Les universitaires peuvent éprouver les inquiétudes les plus fondées sur le projet de réforme concernant l’accès en Master. Rappelons d’abord qu’il s’agit désormais du seul diplôme universitaire où l’on peut encore adosser l’enseignement à la recherche et dispenser une formation exigeante pouvant ouvrir aux carrières universitaires aussi bien qu’être valorisée sur le marché de l’emploi (héritage des anciens DEA et DESS).
Au printemps dernier, à la suite d’un laborieux compromis, arraché de longue lutte, le décret du 25 mai 2016 avait énuméré la liste des M2 (master 2ème année) pouvant sélectionner sur dossier leurs étudiants. En réalité, un peu moins de la moitié des formations de Master sont autorisées à opérer cette sélection entre le Master 1 (M1) et le Master 2 (M2). Il s’agissait d’une solution provisoire, peut-être insatisfaisante, mais qui avait l’immense mérite de conserver la sélection où elle devait se faire en raison de la disproportion entre l’offre et la demande. A l’occasion de cette lutte qui avait opposé les présidents d’université et les universitaires au gouvernement, la ministre de l’Éducation nationale, Mme Vallaud-Belkacem,) avait eu l’audace, à l’Assemblée nationale, de qualifier toute mesure de sélection de « rétrograde », propos que QSF n’avait pas manqué de critiquer vivement en rappelant l’existence du système sélectif concurrentiel.
Une délégation de QSF avait été entendue, en juin 2016, par le cabinet de M. Mandon, qui avait annoncé la possibilité pour les responsables des filières de Master de choisir les étudiants à l’entrée du M1. Mais en août 2016, deux tribunaux administratifs (Bordeaux et Montpellier) ont refusé d’admettre en M2 des étudiants en se fondant sur le décret du 25 mai 2016 qui n’avait pas été respecté. Ce dernier n’a donc jamais été déclaré illégal, et il n’y a donc aucune insécurité juridique, contrairement à ce qu’on prétend ici ou là. Alors qu’il n’y a donc ni urgence, ni nécessité de revenir sur le compromis de mai 2016, le gouvernement entend régler désormais par la loi la question de l’accès en Master 2. Dans une interview parue dans Les Echos du 11 septembre, Mme Vallaud-Belkacem déclare que cette nouvelle loi devrait s’inspirer du principe selon lequel chaque diplômé de Licence aurait « le droit » de s’inscrire en Master. Autre manière de dire que toute sélection serait prohibée.
La ministre justifiait cette réforme par l’objectif de passer du 15-16 % actuel d’une classe d’âge diplômée de Master en France à 25 %. Encore une fois, on veut imposer aux universités une énième réforme au motif d’une élévation nécessaire du nombre des diplômés. Après avoir eu droit au 80% de succès au bac, et au 60 % en licence, on devrait subir le nouveau diktat de la ministre instituant le 25% de réussite en Master. Cette politique de Gribouille vise, à l’Université du moins, à sacrifier la qualité au profit de la quantité. Le pire semble à venir donc : supprimer la sélection entre M1 et M2, sans l’introduire entre le L3 et M1, le but étant pour le Ministre d’assurer ce que l’UNEF appelle « le droit à la poursuite d’études ».
Une telle réforme est inadmissible pour QSF qui, depuis sa création, proclame le droit pour les universités de choisir leurs étudiants à l’entrée de la première année de la licence. A défaut de cette sélection initiale, le système marche sur la tête : les universités récupèrent les étudiants qui n’ont pu aller ailleurs. C’est seulement au niveau du Master que les universités peuvent faire la concurrence aux Grandes Écoles et former les meilleurs étudiants, choisis par des équipes pédagogiques à la sortie du M1.
Cette réforme est en outre inadmissible parce que la formation de deuxième cycle ne peut en aucun cas dépendre uniquement de la demande. C’est l’offre de formation, autrement dit ce sont les connaissances et les recherches partagées par des professeurs universitaires avec des étudiants préparés, motivés et possédant un niveau comparable de compétences, qui constituent les seuls critères d’admission. Les séminaires de Master ne sont pas des cours magistraux et encore moins des cours de remédiation. Il est essentiel que le professeur et les étudiants puissent travailler ensemble dans des groupes homogènes et aux effectifs restreints, permettant à l’enseignant-chercheur d’encadrer et diriger chaque étudiant. Il en va de la qualité de la formation dispensée, des chances d’une insertion professionnelle qui ne soit pas au rabais pour les diplômés, et d’une véritable « élévation du niveau de qualification » des jeunes générations.
Enfin, cette réforme serait inacceptable parce que, si l’on devait concéder ce nouveau « droit » au diplôme de Master, ce serait le coup de grâce asséné aux universités. Privées de toute sélection de la 1ère à la 5ème année, nos facultés subiraient encore davantage la concurrence déloyale du système sélectif des Grandes Écoles, des IUT et BTS, des écoles de commerce, dont l’existence et le fonctionnement ne semblent choquer ni la ministre ni l’UNEF.
QSF estime donc que la sélection en M1 est le seul moyen de permettre aux universités françaises, qui ne cessent de chuter dans les classements internationaux, de garder un minimum d’attractivité. Pense-t-on qu’on va les faire progresser en laissant croire aux étudiants de licence qu’ils vont tous pouvoir entreprendre des Masters et en mettant les enseignants devant des publics de plus en plus mal équipés pour entreprendre de vrais travaux universitaires ?
QSF rappelle à tous qu’elle avait été en première ligne lors du rejet en 2009 du projet de décret statutaire. Elle le sera avec la même détermination et la même pugnacité à côté de la communauté universitaire, pour rejeter un projet de loi qui ruinerait la crédibilité des études universitaires.