutement de chercheurs à vie et souhaite que les passerelles entre les institutions soient plus fluides, notamment que les universitaires aient plus facilement la possibilité de passer quelques années dans des institutions de recherche.
Enfin, concernant la gouvernance, QSF répète les critiques formulées contre la loi LRU, qui a donné des pouvoirs excessifs au président d’université, par ailleurs élu selon des modalités contre-productives. QSF demande que le principe fondamental de la collégialité universitaire soit à nouveau respecté.
IV – Améliorer la condition et le statut des universitaires
La revalorisation du métier d’universitaire est une des conditions du pacte générationnel. QSF regrette que ce thème crucial n’ait pas été pour l’instant retenu pour les assises. Ce n’est pas faire preuve de corporatisme que de dire qu’une bonne université, ou une université d’excellence, ne peut exister que si elle réussit à recruter de bons ou excellents universitaires.
La meilleure réussite des étudiants, qui ne doit pas résulter de la baisse démagogique du niveau des connaissances et compétences requises, ne pourra s’opérer que si ces étudiants ont devant eux des enseignants-chercheurs de qualité. Ceci ne peut être obtenu que si leur recrutement est organisé avec le plus grand soin et en prenant pour critère unique et déterminant la qualité scientifique des dossiers.
L’augmentation du traitement de départ des universitaires est un moyen indispensable pour conserver et développer l’attractivité du métier. Mais celle-ci passe aussi par une modification du système de recrutement, qui repose trop souvent sur le localisme et le clientélisme. Les efforts doivent porter plus sur le recrutement que sur l’évaluation, dont la promotion récente par l’idéologie managériale ne correspond pas aux exigences et à la déontologie du métier d’universitaire. QSF a toujours défendu l’évaluation dans son principe, comme appréciation effectuée par des pairs de projets présentés par les universitaires soit pour des promotions de carrière, soit dans le cadre de projets de recherche devant déboucher sur des bourses ou des congés de recherche. Il ne faut pas confondre l’évaluation avec un moyen de contrôle bureaucratique, par ailleurs inefficace, tel qu’il a été imposé par le décret statutaire de 2009. QSF maintient que tout universitaire doit être amené, d’une façon ou d’une autre, à rendre compte de son activité d’enseignement et de recherche.
Enfin, si l’on veut l’équilibre entre le statut des universitaires français et celui des collègues d’autres pays, il faut augmenter le nombre de congés sabbatiques accordés aux enseignants-chercheurs.
Conclusions
Bien que QSF regrette les conditions dans lesquelles ont été menées depuis une douzaine d’années certaines réformes, en particulier la loi LRU et le décret statutaire, elle considère que le mouvement d’autonomisation des universités, qui les incite à prendre en mains leur destin, ne doit pas être remis en cause. QSF estime que l’avenir de l’enseignement supérieur ne réside ni dans un service public régionalisé et uniformisé, ni dans un nivellement par le bas des secteurs non sélectif et sélectif, mais dans un système différencié, permettant à chacun des établissements (universités, écoles, organismes de recherche, etc.) d’affirmer son identité pédagogique ou scientifique, tout en accentuant la politique de rapprochement entre les différents secteurs.