QSF vient de prendre connaissance du projet de décret statutaire concernant, entre autres, la mutation des enseignants-chercheurs.
Ce projet de décret vient d’être modifié après être passé devant le comité technique des personnels enseignants titulaires et stagiaires de statut universitaire (CTU). Le texte est encore plus inquiétant que ce que l’on pouvait craindre. Il comprend deux dispositions qui sont selon QSF scandaleuses.
1/ La plus grave concerne la procédure de mutation. Ce texte, qu’ont dénoncé avec véhémence Lionel Collet et Jean-Loup Salzmann dans une tribune récente (« Pourquoi tant de haine contre l’autonomie des universités », Les Echos, 8 mars 2017), entend, selon les mots des deux anciens présidents de la Conférence des présidents d’université (CPU), « imposer aux universités la priorité des mutations sur les recrutements […] en contradiction avec les traditions universitaires et en méconnaissance totale du fonctionnement des laboratoires de recherche et des équipes pédagogiques ».
Pour comprendre la portée du changement, QSF rappelle que la procédure de mutation a été modifiée en 2014 pour permettre l’application au droit universitaire des dispositions de l’article 60 et 62 de la loi du 19 janvier 1984 sur la fonction publique. Au terme de l’article 9-3 du décret statutaire de 1984, les candidats à la mutation et au détachement pour le cas du « rapprochement de conjoint », ne sont plus soumis à la procédure de droit commun selon laquelle le comité de sélection est le seul compétent pour apprécier le recrutement et la mutation. C’est le conseil académique qui est désormais compétent et qui propose un nom au Conseil d’administration de l’université, celui-ci pouvant donner toutefois un avis défavorable. Lorsque la procédure échoue, la compétence revient au comité de sélection.
L’actuel projet de décret aggrave considérablement la situation en étendant cette procédure dérogatoire à tous les cas où l’université déciderait de réserver des postes à la mutation. C’est ce qui ressort clairement à la lecture de l’exposé des motifs du décret : « les candidatures aux emplois d’enseignants-chercheurs réservés à la mutation sont désormais examinées directement par le conseil académique ou l’organe en tenant lieu, sans recours à un comité de sélection ». L’ajout de l’article 9-4 traduit ce changement en disposant : « Lorsque l’emploi est réservé à la mutation en application de l’article 33 ou de l’article 51, le conseil académique ou l’organe compétent pour exercer les attributions mentionnées au IV de l’article L. 712-6-1 du code de l’éducation, siégeant en formation restreinte, étudie les candidatures, sans examen par un comité de sélection. » Le conseil académique intervient donc en ordonnant le classement, après avoir chargé du rapport deux membres universitaires. Le conseil académique a la faculté de s’y opposer par un avis défavorable motivé, mais il ne peut remettre en cause le classement. Alors que selon l’article 9-3, le comité de sélection redevenait compétent après échec de la procédure, dans la nouvelle procédure fixée par l’article 9-4, cette disposition disparaît. C’est la preuve manifeste que désormais le droit commun de la mutation échappe aux comités de sélection.
Le texte amendé par le CTU est encore pire que le projet de décret soumis à cette instance, car on pouvait interpréter la version antérieure comme limitant la mutation au seul cas de rapprochement de conjoints. Certes, les syndicats ont obtenu la suppression de l’équivalent de l’entretien d’embauche qu’avait revendiqué la CPU (entretien avec le « directeur de composante ») et l’ajout de l’intervention des deux membres universitaires pour rédiger un rapport. Ils n’ont pu cependant s’opposer à la réécriture du texte, qui valide la généralisation de cette procédure de mutation et qui dépossède les comités de sélection de cette prérogative fondamentale.
