« On pourrait imaginer que les décrets d’application [de la loi pour une école de la confiance] prévoient un calendrier progressif de mise en œuvre des AED pour les filières qui peinent à former des étudiants de licence de très bon niveau » et, pour cela, de « laisser la main aux UFR « , déclare à AEF info Claudio Galderisi, président de QSF (Qualité de la science française). Cela laisserait « le temps aux dispositions de la loi ORE concernant les parcours d’accompagnement et à la réforme du bac de produire les effets espérés ». Sinon le risque « est de se retrouver demain avec des AED – par exemple en L2 de lettres – n’ayant pas le niveau requis et souhaitable pour devenir les enseignants de demain… » Il revient aussi sur les concours enseignants, l’échec en L1, la concertation sur la professionnalisation de l’enseignement supérieur court…
Claudio Galderisi Collège de France
AEF info : Globalement, comment voyez-vous le projet de loi sur « l’école de la confiance » (lire sur AEF info) ?
Claudio Galderisi : Elle peut favoriser, me semble-t-il, l’émergence d’une conscience partagée que l’école est le seul véritable ascenseur social, la seule forme durable et équitable, non seulement de redistribution des richesses, mais de transmission des savoirs et de création et d’élaboration des connaissances nouvelles. L’école est le socle du pacte social sur lequel repose la République. En renforçant ce socle, la nouvelle loi devrait contribuer à renouveler le pacte social (voir aussi l’encadré sur la scolarisation à 3 ans).
AEF info : Comment voyez-vous la réforme du baccalauréat ? Quels effets attendez-vous de cette réforme sur la préprofessionnalisation des AED ?
Claudio Galderisi : Le meilleur moyen de réussir en licence est assurément d’avoir préalablement réussi au lycée. Cette réforme devrait y contribuer car elle vise à remettre l’école au centre du système de transmission du savoir. En effet, le système des majeures dès la classe de seconde devrait permettre à certains lycéens, s’ils le souhaitent, de se spécialiser très tôt. Mais cette réforme n’entrera pleinement en vigueur que l’an prochain, il faut donc lui laisser le temps de produire ses effets…
AEF info : Que pensez-vous des dispositions sur la préprofessionnalisation des AED ?
Claudio Galderisi : Le projet de loi vise en effet à remettre les connaissances au cœur de la transmission des savoirs et c’est une excellente chose. Cela incite les élèves et les étudiants à mieux se former. Toutefois, nous suggérons de laisser le temps aux dispositions de la loi ORE concernant les parcours d’accompagnement et à la réforme du bac de produire les effets espérés.
En attendant, on pourrait imaginer que les décrets d’application prévoient un calendrier progressif de mise en œuvre des AED pour les filières qui peinent à former des étudiants de licence de très bon niveau, souvent en raison de la difficulté à accueillir un public de bacheliers motivés et bien formés. Le vivier actuel de L2 ne permet pas de garantir dans toutes les filières un nombre d’étudiants et une qualité des connaissances acquises par ces étudiants suffisants pour assurer la mission des AED. Les bacheliers de l’an prochain ne pourront pas devenir des étudiants de L2 avant la rentrée 2021.
AEF info : En quoi le système de progressivité pourrait-il s’appliquer aux filières qui ont des difficultés à former des étudiants de licence « de très bon niveau » ?
Claudio Galderisi : Il faudrait tenir compte de l’autonomie des universités et laisser la main aux UFR . Dans la plupart des filières scientifiques, compte tenu du niveau du cursus d’études des bacheliers qui s’y inscrivent, on pourrait sans doute mettre d’ores et déjà en œuvre la préprofessionnalisation des AED sans attendre les résultats de la réforme du bac et la spécialisation des parcours d’accompagnement. Cela n’est pas le cas dans la plupart des filières littéraires, qui font parfois l’objet d’un choix par défaut. Ces filières souffrent d’un taux d’abandon en L1 qui ne facilite pas le processus de sélection normal que devrait garantir le système des examens.
Le risque, dans ces cas-là, est de se retrouver demain avec des AED – par exemple en L2 de lettres – n’ayant pas le niveau requis et souhaitable pour devenir les enseignants de demain… Dans tous les cas, la mise en œuvre de la préprofessionnalisation doit avoir comme perspective d’aboutissement les concours et garantir donc une forme de sélection, autrement on risquerait de réduire le concours de recrutement à une simple formalité. Il faut cependant signaler que le déplacement du concours de la première année à la deuxième année de master donne plutôt de l’espoir.
AEF info : L’échec en L1 s’explique-t-il différemment selon les filières ?
Claudio Galderisi : Il n’y a certes pas de sélection à l’entrée à l’université mais il y a toujours eu une forme d’auto-sélection de la part des bacheliers. Pour schématiser, on trouve souvent des bacheliers S avec mention Bien ou Très bien dans les filières scientifiques de l’université, alors que les filières littéraires accueillent davantage de bacheliers issus de la filière L (avais aussi pro et techno), qui très souvent, n’ont pas eu de mention au baccalauréat.
Ne nous trompons non plus sur l’interprétation des taux d’échec en licence, qui peuvent être assez proches dans les filières scientifiques et littéraires. Mais dans le cas des scientifiques, l’échec s’explique souvent par le niveau d’exigence des examens, alors que dans le cas des filières littéraires, il peut s’expliquer aussi par un niveau de formation insuffisant des étudiants qui les ont choisies, souvent en estimant à tort qu’elles étaient plus faciles, plus accessibles. Je peux me tromper, mais je suis convaincu que si l’on avait partout dans les filières littéraires le même niveau d’exigence, et donc de sélection aux examens, que l’on a en général dans la plupart des filières scientifiques, le taux d’échec global des filières littéraires sans doute serait bien plus important qu’il ne l’est aujourd’hui.
