Malgré toutes les urgences et les difficultés liées à la crise sanitaire, le gouvernement a tenu à présenter dès ce printemps son projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2020 (LPPR). Dévoilé début juin, celui-ci vient d’être soumis au vote du CNESER, l’organe consultatif du monde académique. Avant même le confinement, les bruits les plus inquiétants avaient couru. De divers côtés, on dénonçait par avance dans les termes les plus vifs la précarisation de la recherche que la nouvelle loi allait produire. Pour l’essentiel, ces craintes étaient peu fondées. Profus et mal composé, le texte publié ne comporte que deux mesures phares : un engagement financier chiffré de l’État pour la décennie à venir, et la création d’une nouvelle voie de recrutement dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Sur le premier point, il faut beaucoup de mauvaise foi pour ne pas apprécier les 25 milliards d’euros promis – même sur dix ans – à une recherche française financièrement exsangue. Pour les universitaires et chercheurs, le vrai problème concerne l’institution d’une procédure accélérée pour recruter des professeurs. Cette procédure déroge à la règle générale qui impose, pour devenir professeur, d’être qualifié par le Conseil national des Universités (CNU), sur la base d’une habilitation à diriger des recherches (HDR) soutenue dans une université. L’idée de départ est assez claire. Pour que les universités françaises retrouvent une attractivité internationale, on construit un dispositif avantageux : accès plus rapide au rang magistral ; rémunération un peu plus décente que celle, actuellement indigne, des maîtres de conférences ; crédits et possibilité de recruter des collaborateurs pour les projets engagés.
L’introduction d’une telle disposition appelait toutefois beaucoup de prudence. Or c’est là que le bât blesse, car le texte ne précise ni les modalités de sélection, ni les domaines dans lesquels ce type de recrutement peut être utile, alors qu’il est censé s’étendre à un nombre de postes conséquent, à hauteur de 25% des recrutements de professeurs et de directeurs de recherche par voie normale. Problématique dans sa mise en œuvre, le nouveau dispositif rompt avec le principe d’égalité dans l’accès à un même corps de fonctionnaires. Mais il y a plus inacceptable : pour emporter le vote du CNESER, la ministre a pris l’engagement que tout recrutement sur une de ces nouvelles chaires s’accompagnera d’une « promotion supplémentaire » d’un maître de conférences comme professeur des universités. Sans que la chose soit explicite, cette mesure est destinée à faciliter les promotions sur place, partiellement régies par l’article 46-3 du décret de 1984 sur les carrières d’enseignant-chercheur.
Ainsi, pour faire passer l’instauration d’une nouvelle voie « d’excellence », on favorise la moins défendable des procédures actuelles, celle qui permet d’être promu par une parodie de concours dans le même établissement où l’on a accompli tout ou l’essentiel de sa carrière. C’est là une maladie de nos universités, répandue dans de larges secteurs (excepté en mathématiques), et qui nuit au dynamisme de la recherche comme à celui de l’enseignement.
Si cette dernière mesure entrait dans les faits, ce sont donc des arrangements locaux qui dicteraient l’usage de la nouvelle procédure, soit un résultat inverse de l’intention initiale ! Espérons que la suite de l’examen du projet conduira à l’écarter, à moins… qu’en conservant le volet financier de ce projet, on ne se décide à subordonner tout le reste à l’organisation d’une discussion enfin sérieuse.
Cécile Guérin-Bargues, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, secrétaire générale de l’Association Qualité de la Science Française
Denis Kambouchner, professeur émérite de philosophie à l’université Panthéon-Sorbonne, président de l’Association Qualité de la Science Française