Alors que paraît à la Martinière un ouvrage étalant les plus belles universités du monde, nous rappelant que les universités furent des lieux de prestige et le demeurent, Le Monde du 23.12.2015 relaie les idées des étudiants de l’université de Louvain. On déplore souvent la passivité des étudiants, leur manque d’imagination. Quand on lit de telles idées lumineuses pour l’avenir, on se dit que tout n’est pas perdu, et que l’espoir brille au fond du tunnel académique.
1) Rendre les cours magistraux interactifs grâce au numérique
Trop longs, trop théoriques, Martin pense que les cours magistraux ne sont pas très attractifs. Il propose que les professeurs interrogent les étudiants pendant le cours grâce à une application smartphone, sous forme de quiz. Le cours serait ainsi plus interactif et l’enseignant pourrait évaluer en direct les points de de son cours à éclaircir, en fonction des scores de ses étudiants.
2) Entreprendre pour financer ses études
Stéphanie propose d’intégrer directement dans la formation un projet d’entreprise, de recherche appliquée ou d’entreprenariat social. Application pratique et directe du cours, ce projet permettrait également aux étudiants de mettre un pied dans le monde de l’entreprise et
3) Intégrer des Moocs (cours gratuits en ligne) dans les formations existantes
Les MOOCs – pour « Massive online open courses » (cours en ligne ouverts à tous) – sont aujourd’hui très appréciés par les étudiants, en complément de leur formation ou comme loisir. Martin propose que l’université leur consacre des crédits ECTS, ces points permettant de valider un diplôme, comme s’ils étaient une matière à part entière, en complément des cours traditionnels.
4) Déconstruire la semaine de cours traditionnelle
Jean-Luc est parti d’un constat : il n’y a que dans l’enseignement que les jours et les semaines sont rythmés par des événements répétitifs. Dans le monde du travail, les employés se consacrent plutôt à une tâche pendant une période donnée, avant de passer à une autre, en bénéficiant de l’expérience acquise dans le projet précédent. Il propose donc de la même façon de concentrer les cours sur un petit nombre de matières, en petits groupes. Les étudiants pourraient alors se consacrer à quelques matières à la fois, en étant mieux accompagnés et évalués par projet.
5) Ne pas chercher, simplement trouver
Charles a inventé la « non-recherche » pendant un doctorat : faire une thèse de trois ans consacrée à faire de petites trouvailles concrètes et non de grandes recherches théoriques. Au lieu d’une soutenance à la fin, il propose une exposition de prototypes. Et pourquoi pas de fabriquer les meilleures trouvailles dans des fablabs.
6) Faire des cours plus courts
On le sait, la concentration diminue fortement après 30 minutes. Concevoir des cours de 30 à 45 minutes, plutôt que 2 heures, c’est plus de productivité, moins d’ennui, plus de concentration pour les étudiants et moins de fatigue pour le professeur, d’après Vincent.
7) Tirer les enseignants au sort dans la population
Dans l’Antiquité grecque, le tirage au sort était la règle pour désigner les membres de certaines institutions exécutives et juridiques. Alexandre part du principe que tout le monde dispose de connaissances à partager et propose donc d’appliquer la même méthode pour choisir les enseignants. Ils seraient tirés au sort dans la population pour un an seulement, afin de rester motivés, pourraient bénéficier d’une formation avant de proposer un cours dans leur domaine de prédilection.
8 ) Créer des espaces de relaxation au sein de la fac
40 % des étudiants disent avoir du mal à gérer leur stress d’après une étude parue début décembre. Aurélien imagine une université conçue pour aider les étudiants à rester zen : sièges relaxants, phéromones antistress, luminothérapie … Pour concevoir ces dispositifs, il propose même une collaboration entre étudiants en design et en architecture.
9) Créer un camping des recalés
Rassembler créatifs et pédagogues du monde entier plusieurs mois par an pour venir en aide aux étudiants en difficulté lors d’un camping numérique, c’est l’idée plutôt originale de Michaël. Au programme : révisions par de multiples canaux d’apprentissage, espaces de détente, lieu de rencontre avec des professionnels, coaching personnalisé, yoga et cocktails d’été.
