Le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a enfin rendu public, début juin, le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, qui devait être présenté au CNESER le 12 juin et débattu le 18 juin. De nombreux commentaires ont accompagné cette publication, à proportion des inquiétudes et des rumeurs que son annonce avait suscitées.
QSF estime, comme une partie de la communauté scientifique, que l’initiative d’une telle loi mérite d’être saluée. Constatant le sous-financement de la recherche française et quelques-uns de ses problèmes structurels, le projet de loi annonce pour les dix années qui viennent un nouvel engagement budgétaire de l’État, non certes satisfaisant dans l’absolu, mais assurément significatif.
Outre la création prévue de 5200 emplois sur la décennie, QSF apprécie la nouvelle attention portée au problème des rémunérations de l’ESR ; la revalorisation substantielle prévue pour les contrats doctoraux ; l’accent mis sur la dimension internationale des recrutements ; la multiplication des accueils en délégation ; l’annonce d’une importante augmentation du taux de succès des réponses aux appels à projets.
La facilitation des relations entre le secteur public et le secteur privé répond à une nécessité dans de nombreux secteurs de la recherche scientifique. Quant aux recrutements sur contrat avec perspective de titularisation au rang magistral, ils ont leur intérêt s’ils se traduisent par l’intégration à l’université et à la recherche française de jeunes chercheurs de valeur travaillant sur des thématiques importantes mais peu explorées.
En l’état, cependant, et en dehors du volet strictement financier, la conception de ce projet de loi appelle d’importantes réserves, sur divers plans.
1. Quoique encadré par un Exposé des motifs et par un Rapport annexé, ce texte frappe par sa composition bizarre, avec notamment, dans ses derniers articles, des dispositions particulières dont l’inscription dans cette loi fait question. Souvent difficile à déchiffrer, il n’est manifestement pas fait pour faciliter son approbation et son appropriation par les premiers acteurs de l’ESR, qui sont les chercheurs et enseignants-chercheurs eux-mêmes.
2. Remédier à la crise actuelle des vocations scientifiques ainsi qu’à certaines faiblesses du tissu de la recherche exige que les causes en soient rigoureusement dénombrées. Cependant, ni l’Exposé des motifs ni le Rapport annexé n’évoquent le caractère duel du système français d’enseignement supérieur, avec ses effets profonds sur la répartition et les choix des cohortes d’étudiants. Il n’est pas davantage fait mention des problèmes liés, en amont, aux structures et à la pédagogie du système éducatif primaire et secondaire et à la formation des maîtres ; ni, en aval, aux pratiques actuelles en matière de recrutement des MCF et PR, trop souvent marquées par le localisme.
3. Pour renforcer le dynamisme de la recherche française, le plus grand rôle apparaît toujours accordé aux financements sur projets, administrés surtout par l’ANR dont le budget d’intervention sera fortement accru. Malheureusement, le projet de loi ne porte les traces d’aucune réflexion sur le fonctionnement global de l’ANR et sur les conditions de recrutement de ses responsables et experts. Il en va de même pour le HCERES dont les compétences seront théoriquement élargies. En outre, la demande massive de la collectivité de l’ESR porte sur la garantie et sur l’augmentation des financements pérennes, en relation avec une liberté de la recherche et une liberté académique dont le Rapport annexé ne fait aucune mention.
4. L’article 3 du projet de loi définit longuement la nouvelle voie contractuelle de recrutement dans l’ESR (« professeurs juniors »), inspirée du système de tenure track en vigueur dans plusieurs pays. Cette voie de recrutement « complémentaire » devrait concerner un nombre de postes au plus égal à 25 % du contingent des recrutements « normaux » de PR, ce contingent étant supposé garanti pour les années à venir. Cette mesure comporte des aspects positifs. Cependant, même utilisée de manière très limitée, cette nouvelle voie représentera une brèche qui peut apparaître en l’état comme préoccupante, dans un système de recrutement resté relativement homogène jusque dans ses défauts notoires. Elle crée pour le début de carrière, à âge et qualification égale, des disparités statutaires et matérielles qui s’ajoutent à celles que la création de l’IUF a entraînées pour la suite des carrières. Ceci peut compromettre les synergies et d’abord nourrir les craintes d’une dérégulation à moyen terme du système de recrutement et d’organisation des carrières – cela d’autant que le système actuel (CNU, qualifications, HDR, comités de sélection) ne fait pas l’objet de la moindre mention.
QSF tient le système actuel de recrutement des EC pour très insatisfaisant et a demandé l’introduction dans la loi d’une clause limitant les pratiques localistes. Le passage à un système de titularisation conditionnelle (après période probatoire) lui semble mériter d’être étudié. En l’état, l’introduction de la nouvelle voie apparaît comme une demi-mesure à la mise en œuvre très délicate. Sur ce point comme sur les autres, la doctrine implicite du projet de loi reste insuffisamment définie. Pour autant que le choix a été fait de ne pas limiter la loi à ses aspects financiers, on pouvait demander qu’elle soit l’expression d’une réflexion autrement structurée, étendue à tous les aspects du problème posé et bien plus largement partagée. Une discussion globale sur les recrutements dans l’ESR et sur les débuts de carrière est aujourd’hui indispensable.