QSF dénonce cette violation du principe de la cooptation par les pairs, qui est au fondement du recrutement des universitaires. Ceux-ci sont désormais complètement dépossédés de la procédure de recrutement de leurs collègues lorsqu’il est « décidé » de réserver des emplois à la mutation et de ne pas les ouvrir au recrutement. Pour ne prendre qu’un seul exemple des effets potentiellement délétères d’une telle procédure, il suffit de comprendre que lorsque la procédure sera déclarée « réservée » pour un recrutement de Professeur, les maîtres de conférences qualifiés par le CNU n’auront plus la possibilité de concourir. C’est donner un avantage inadmissible à ceux qui sont déjà statutaires. Le principe de la cooptation par les pairs compétents aura été ainsi enterré.
Notre association s’oppose fermement à un tel dévoiement du statut des enseignants-chercheurs. QSF rappelle que l’un des principes de base de l’université est le droit des universitaires qui souhaitent se soumettre à la procédure de recrutement ou de mutation de pouvoir être évalués par leurs pairs, non seulement pour leur enseignement mais aussi pour leurs productions intellectuelles. Un professeur de collège ou de lycée peut demander sa mutation sans qu’on évalue sa recherche, parce que son enseignement est supposé avoir la même qualité, même en l’absence de travaux scientifiques. Mais il y a une différence essentielle entre ces fonctionnaires et les universitaires : ces derniers n’ont pas seulement pour fonction de transmettre le savoir, mais de le produire en leur qualité de chercheurs. Lorsqu’ils souhaitent passer d’une université à une autre, ils ne sont pas seulement élus par leurs pairs pour leurs mérites en tant que fonctionnaires, mais aussi pour leur parcours de chercheurs, pour les savoirs qu’ils ont su produire.
La généralisation d’une telle procédure pour la mutation viole pour QSF la nature même de l’université, telle qu’elle a été conçue en France depuis deux siècles, et telle qu’elle est pratiquée partout ailleurs dans le monde. Son adoption ferait de notre pays la risée de toutes les universités qui comptent dans le monde entier.
2/ QSF porte un avis également très négatif sur les articles 25 et 26 du projet. Ces articles modifient l’équilibre entre les articles 46-5 et 46-1. D’après les articles 25 et 26, les vice-présidents statutaires relèveront à l’avenir non plus de l’article 46-5 mais de l’article 46-1, autrement dit, des maîtres de conférences qui occupent la fonction de vice-présidents n’auront plus besoin de passer par un comité de sélection et par le jugement de leurs pairs mais ils pourront être promus dans le corps des professeurs par le Conseil d’administration. Jusqu’à présent, seuls les maîtres de conférences présidents d’université ou anciens présidents avaient droit à cette procédure atypique, qui leur permettait d’être qualifiés non pas par leur section CNU, mais par une autorité ad hoc, mixte, dans laquelle les élus universitaires ne sont pas majoritaires. Il s’agit d’une concession à la CPU, qui élargit encore une fois la promotion par la voie administrative et confirme le hiatus de plus en plus profond entre les administrateurs de la recherche et la communauté universitaire.
En élargissant cette voie exceptionnelle au corps des professeurs, le gouvernement affaiblit une nouvelle fois le niveau d’exigence scientifique requis pour devenir professeur d’université et récompense indûment des universitaires qui obtiennent en contrepartie de leur engagement administratif, auquel sont liées des primes substantielles, une promotion fondée sur un critère qui n’est pas académique.
QSF estime que ce projet de décret constitue une atteinte sans précédent au statut des enseignants-chercheurs et aux libertés académiques ; il revient à traiter les universitaires de la même manière que les professeurs des écoles spéciales napoléoniennes et conduit à assimiler le statut des universitaires à celui des professeurs de l’enseignement secondaire.
QSF rejette une telle vision de l’université et du statut des universitaires et demande à la ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et au secrétaire auprès de la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de renoncer à un projet liberticide et nuisible pour nos facultés, nos laboratoires, nos enseignements et nos carrières.
Notre association appelle tous les collègues à se mobiliser contre cette réforme qu’un pouvoir en fin de mandature veut faire passer sans que la communauté universitaire en ait été correctement informée et qu’elle ait eu le temps d’en discuter