10) Constituer des classes intergénérationnelles
Pour Olivier, les étudiants de 2035 auront entre 7 et 77 ans, ce qui permettra de profiter des expériences et visions de chacun, en mélangeant disciplines et classes d’âge. La fac deviendrait un lieu où les différentes générations pourraient communiquer et mieux se comprendre. »
À la lecture de ces propositions lumineuses et inventives on se pose deux questions : a) comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt (par exemple quelle idée géniale de demander aux enseignants d’interroger leurs étudiants de temps en temps pour savoir s’ils ont compris le cours ! et quelle idée géniale de le faire avec un smartphone plutôt qu’oralement devant la classe !) b) pourquoi ces propositions seraient-elles utopiques puisque la plupart correspondent à des dispositifs déjà en place (par exemple les MOOCs font déjà partie des enseignements existants dans de très nombreuses universités, beaucoup voudraient les substituer aux enseignements existants, et les auditeurs libres du troisième âge sont déjà sur les bancs des universités faisant profiter les jeunes générations de leur expérience).
Les autres dispositifs emportent aussi l’enthousiasme. Ils visent tous à modeler l’université sur les deux institutions dont jusqu’à présent elle s’est, à son grand tort, soigneusement éloignée : l’entreprise et les loisirs. Mais là aussi les utopistes ne voient pas que ce qu’ils proposent est déjà dans la réalité : la plupart des universités américaines sont déjà des entreprises (et les MOOCs sont gérés par des plateformes privées) et c’est ce modèle qui va s’imposer partout. Aux US il y a déjà une Apple University et une (mais oui !) Hamburger University (de Mc Donald) destinées à instruire les étudiants dans les matières des firmes qui les financent, exactement sur le modèle des écoles Pullman au dix-neuvième siècle, décrites par Michael Walzer dans ses Sphères de justice (Éditions du Seuil, 1997). On attend les universités LinkdIn et Face Book, dans lesquelles on apprendra en réseau, en likant les posts de ses friends. On notera pourtant que si les étudiants veulent que les universités soient comme des entreprises, ils ne souhaitent pourtant pas qu’elles soient payantes. On admirera le sain idéalisme de la jeunesse européenne. La grande sagesse de ces étudiants est d’avoir compris que les universités ne peuvent plus délivrer des savoirs théoriques, livresques, généralistes. Elles doivent délivrer des savoirs pratiques, car savoir, c’est savoir-faire. Le responsable des tests PISA n’a-t-il pas dit : « Le monde moderne se moque bien de ce que vous savez. Il s’intéresse à ce que vous savez en faire. »
Quant aux loisirs, ils seraient en effet la contrepartie naturelle d’une vie universitaire calquée sur le monde du travail. Renchérissant sur la proposition 4) , aux accents derridiens bienvenus, on pourrait proposer d’installer, dans chaque amphi, ou à côté de chaque amphi, des salles de relaxation où les étudiants pourraient faire la sieste quand ils en ont envie. Ce serait tout de même plus confortable que de les voir dormir sur des sièges raides dans les amphis. Si l’on objecte que les étudiants seraient très nombreux dans ces salles de relaxation et qu’il faudrait pour cela de la place dont les universités ne disposent pas, la réponse est toute trouvée : avec l’usage quasi-universel des MOOCs les étudiants ne viendraient plus à l’université, sauf pour s’installer dans ces salles de relaxation. Ou bien alors ils se relaxeraient chez eux sur leurs sofas, ce qui libérerait les salles de relaxation pour ceux qui n’ont pas de sofa à domicile. Ainsi l’égalité sociale serait favorisée.
Quant à l’idée du camping pour les recalés, elle est tout simplement admirable, car elle offre des loisirs – on pense au fameux film avec Frank Dubosc – au lieu de punitions. Jadis on envoyait les enfants turbulents en colo ou en summer camp. Sous une tente, que n’apprend-on pas, surtout s’il y aussi des filles! On pourrait aussi nommer chefs de camp les mauvais professeurs, qui feraient ainsi de bons scouts. Le scoutisme n’est-il pas lui aussi une école de savoir-faire ?
