Les deux journées de clôture des Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche (26 et 27 novembre 2012), les cent vingt et une propositions ainsi que le document de synthèse du rapporteur général du comite de pilotage, Vincent Berger, ont fait apparaître un contraste évident entre la volonté de revaloriser l’enseignement supérieur et les solutions qui sont proposées pour le faire.
Les Assises n’ont abordé en réalité que la question du « grand malade » du système de l’enseignement supérieur, les universités, en laissant de côtés quelques-unes des causes majeures de la crise que connaissent ces établissements depuis plusieurs décennies : absence de sélection, désaffection des meilleurs bacheliers au profit des classes préparatoires et des Grandes Écoles, rôle prépondérant des organismes de recherche, crise identitaire de l’enseignant-chercheur, qualité des bureaux et des bibliothèques.
QSF a cependant apprécié la volonté de revaloriser les universités. Le discours d’ouverture du Premier ministre et le fait qu’il a souhaité assister à l’allocution de réception de l’administrateur du Collège de France, Serge Haroche, récent prix Nobel de physique, sont deux signes parmi d’autres de cette attention.
L’analyse des propositions suggérées pour réformer les universités et la lecture du très long « discours de synthèse » prononcé par Vincent Berger semblent indiquer une absence totale de transparence à propos des critères de sélection des 121 propositions. QSF ne sait pas pourquoi et comment telle ou telle de ces propositions a pu obtenir le label des Assises, mais il sait en revanche qu’il a été très peu écouté et que son diagnostic ainsi que la plupart de ses propositions n’ont pas été retenues,.
Le discours du rapporteur du comité de pilotage fait l’impasse sur les sujets qui fâchent et reprend, à peu près, les trois axes dégagés initialement pour ces assises : la réussite de tous les étudiants, la place de la recherche en France et l’architecture du système de l’enseignement supérieur. Un certain nombre de propositions ont le mérite de revenir sur les excès ou les impasses des reformes des dernières années ; elles entendent notamment corriger les défauts de la loi LRU, presque unanimement reconnus par la communauté universitaire. QSF ne peut que souscrire à une telle résolution, tout comme il se réjouit de la volonté de revaloriser les conditions matérielles de la vie des étudiants.
QSF entend surtout attirer l’attention sur les solutions proposées dans le discours de synthèse à propos de la réforme de la licence. Pour la première fois le ministère reconnaît, même si c’est à travers les Assises, que les bacheliers technologiques et professionnels ne sont pas à leur place à l’université et que leurs lieux d’accueil naturels, les IUT et les STS, ne sont pas pour l’instant prêts à les prendre en charge dans la mesure où ils recrutent d’autres bacheliers qui ont d’ailleurs souvent le profil pour entrer à l’université. Le rapport de Vincent Berger préconise « qu’un grand nombre de places soient réservés » (p. 5) à des bacheliers technologiques et professionnels. Il n’est pas surprenant que les directeurs d’IUT ou autres membres de ces établissements aient, dans les ateliers qui ont préparé la journée de clôture des Assises, rejeté cette proposition. Ils entendent, et on les comprend un peu, conserver leur droit à sélectionner les étudiants à l’entrée de leurs filières. Ce cas prouve à l’envi que la seule solution rationnelle est, d’une part, d’étendre le principe de sélection, à toutes les filières universitaires qui le souhaitent et d’autre part, de prévoir des solutions pour les étudiants qui ne pourraient pas, dans un premier temps, accéder aux filières existantes, soit en créant pour eux des filières nouvelles adaptées à ce public, soit en prévoyant une année intermédiaire pour les remettre à niveau et leur permettre d’accéder aux filières existantes.