AEF info : « La mise en œuvre de la préprofessionnalisation doit avoir comme perspective les concours », dites-vous : pouvez-vous expliquer (lire sur AEF info ici et ici) ?
Claudio Galderisi : Pré-recruter est sans doute une excellente chose, y compris pour revaloriser les métiers de l’enseignement, et redynamiser les concours, qui, dans certaines disciplines, manquent cruellement de candidats. Mais recruter très tôt des AED dans certaines filières peut conduire à un risque « malthusien » si l’on ne prend pas garde à ne pas faire du pré-recrutement en L2 la seule voie donnant accès aux métiers de l’enseignement.
Cela pourrait avoir une double conséquence : vider les concours de leur fonction et faire baisser le nombre d’étudiants choisissant les licences générales des filières dites académiques, qui n’ont pas en principe comme principal débouché le monde du travail professionnel. Aujourd’hui déjà, alors que les vocations d’enseignants sont en baisse, on observe – en mathématiques par exemple – un nombre de candidats qui peut être inférieur au nombre de postes au concours… Or avoir un nombre de candidats supérieur au nombre de postes à pourvoir, est nécessaire si l’on veut garantir la qualité du recrutement.
Par ailleurs, les différentes réformes de ces dernières années sont en train de produire un système à plusieurs vitesses, avec d’une part des universités dites de « proximité », et d’autre part des universités ou des regroupements que l’on appelle « de recherche ». Dans ces conditions, pré-recruter un étudiant de Sorbonne Université – par exemple – n’est sans doute pas la même chose que pré-recruter un étudiant de L2 d’une université, y compris parisienne, qui ne bénéficie pas du même vivier et du même environnement culturel et scientifique. Le concours national garantit une homogénéité de la qualité des enseignants que l’on met devant nos enfants. Il faut donc que la préprofessionnalisation des AED soit une condition pour mieux réussir aux concours d’enseignement et pour améliorer le niveau global du système de formation.
AEF info : Quels effets les dispositifs d’accompagnement à la réussite pourraient-ils avoir sur la préprofessionnalisation des AED ? Quelle forme vous paraît la plus souhaitable pour ces dispositifs ?
Claudio Galderisi : Il faut que les parcours d’accompagnement vers la réussite soient évalués pour que l’on en vérifie la qualité et que l’on sache s’ils sont efficaces. Partant de là, on pourra mieux évaluer le moment de lancer le dispositif des AED dans les filières littéraires.
Mais la remédiation classique ne pourra pas garantir à tous les étudiants de L1 d’accéder en L2. Quand nous connaîtrons les statistiques de l’année académique 2018-2019 sur l’admission en L2, nous saurons si les dispositifs d’accompagnement ont permis de faire baisser de manière significative le taux d’échec. Une baisse de 10 % serait déjà un bon objectif…
Demain, avec des bacheliers mieux formés et plus spécialisés, le parcours propédeutique devrait avoir une fonction encore plus importante, car il devrait permettre d’établir de vraies passerelles disciplinaires.
AEF info : Que pensez-vous de la professionnalisation de l’enseignement supérieur, alors qu’une concertation est en cours sur ce sujet ?
Claudio Galderisi : Les deux rapporteurs de la concertation avaient un travail difficile à faire, car l’absence de cadrage n’a pas facilité les échanges. Mais au final, QSF, comme je crois la plupart des organisations représentatives, ne se reconnaît pas dans leur rapport. Ce rapport met en avant, par exemple, la proposition d’un DUT en 180 crédits ECTS donnant accès au grade de licence, alors que cette hypothèse avait fait la quasi-unanimité contre elle ! Le système d’enseignement devrait davantage favoriser la possibilité d’aller vers des filières courtes, alors qu’aujourd’hui, le gros des bataillons des étudiants inscrits en L1 est en échec.
Dans ces conditions, il faut que les filières professionnelles s’ouvrent davantage aux bacheliers professionnels et technologiques, y compris en proposant des parcours de remédiation, comme le font les licences générales. Rappelons que les IUT ont été créés pour accueillir prioritairement des bacheliers technologiques et professionnels, alors qu’ils sont aujourd’hui privilégiés par des bacheliers généralistes avec mention, en raison de leur système sélectif.
Or, en partant du constat que les bacheliers qui devraient être en licence et pourraient s’orienter vers la filière longue choisissent les formations courtes, et que les bacheliers technologiques et professionnels qui devraient privilégier massivement la filière courte sont en licence, les deux rapporteurs proposent en gros de transformer la filière courte en filière longue, faisant des IUT sélectifs la rampe de lancement vers le master (1).
scolarisation à 3 ans : « une excellente chose »
Pour Claudio Galderisi, la disposition du projet de loi « école de la confiance » qui instaure la scolarisation à 3 ans est une « excellente chose ». « Nous léguons à nos enfants nos savoirs, nos connaissances, notre patrimoine culturel… Réduire les inégalités peut permettre aux enfants qui ne sont pas issus de milieux aisés d’un point de vue intellectuel et culturel de bénéficier d’un héritage commun qui leur est transmis par l’école de la République. C’est doter ces enfants d’un patrimoine de savoirs qu’autrement ils n’auraient pas, c’est réduire la plus injuste et la plus invisible des inégalités : celle devant les savoirs. Aller à l’école plus tôt permettra à tous les enfants de bénéficier à l’entrée en CP d’un patrimoine culturel, dont l’école de la République devra être le garant. »