La proposition 5, ne pas chercher, simplement trouver, est tout aussi brillante. Comment n’y a t-on pas pensé avant ? Cela résoudrait le paradoxe du Ménon, car si l’on se contentait de trouver, il n’y aurait pas besoin de savoir ce qu’on cherche, ni même de se demander si on l’a trouvé, puisque ce serait nécessairement le cas. Pensons là encore à l’économie réalisée par l’Etat dans les pays qui ont des institutions de recherche entièrement dédiées telles que le CNRS. On pourrait le supprimer, puisqu’au lieu des chercheurs on aurait des trouveurs. Et un trouveur n’a pas besoin d’autre chose que d’un service valorisation et de dépôt des brevets. Le CNRS rétablirait son budget, et pourrait ainsi damer le pion aux universités, qui ne trouveraient rien, puisqu’elles n’auraient pas de centres de trouvaison, et se réduiraient à des MOOCs.
De même la proposition 6, faire des cours plus courts, est très bonne. Les psychologues ont montré que l’attention span chez le jeune adulte ne dépasse pas 20 mn et qu’il suffit d’une interruption de 2 minutes (par exemple par un message reçu sur Face Book) pour que l’attention retrouvée prenne plus de 10 minutes. Les cours pourraient durer 10 à 15m, ce qui est assez bien. On pourrait, comme les Scopitone que les jeunes générations ne connaissent pas mais gagneraient à découvrir, les limiter à 2mn 35. Comme nous avons affaire à des digital natives, écouter trois scopitone à la fois en MOOCs devrait être un gain de temps et d’attention, permettant de se livrer à d’autres activités (par exemple faire son mail, répondre sur les réseaux sociaux, ou dormir). Quant aux professeurs, quel gain de temps ! Avec des cours de 2 à 10 minutes, ils passeraient moins de temps dans les bouquins, et plus à dialoguer avec les étudiants.
La proposition 7 est de loin la plus révolutionnaire (elle l’est d’autant plus qu’elle rappelle aux plus anciens parmi nous la Révolution culturelle du président Mao). On tire bien au sort les jurys populaires pour des décisions autrement plus importantes que celles d’apprendre les mathématiques ou la géographie, alors pourquoi pas les professeurs ? Mais on peut objecter deux choses. L’une est qu’on ne peut pas être sûr, même quand il s’agit de demander son chemin dans la rue ou de trouver un bon plombier, que la première personne prise au hasard dans la rue, fera l’affaire , et il n’est pas évident que cela pourra se faire en économie des entreprises ou en gestion. Le remède ici, ce sont les MOOCs : n’importe qui peut devenir très fort en égyptologie avec un MOOC, donc pourquoi pas en gestion financière ou en histologie? L’autre objection est que cette mesure est inutile car elle est déjà en œuvre. Les conditions dans lesquelles les enseignants d’université sont nommés ne sont-elles pas le produit du hasard à au moins 90% ? D’abord du déterminisme social, puisque 80% des fils d’enseignants et de la bourgeoisie font des études supérieures. Or c’est le hasard qui les fait naître dans classes aisées. Donc s’ils occupent les postes universitaires, c’est encore par hasard, exactement comme c’est par hasard que les retraités se retrouvent tous sur des bateaux de croisière ou les acteurs dans des villas à Beverly Hills. Ensuite, quiconque a fréquenté le CNU et les commissions chargées de nommer les professeurs sait que les résultats ne sont pas meilleurs que si on les tirait au hasard. Raymond Aron ne rappelait-il pas dans ses Mémoires que les nominations à la Sorbonne dépendaient souvent du fait que tel enseignant était allé aux toilettes ou déjeuner pendant un vote ? Cette proposition ne ferait que rétablir ce qui existe déjà, et elle ferait faire des économies au Ministère et à toutes les associations, qui, comme QSF, se fatiguent à proposer des candidats au CNU ou à s’occuper de la qualité et de la justice du recrutement universitaire.
Enfin, de telles mesures, si mises en œuvre complètement, auraient un immense avantage: elles libéreraient ces plus belles universités du monde, qui pourraient devenir des lieux touristiques ou des hôtels de luxe. Je ne dormirais pas à Stanford ou dans la Sorbonne, mais cela ne me déplairait pas de le faire à Bologne ou Salamanque.