QSF a reçu la tribune suivante de Pierre Merlin, président honoraire de notre association (président de 1985 à 2003) qui exprime, à propos de l’actuel projet de loi sur l’accès au Master, un avis différent de celui énoncé par QSF dans ses communiqués récents.
Le bureau de QSF a souhaité publier sur son site cette position différente d’un ancien président de l’association car elle tient au pluralisme. Les lecteurs pourront ainsi mieux juger si le projet de réforme introduit la sélection en Master, comme l’affirme P. Merlin, ou si, comme l’ont montré le président et le vice-président actuels de QSF (Olivier Beaud et Claudio Galderisi) dans l’article publié par Le Monde le 6 octobre 2016, un tel projet est la négation de la sélection, dans la mesure où il contient le droit contraire à la « poursuite des études » en Master pour tous, droit réalisé par l’intervention du Recteur au mépris de l’autonomie des universités et de la souveraineté des jurys d’admission.
Depuis la loi Faure (1968), la sélection est interdite à l’entrée de l’université. Mais, paradoxalement, elle est interdite à l’entrée des études universitaires. La loi Savary (1984) confirme cette disposition pour l’accès aux études de deuxième cycle sauf pour une liste limitative de formations, fixée par décret, en raison de leurs capacités d’accueil. Or, aucun décret en ce sens n’avait été pris, moins par oubli que par crainte, de la part des ministres successifs, du caractère explosif du mot sélection, devenu un véritable tabou.
Dans les faits, des formations de plus en plus nombreuses avaient introduit, en toute transparence mais en toute illégalité, une sélection le plus souvent à l’entrée de la deuxième année, du master. L’inévitable s’est produit : des étudiants refusés ont engagé des recours juridiques et ont obtenu gain de cause. Devant la situation ingérable ainsi créée, le gouvernement a publié le 25 mai 2016 un décret comportant une liste de masters pour lesquels l’accès en 2e année pouvait être subordonné à la rentrée 2016 à une sélection par concours ou sur dossier et promis de trouver une solution durable par voie législative.
De fait, le gouvernement a proposé de retenir deux principes : la possibilité d’un “processus de recrutement (donc droit de sélection)” à l’entrée en master, mais sans sélection intermédiaire entre les deux années ; tout titulaire d’une licence doit se voir proposer une poursuite d’étude dans un cursus de master.
Ce projet comporte ses zones d’ombre. La principale est que c’est au recteur qu’il reviendra de faire aux étudiants refusés dans le (ou les) master (s) de leur choix trois propositions en “tenant compte de l’offre de formation existante, des capacités d’accueil, du projet professionnel de l’étudiant, de l’établissement où l’étudiant a obtenu sa licence et des pré-requis des formations». La tâche confiée aux recteurs est-elle réaliste ? N’y aura-t-il pas des spécialités où “l’offre de formation” ne permettra pas de l’accomplir ?
Accessoirement, le projet prévoit que certaines formations (psychologie, droit) pourront “fonctionner selon le système actuel […] à titre transitoire” ? N’y a-t-il pas là le germe d’un système à deux vitesses, voire du retour à la jungle qui sévit actuellement ?
Le projet, établi après un large débat, comporte d’indéniables avancées :
- il redonne son unité au deuxième cycle (master) dans l’esprit de la réforme LMD de 2002, ;
- il supprime la situation absurde d’étudiants admis dans une formation de master en M1 et ne pouvant la poursuivre en M2 ;
- surtout, il introduit les notions de pré-requis pour l’accès à une formation, de capacités d’accueil et la possibilité d’admission « subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat » (le texte emploie même l’expression « droit de sélection »).
Certaines des objections à ce projet ne sont pas recevables :
- les étudiants refusés dans les filières les plus prestigieuses devraient être accueillis dans des formations moins demandées. Mais n’est-ce pas là la traduction du niveau inégal des formations d’une même spécialité ? N’est-il pas logique et souhaitable que les meilleurs étudiants suivent les formations les plus demandées et inversement ?
- ce sont les étudiants des classes défavorisées qui seraient les victimes de la réforme. Au contraire, le processus de sélection rétablit un recrutement selon les mérites ;
- la mission des enseignants-chercheurs, sauvegardée dans l’organisation actuelle en M2 serait compromise. Devait-elle s’exprimer à travers une seule année (la 5e) des études universitaires ? N’est-ce pas un progrès qu’elle s’accomplisse durant l’ensemble du master ?
Certes, le projet de réforme ne règle pas tous les problèmes de l’université. L’expérience seule dira si le rôle confié aux recteurs peut être assuré. Mais surtout faut-il continuer à accueillir de droit dans la licence de son choix tout titulaire d’un baccalauréat général, technologique ou professionnel avec les taux d’échec inacceptables que cela entraîne ? Faut-il continuer à laisser envahir les formations techniques (BTS et IUT) par les étudiants qui fuient les premiers cycles universitaires, quitte à y revenir après deux ou trois ans d’études ? Faut-il enfin maintenir la fiction d’un baccalauréat, premier diplôme universitaire, alors que 88,5 % des élèves (davantage à la suite de redoublements) y sont admis ou le transformer en certificat de fin d’études secondaires pour lequel un taux très élevé de succès serait normal et souhaitable ?
Mais, s’il laisse ouvertes des questions fondamentales, auxquelles aucun gouvernement ne s’est jamais attelé, le projet constitue un progrès réel pour les deuxièmes cycles (master). Il ouvre une porte, encore étroite, à la sélection à l’entrée de l’université, indispensable pour rendre à l’université française, comme dans tous les grands pays, son rôle de formation de haut niveau en contact étroit avec la recherche.
Pierre MERLIN
Président d’honneur de l’association pour la qualité de la science française (QSF)
Ancien président de l’Université de Paris VIII-Vincennes