Pour améliorer la réussite des étudiants, il faut – nous dit-on – préconiser « la formation des enseignement supérieurs à la pédagogie, par exemple, la recherche sur la pédagogie dans le supérieur, ou […] la participation de tous les enseignants-chercheurs pour une partie de leur service à l’enseignement en licence » (p. 6). QSF ne peut que rappeler que l’échec en licence vient du fait que les étudiants qui échouent sont très souvent mal orientés, car ils ne sont pas sélectionnés, et que n’ayant pas les capacités requises pour suivre les enseignements qu’ils ont choisis (souvent par défaut), ils ne peuvent pas réussir leurs examens, et « décrochent » souvent bien avant qu’un contrôle ne sanctionne leurs difficultés. La pédagogie n’a donc rien à voir avec cet échec et on est un peu confondu de voir qu’un argument aussi peu sérieux ait pu devenir l’une des 121 propositions.
Encore plus préoccupantes sont les quelques solutions qui sont avancées pour la carrière des enseignants-chercheurs – question qui est, soit dit en passant, globalement mise de côté. Les deux seules mesures clairement identifiées sont la suppression de l’habilitation à diriger des recherches (HDR, proposition 106), et la suppression de l’agrégation du supérieur pour les disciplines juridiques, politiques et d’économie-gestion (proposition 110). Quant à la procédure de qualification, le rapport semble plus prudent, puisqu’il est écrit que sa suppression ne serait envisageable que si l’on trouve « des moyens convaincants pour lutter contre le recrutement local » (p. 13). Il n’est rien dit dans le rapport Berger sur la suppression de l’agrégation du supérieur, mais on peut supposer que la conjonction des groupes qui la souhaitent depuis longtemps, les présidents d’université d’un côté, et les syndicats d’enseignants hostiles à tout élitisme républicain, de l’autre, ont œuvré pour introduire cette proposition. QSF rappelle son attachement à ce principe du concours national de l’agrégation du supérieur qui est sans doute « le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres ».
Plus surprenante est l’offensive contre l’habilitation à diriger des recherches (HDR) au nom d’un argument qui se veut imparable mais qui est surtout inadéquat : cette étape de la carrière défavoriserait les femmes par rapport aux hommes. Si un décalage était effectivement sensible, dans le pourcentage des maîtres de conférences femmes et hommes qui réussissent leur HDR, QSF estime que des mesures devraient être prises pour aider les femmes à accomplir leur travail de recherche, notamment par des congés appropriés. La solution inverse, qui consiste à supprimer une sélection de qualité sous prétexte que les femmes n’arrivent pas à la passer remplace bien mal une politique de soutien aux carrières féminines. L’HDR a une vertu indéniable : elle permet de récompenser les maîtres de conférences qui ont continué à faire de la recherche après leur thèse. Cela leur donne notamment le droit à encadrer des thèses et à postuler au grade de professeur. QSF est favorable à une réflexion sur les contenus et la fonction de l’HdR, qui a connu un certain nombre de dérives : le laxisme de certains établissements qui la délivrent trop facilement sert la pratique du recrutement local, ou la transformation de l’HDR en une seconde thèse. C’est peut-être en raison de cette seconde dérive que certains maîtres de conférences pourtant actifs, qu’ils soient femmes ou hommes, ont des difficultés à l’obtenir. Il faut donc faire en sorte qu’ils puissent y travailler dans de bonnes conditions, par une politique du temps dévolu à la recherche.
QSF estime que les deux propositions de suppression de l’HDR et de l’agrégation du supérieur et l’éventualité de la disparition de la qualification ne sont pas des bons signaux adressés à la communauté universitaire. Le mérite scientifique doit rester le facteur déterminant dans le recrutement et l’avancement dans la carrière des universitaires.
QSF ne peut que regretter que l’amélioration du statut et des conditions de travail des enseignants-chercheurs ne fasse pas l’objet d’une réflexion nationale et de propositions concrètes. La réussite des étudiants passe aussi par leur droit à avoir les meilleurs enseignants-chercheurs.
QSF a publié une version commentée des 121 propositions, qui permet de mieux comprendre les aspects positifs, les risques et les inconvénients de chacune: Lire le commentaire des 121 propositions des Assises