Adopté le 20 novembre 2020, la loi de programmation pour la recherche a fait l’objet d’une double saisine parlementaire du conseil constitutionnel. Aux arguments avancés par députés et sénateurs afin de contester la constitutionnalité de certaines de ses dispositions sont venues s’ajouter nombre de contributions extérieures[2] émanant de divers groupes d’universitaires. Notre association en fit de même et a soumis au conseil constitutionnel le 30 novembre 2020 un mémoire qui se concentrait sur la question, à nos yeux décisive, de la suppression de l’exigence de qualification nationale pour le recrutement des Professeurs des universités et sur la possibilité d’autoriser les établissements publics à déroger, à titre expérimental, à cette exigence pour le recrutement des maîtres de conférences. Ce mémoire, rédigé par différents professeurs et maitres de conférences en droit public proches de QSF articulait sa critique de l’article 5 d’une part aux bénéfices d’une qualification nationale et d’autre part, à la méconnaissance du principe d’indépendance des enseignants-chercheurs et du principe d’égal accès aux emplois publics. Ce texte de QSF peut être consulté sur notre site[3].
Ces efforts furent hélas vains tout comme demeura sans effet la mobilisation sans précédent de la communauté des juristes à l’encontre de la LPR et plus particulièrement de cette suppression de la qualification.
Dans sa décision n° 2020-810 DC du 21 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a en effet écarté les critiques dirigées contre l’article 5 de la loi. Il a jugé qu’en dépit de la suppression de l’exigence de qualification préalable par le conseil national des universités pour le recrutement en qualité de professeur ou de maître de conférences, les dispositions contestées garantissent que leurs pairs soient associés au recrutement des candidats à ces postes et que ces recrutements soient fondés sur l’appréciation des mérites des différents candidats. Afin d’écarter les griefs tirés de la méconnaissance du principe constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs et du principe d’égal accès aux emplois publics, le Conseil constitutionnel s’est contenté de relever le maintien d’une procédure de recrutement confiée aux comités de sélection, lesquels sont composés d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés, pour moitié au moins extérieurs à l’université, d’un rang au moins égal à celui de l’emploi à pourvoir.
C’est cependant bien mal connaitre l’université que d’estimer qu’il s’agira là d’une garantie suffisante pour éviter un renforcement du recrutement local qui, dans bien des établissements publics d’enseignement, porte déjà trop souvent atteinte au principe d’égal accès aux emplois publics.
Seule consolation, la décision rappelle les présidents d’université à une prudente réserve : si, à l’issue de la procédure de sélection, le chef d’établissement peut s’opposer à la proposition de nomination, ou à la liste de candidats classés par ordre de préférence, il ne peut fonder son appréciation sur des motifs étrangers à l’administration de l’établissement et, en particulier, sur la qualification scientifique des candidats retenus à l’issue de la procédure de sélection. En d’autres termes, il ne saurait substituer son appréciation des mérites scientifiques des candidats à celle du comité de sélection.
Le conseil constitutionnel a également jugé conforme à la constitution l’article 4 de la LPR qui prévoit les fameuses chaires junior, nouvelle voie de recrutement des professeurs d’université. Pour ce faire, le Conseil a là encore souligné les rares garanties apportées par la loi : appel public à candidatures, possibilité de candidater réservée aux seules les personnes titulaires d’un doctorat ou d’un diplôme équivalent, procédure de recrutement divisée en trois phases. Le conseil a cependant assorti sa déclaration de constitutionnalité d’une réserve d’interprétation un peu plus contraignante pour les chefs d’établissement que celle ci-dessus soulignée à propos de l’article 5. Le principe d’indépendance des enseignants chercheurs s’oppose à ce que le chef d’établissement puisse refuser de proposer à la titularisation un candidat ayant reçu un avis favorable de la commission de titularisation, pour des motifs étrangers à l’administration de l’université, et, en particulier pour des motifs liés à la qualification scientifique de l’intéressé. Il ne saurait davantage proposer à la titularisation un candidat ayant fait l’objet d’un avis défavorable de cette commission. Toutefois, on ne voit pas très bien pourquoi le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs aurait ici pour effet d’interdire le véto présidentiel en matière de chaires junior, mais n’aurait pas droit de citer en matière de recrutement dans le cadre de l’article 4.
Enfin, le Conseil constitutionnel a fait droit à la critique des requérants contre l’article 38 de la loi instituant un délit réprimant l’intrusion dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur, selon laquelle il avait été adopté selon une procédure irrégulière. Il a en effet relevé que, introduites en première lecture par voie d’amendement, ces dispositions ne présentent de lien, même indirect, avec aucune des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il a donc censuré ladite disposition en tant que « cavalier législatif », signe qu’une fois encore, comme le soulignait jadis Jean Rivero, il est loisible au Conseil de « filtrer le moustique et laisser passer le chameau ».
[1] Sénèque, « La Tranquillité de l’âme »
[2] https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2020810dc/2020810dc_contributions.pdf
[3] https://www.qsf.fr/wp-content/uploads/2021/01/QSF-Contribution-exterieure-LPR-art.5.pdf