Le projet d’arrêté « fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat » soulève de nombreuses interrogations et provoque chez les universitaires une vive inquiétude quant à ses finalités et à ses conséquences.
QSF dénonce l’indigence intellectuelle d’un texte qui n’est pas à la hauteur des enjeux et qui porte atteinte au seul diplôme qui avait jusqu’ici échappé à l’actuelle furia réformatrice. Au lieu de s’attaquer au manque de reconnaissance économique et social du diplôme de doctorat, en imaginant un cadre juridique ambitieux et novateur pour le plus haut grade universitaire français, le projet d’arrêté brille pour l’absence totale de toute réflexion sur la fonction du doctorat dans la maturation critique du jeune chercheur, sur le rôle qu’il pourrait jouer dans la croissance intellectuelle et économique de la nation, dans le progrès scientifique. Le document répond, une fois de plus, à une logique purement pédagogique et repose sur une conception administrative et collectiviste de la recherche individuelle. Le doctorat n’est pensé par les experts du ministère que comme un post-Master à mener à bien en trois ans, dans l’esprit de la « réussite pour tous » !
Le doctorat actuel est loin d’être parfait, même s’il jouit d’une réputation internationale indiscutable et répond pour l’essentiel aux exigences de qualité et de rigueur de la communauté scientifique. Plusieurs questions auraient mérité d’être abordées dans ce projet d’arrêté. On aurait pu ainsi réfléchir aux difficultés de financement des doctorants, aux conditions de travail des doctorants (bureaux, accessibilité des bibliothèques, mobilité scientifique, etc.), à la surcharge horaire qu’implique pour les doctorants une formation de plus en plus chronophage et de moins en moins liée à leurs recherches, à la place excessive des Écoles doctorales dans la relation entre le directeur de recherches et le doctorant, à la fonction des laboratoires dans la recherche en sciences humaines et sociales, à l’inflation des plus hautes mentions, au lien pervers entre la prime d’encadrement doctoral et de recherche et le nombre de thèse inscrites, à la durée des thèses, au nombre d’abandon de thèses dont certaines ont été financées par une allocation, etc. Le projet d’arrêté aurait pu ainsi définir un cadre général, fixer des prescriptions qui garantiraient le caractère national du diplôme, en laissant à chaque établissement la liberté de définir des solutions adaptées à la diversité des disciplines et aux situations locales.
Le ministère a préféré une fois de plus passer outre l’autonomie des universités, devenue désormais la feuille de vigne qui cache les privilèges des présidents d’université, et imaginer des mesures administratives très contraignantes et pour le doctorant et pour le directeur de recherches, réduit de fait à simple garant administratif et mis sous la double tutelle des Écoles doctorales et des comités de suivi.
QSF estime qu’un texte réglementaire sur le doctorat aurait requis avant tout une réflexion préalable sur les exigences différentes qu’implique la qualité scientifique selon les disciplines, selon le type de recherche, donc de thèse. Imposer le modèle des sciences de la vie et de la nature, pour lesquelles la place des infrastructures scientifiques et la recherche collective ou en réseau est essentielle, à la plupart des sciences humaines et sociales, revient à transformer en profondeur le concept de thèse et à l’uniformiser selon une seule perspective herméneutique et administrative.
QSF considère que l’on ne peut pas fixer le cadre national du doctorat en ce qui concerne la durée légale d’une thèse, la composition des jurys, le rôle du directeur de thèse au sein de ces mêmes jurys ou encore la relation entre laboratoire, doctorants et directeurs de recherche sans tenir compte des spécificités disciplinaires et des attendus de la communauté scientifique dans chaque secteur.
QSF déplore surtout un projet d’arrêté qui risque de porter le coup de grâce au doctorat, en introduisant la possibilité qu’il puisse être obtenu « par la voie de l’apprentissage ou par la voie de la validation des acquis de l’expérience ». Au lieu de concevoir un texte de lois favorisant la reconnaissance par le monde du travail du statut de docteur et sa juste valorisation, le ministère cède à la pression de quelques groupes de haut fonctionnaires, qui bénéficient déjà de nombreux privilèges, et fait du doctorat un diplôme honorifique. Une telle dérogation risque de saper les fondements épistémiques et déontologiques du diplôme de doctorat, sans pour autant répondre aux attentes des entreprises et de la recherche, publique et privée. Le doctorat doit rester, pour QSF, le socle de la recherche fondamentale. Il doit correspondre à un parcours scientifique exigeant, fondé sur la maturation critique et la liberté de recherche du doctorant, menant à la réalisation individuelle d’un travail original et novateur, soumis à la critique de la communauté scientifique de référence.
QSF a décidé de lancer une réflexion de fond sur cette question capitale pour la recherche française, en ouvrant son site aux universitaires qui souhaitent intervenir et sur le projet d’arrêté et, plus généralement, sur la place du doctorat dans le dispositif de la recherche universitaire et dans l’édification d’une économie de la connaissance[1].