La nomination imminente du nouveau président du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) a ravivé la polémique autour des modalités d’évaluation de la recherche française. La publication dans Le Monde daté du 20 janvier 2020[1] d’une tribune publiée par plus de 2 700 chercheurs et enseignants-chercheurs qui présentent une candidature collective à la présidence du Hcéres en témoigne. QSF, qui est très attachée à l’indépendance et à la qualité des processus d’évaluation, remarque que le collectif à l’origine de cette tribune semble conscient des insuffisances actuelles des procédures d’évaluation, mais note également que les porteurs de la candidature collective paraissent succomber à la tentation d’une partie de la communauté académique de se soustraire à toute forme d’évaluation. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la bonne foi des auteurs de la tribune, ni de contester leur souhait d’améliorer l’indépendance et la rigueur déontologique du Hcéres. En revanche, la présentation de 400 candidatures individuelles émanant du groupe d’universitaires à l’origine de la candidature collective paraît avoir pour principal objectif de compliquer, sinon d’entraver, le processus de sélection et de nomination du nouveau président, prévu par la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, qui a créé le Hcéres. Cette multiplication de candidatures semble dissimuler la défense sinon l’idéalisation du statu quo.
Selon les auteurs de cette tribune, les difficultés de la recherche française, qui passe dans la période 2014-2016, selon une étude de l’Observatoire des sciences et techniques (OST, département du Hcéres), du 6e au 8e rang mondial, seraient moins dues à l’improductivité, par ailleurs indiscutable, des différentes restructurations des institutions de la recherche française qu’à la diminution, dont l’impact est plus difficile à mesurer, des moyens de financement de la recherche. QSF souhaite rappeler que l’évaluation mise en place par le Hcéres depuis 2014 a, certes, permis d’« acclimater la pratique de l’évaluation », mais elle a également contribué à déresponsabiliser les acteurs de la recherche, n’offrant ni aux chercheurs ni aux décideurs des indicateurs fiables et transparents sur le véritable état de la recherche française. L’insistance sur le financement de la recherche permet également de passer sous silence le fait que, dans beaucoup de disciplines, la recherche fondamentale est faite aussi de publications individuelles, et que dans beaucoup de cas le temps est plus important que l’argent.
Pour QSF, la nécessaire réflexion sur les faiblesses et les lacunes de l’évaluation de la recherche ne peut pas faire l’impasse sur un diagnostic sévère des procédures d’évaluation mises en place par le Hcéres dans le respect des limites fixées par la loi de 2013. Ces procédures sont coûteuses en moyens budgétaires et surtout en temps : la communauté académique tout entière contribue avec plus de deux millions d’heures sur les cinq vagues d’évaluation. Cet effort colossal, dont on mesure bien ce qu’il coûte en termes de temps et d’énergies soustraits à la recherche, aboutit à la rédaction de quelque centaines de milliers de pages de bilans, de projets et de rapports, qui ne correspondent souvent qu’à un affichage et qui n’offrent aucune indication précise et fiable sur la qualité de la recherche produite dans les laboratoires français. QSF rappelle également que les milliers de comités de visite (plus de 3 000 sur les cinq vagues de l’évaluation), chacun impliquant en moyenne cinq ou six experts, comportent non seulement un coût considérable, mais donnent lieu à un bilan carbone très négatif, alors que les moyens audiovisuels modernes permettraient des solutions moins onéreuses pour l’environnement et moins chronophages pour les experts concernés.
QSF a souligné dans plusieurs communiqués publiés entre 2012 et 2019, et surtout dans une note détaillée parue en 2013, la nécessité d’une évaluation transparente, fondée sur des critères qualitatifs objectifs, des productions de la recherche. La liberté académique non seulement ne justifie pas de refuser d’être soumis à un contrôle, si minime soit-il, elle exige même que la recherche publique rende compte devant la Nation des efforts financiers que les contribuables consentent à cet effet.
Dans la note publiée en 2013[2], QSF rappelait déjà que « l’évaluation des unités de recherche […] ne s’appuie pas sur la recherche proprement dite, à savoir sur les productions de recherche (livres, articles, réalisations diverses) ; elle ne prend en compte qu’un discours second sur la recherche, à savoir les dossiers produits par les unités de recherche à l’intention des experts, qui proposent le bilan des activités passées ainsi qu’un projet pour les années à venir. À aucun moment du processus d’évaluation les livres et articles ne sont lus ou examinés par les experts ». Certes, les experts peuvent avoir une connaissance plus ou moins approfondie du domaine évalué, qui leur permet d’avoir une vision d’ensemble de la valeur globale de la recherche produite dans le laboratoire évalué, mais « cette connaissance très indirecte a des défauts évidents : elle survalorise les réputations établies ; elle ignore les marges du champ et les microterritoires disciplinaires qui le constituent ; elle sous-estime systématiquement la portée des travaux des jeunes chercheurs encore peu connus […]. Elle reste fondamentalement une évaluation de type administratif, qui ne mesure que la qualité du dossier compilé par l’unité et le talent rhétorique de son directeur. […] Dans ces conditions, organiser une visite d’évaluation sur place alors que les experts n’ont pas lu en premier lieu les publications concernées, c’est construire un château sur du sable, et un château qui coûte fort cher ».
Au moment où la nomination du nouveau président du Hcéres implique une réflexion collégiale sur l’évolution des missions de cette autorité administrative indépendante, QSF ne peut que réaffirmer l’exigence d’une nouvelle modalité de l’évaluation qui se base essentiellement sur les productions scientifiques.
QSF est favorable à une évaluation quinquennale, effectuée par les pairs (sauf dans les cas où les communautés concernées souhaitent collégialement une évaluation de type bibliométrique), de deux ou trois produits de la recherche que chaque enseignant-chercheur et chaque chercheur pourrait soumettre dans le cadre de son unité de recherche. Le résultat de ces expertises contribuerait à l’évaluation globale de l’unité, sans que cela ait une quelconque incidence sur la carrière individuelle, conformément à la Declaration on Research Assessment de San Francisco (https://sfdora.org/) et au Leiden manifesto for research Metrics (http://www.leidenmanifesto.org/). Ce modèle, qui est par exemple suggéré par The Stern review of the Research Excellence Framework, permettrait au ministère d’allouer une partie des moyens supplémentaires prévus dans le cadre de la loi de programmation aux unités, aux départements ou aux facultés qui auraient accepté de bénéficier d’un bonus qualité recherche, sur la base de classements fiables et validés collégialement.
QSF estime donc que les signataires de la candidature collective se trompent de combat en contestant le mode de nomination du directeur du Hcéres. Ce sont les missions qui sont confiées au Hcéres par la loi actuelle qui doivent être redéfinies pour aboutir à une évaluation intelligente et efficace de la recherche en France. On en est loin en ce moment, et c’est une faille importante qu’il faut corriger.
Comme QSF le soulignait en 2013, « le fonctionnement bureaucratique de l’évaluation, en France, explique pourquoi tant d’universitaires ont l’impression de vivre dans un univers kafkaïen […] Ce sentiment peut expliquer le rejet brutal de toute évaluation ». En remettant les publications au cœur du processus d’évaluation, on contribuera à rétablir la confiance dans les instances d’évaluation et à favoriser une forme d’émulation positive dans le respect de la liberté académique.
[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/20/nous-chercheurs-voulons-defendre-l-autonomie-de-la-recherche-et-des-formations_6026543_3232.html.
[2] http://www.qsf.fr/2013/01/20/note-de-qsf-sur-levaluation-pour-une-autre-reforme-de-levaluation-de-la-recherche-et-de-lenseignement-superieur/.