Chères et chers Collègues,
La présente année, qui a commencé et se poursuit dans des circonstances à tous égards tourmentées, devrait être, pour l’enseignement supérieur et la recherche particulièrement importante et délicate, avec la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche dont le projet sera publié d’ici peu.
Annoncée de manière concomitante avec la réforme des retraites, la LPPR se trouve dénoncée avec virulence par toute une partie du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, avant même que ses dispositions soient précisément connues. Malgré l’indiscutable besoin d’une telle loi (récemment souligné par un large collectif de scientifiques), malgré l’annonce d’un effort budgétaire impossible à négliger (même s’il ne se porte pas à toute la hauteur souhaitable) et un nouveau souci de la revalorisation des carrières, l’image qui prévaut est celle d’une entreprise de déréglementation et de privatisation, d’inspiration nettement néolibérale.
QSF estime entièrement fondées un certain nombre d’inquiétudes sur l’organisation de la recherche en France, sur l’évolution des métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche et sur celle de notre système universitaire toute entier. Les communiqués successifs de l’Association – tout dernièrement : https://www.qsf.fr/2020/02/20/dans-la-science-comme-au-foot-les-etranges-propos-du-president-du-cnrs/ – témoignent de sa vigilance. Dans le moment présent, il lui apparaît indispensable de soumettre le projet de la LPPR à un examen rigoureux, tout en évitant surinterprétations et procès d’intentions.
Dans le financement de la recherche, un équilibre doit impérativement être trouvé entre les dotations pérennes et les financements sur projet. Le fonctionnement des instances dispensant les crédits de recherche, au premier chef l’ANR, doit être réexaminé et rendu plus transparent. Les besoins de la recherche en matière de postes doivent être abondés sur une base autre que contractuelle. Sur le plan des carrières, le recours à des tenure tracks peut être utile dans certains cas, mais ne doit en aucune manière préfigurer une dérégulation des modes de recrutement des enseignants-chercheurs, ni une remise en question de leurs garanties statutaires. Ces modes de recrutement doivent être partout perfectionnés, en même temps qu’un effort substantiel doit être consenti pour augmenter le nombre de postes de MCF offerts au concours, notamment dans les disciplines les plus touchées par les redéploiements internes aux universités. La revalorisation des métiers de l’ESR, qui conditionne l’avenir de la recherche française, ne peut se limiter à des mesures indemnitaires ou à des primes fondées sur la reconnaissance de l’investissement individuel. Le temps disponible pour la recherche doit, d’autre part, être garanti pour l’ensemble des enseignants-chercheurs, aujourd’hui souvent accablés de tâches d’encadrement, d’évaluation et de gestion (la toute récente annonce d’un doublement des accueils en délégation constitue à cet égard un premier pas, que d’autres types d’aménagements devraient venir compléter).
Surtout, il est indispensable que le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation travaille à restaurer avec les personnels de l’ESR une confiance que trop de réformes doctrinaires et précipitées, un net déficit dans les recrutements, une détérioration quasi généralisée des conditions de travail et des perspectives anxiogènes en matière de retraites ont contribué à mettre à mal. Ce rétablissement passe par un dialogue effectif avec les personnels concernés, par l’annonce de mesures fortes et par des déclarations sans équivoque sur la préservation et le développement de la recherche publique, aux antipodes des récents éloges d’une sorte de darwinisme d’État.
Au-delà des objets de la LPPR, plusieurs dossiers cruciaux appellent vigilance et imagination : l’évolution du système Parcoursup, l’articulation secondaire-supérieur et la relation universités-grandes écoles; la question des droits d’inscription dans ses rapports avec les conditions d’étude; la structure des formations et la question de la pédagogie universitaire; l’emploi des docteurs, ainsi que la formation des maîtres (le dossier de la réforme du CAPES ne semblant pas encore réglé); la protection des libertés académiques, sur lesquelles un nouveau contexte idéologique fait peser des menaces croissantes (voir notre colloque du 1er février sur Les nouvelles formes de censures à l’université, dont les actes seront bientôt mis en ligne).
Sur tous ces dossiers, QSF poursuivra une action fidèle à ses principes fondateurs. Pour parfaire et promouvoir ses propositions en vue d’un réel renforcement des universités et de la recherche françaises, toutes les compétences et les énergies issues des divers secteurs de l’ESR lui seront précieuses.
Denis Kambouchner
Président de QSF