Le législateur a définitivement adopté jeudi dernier la « Loi Orientation et réussite des étudiants ». L’accélération du processus législatif laisse présager qu’elle sera promulguée très vite par le président de la République.
Dans son communiqué du 31 octobre dernier, QSF avait apporté un soutien vigilant et exigeant au projet de loi présenté par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, en formulant notamment cinq propositions concrètes, qui n’ont pas toutes trouvé l’écho espéré.
Le projet de loi du gouvernement présentait un ensemble de mesures qui pouvaient contribuer, selon notre association, à augmenter le taux de réussite en licence et accroître l’attractivité de l’université. QSF a donc soutenu cette réforme, malgré des réserves sur la prudence de quelques formulations, notamment dans l’article 1er, et un certain flou concernant les modalités de mise en œuvre des parcours pédagogiques ouverts aux étudiants admis sous condition (oui si).
La position de QSF était en cohérence avec ce que notre association réclame depuis trente-cinq ans, notamment l’introduction d’une forme de contrôle de l’accès à l’université par des prérequis ; une meilleure orientation dès le lycée ; une période de remise à niveau avant l’entrée en licence ; la possibilité d’accélérer ou de modérer le rythme d’obtention de la licence selon les capacités et les souhaits des étudiants.
Le texte de loi approuvé hier va dans le sens de quelques-unes de ces préconisations mais ne peut satisfaire complètement QSF. L’association estime que les progrès contenus dans la loi sont en partie contrebalancés par des formulations alambiquées et par une série d’inconnues concernant la mise en œuvre des « dispositifs d’accompagnement pédagogique et des parcours de formation personnalisés » (article L. 612-3 du code de l’éducation), la « validation de ces parcours et de ces dispositifs » (ibidem), les contenus didactiques de la remise à niveau, et, surtout, les modalités d’inscription des étudiants admis sous condition – les oui si – (art. I, alinéa 1).
Par-delà la question des formulations trop prudentes ou volontairement confuses, la rédaction de ce qu’est devenu finalement l’article L. 612-3 –II a provoqué de vives réactions dans les derniers jours. Lors du vote du jeudi 9 février, le Sénat a approuvé un amendement proposé par le rapporteur de la loi et portant sur les capacités d’accueil. Cet amendement modifiait radicalement l’esprit et le sens de la réforme, liant de manière mécanique et exclusive les capacités d’accueil aux « taux de réussite et d’insertion professionnelle observés pour chacune des formations », et imposant de « guider les choix d’ouvertures de places dans les filières de l’enseignement supérieur [par] les débouchés professionnels réels qui s’offrent aux diplômés ».
Les présidents d’honneur de QSF et son actuel président ont aussitôt écrit une lettre aux deux rapporteurs de la loi pour dénoncer ce qu’ils considéraient comme une erreur didactique, économique et stratégique. Le représentant de QSF auprès de la commission permanente du CNESER a proposé le mardi 14 février une motion demandant l’abrogation de cet amendement. Cette motion de QSF a été votée, fait notable, à l’unanimité moins deux abstentions.
Les différentes démarches entreprises par QSF ont sans doute contribué au résultat issu des travaux de la Commission mixte paritaire, qui a modifié l’amendement, en le vidant de son caractère mécanique et exclusif et en le reformulant ainsi : « Pour déterminer ces capacités d’accueil, l’autorité académique tient compte des perspectives d’insertion professionnelle des formations, de l’évolution des projets de formation exprimés par les candidats ainsi que du projet de formation et de recherche de l’établissement. » (art. L. 612-3 – II). Le compromis parlementaire a abouti à un énoncé qui rend impraticable et aléatoire la détermination des capacités d’accueil. Même si, comme QSF l’avait demandé, l’article II ne lie plus automatiquement l’offre de formation à la politique des emplois, il mélange cependant perspectives d’insertion, autonomie des universités et choix de l’étudiant, modifiant ainsi la perception de ce que la loi entend par orientation sélective et par réussite.
QSF rappelle que la planification liée aux débouchés professionnels n’a jamais donné les résultats escomptés. Les pays démocratiques qui ont essayé cette solution malthusienne y ont très vite renoncé. QSF estime également que le compromis trouvé au sein de la Commission mixte paritaire brouille le sens de la loi et attribue aux recteurs un rôle qui risque de porter atteinte aux libertés académiques et à l’autonomie des universités. Le texte ne précise pas selon quelle priorité ou hiérarchie les recteurs tiendront compte de conditions pouvant être incompatibles entre elles.
Compte tenu de ces ambiguïtés et de ces entorses au principe de l’autonomie, l’application de la loi posera des difficultés de tous ordres, comme en témoignent déjà les prises de positions d’un nombre croissant d’universités, qui ont soit refusé de voter les « attendus » locaux, soit renoncé à mettre en place une procédure d’inscription subordonnée aux attendus et à l’acceptation par les étudiants des dispositifs de remédiation.
Malgré les insuffisances de la loi, l’abandon de la période propédeutique, la faiblesse des moyens alloués aux universités pour mettre en place des « parcours de formation personnalisés », et le nombre insuffisant de places créées dans les filières supérieures courtes à l’intention des bacheliers professionnels et technologiques, QSF ne peut que se féliciter que le tabou de l’orientation sélective soit partiellement levé. Il appartiendra aux universités, dans leur autonomie, de saisir les possibilités que la loi leur offre pour contrôler l’accès aux études supérieures et mieux choisir et orienter leurs étudiants.
QSF est conscient du fait que cela pourrait provoquer dans un premier temps une différenciation nuisible entre les filières disciplinaires et, au-delà, entre universités, favorisant l’émergence d’un système universitaire à plusieurs vitesses. Des effets positifs de cette autonomie sont cependant envisageables. L’esprit d’émulation entre les facultés et entre les universités pourrait, dans un deuxième temps, contribuer à améliorer l’attractivité de l’université et à faire évoluer dans les prochaines années la qualité de la formation dans le secondaire.
Beaucoup dépendra selon QSF de ce que contiendront les textes d’application de la loi, notamment au sujet essentiel de la suppression de la compensation des notes, incompatible avec la capitalisation disciplinaire des crédits, que QSF a demandée et qui a été intégrée dans la loi sous la forme d’un « enseignement modulaire capitalisable » (art L. 613-5 alinéa 2 du code de l’éducation issu de l’art. II ter de la présente loi).
Si les textes d’application de la loi clarifient les moyens de la mise en œuvre des parcours pédagogiques et de leur validation, précisent plus nettement l’articulation entre l’autorité académique et les universités dans la définition des capacités d’accueil, prévoient de façon plus rigoureuse les modalités de l’inscription sous condition, suppriment la compensation des notes pour valoriser la capitalisation des crédits, envisagent une refonte du système des bourses aux étudiants, QSF pourra continuer à soutenir, avec l’esprit d’indépendance qui l’a toujours distingué, une réforme difficile et nécessaire.
La loi « Orientation et réussite des étudiants » constitue un progrès limité mais réel d’améliorer les conditions de l’accès des bacheliers à l’université. Elle ne peut être pour QSF qu’un premier pas après tant d’années de renoncements et de solutions démagogiques.
QSF invite la ministre à poursuivre avec encore plus de détermination le processus qu’elle a lancé.