Par communiqué en date du 1er février, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a fait savoir qu’il allait « multiplier par quatre » la première vague du « repyramidage » des enseignants-chercheurs « afin de permettre à huit cents maîtres de conférences supplémentaires d’accéder au corps des professeurs des universités avant la fin de l’année 2022 »[1].
QSF ne peut que se féliciter de voir le ministère prendre enfin la mesure du sous-encadrement chronique qui affecte les universités, au moins dans certaines disciplines, et de l’impérieuse nécessité d’y améliorer les perspectives de carrière. Seules des mesures fortes sont en effet susceptibles de mettre un coup d’arrêt à la paupérisation et à la détérioration de l’enseignement et de la recherche universitaire qu’on observe depuis bien trop longtemps en France.
Toutefois, quelques jours plus tard, l’entourage de la ministre a précisé à l’Agence Éducation Formation la philosophie de ce repyramidage accéléré : « Il s’agit de pouvoir permettre à des MCF qui n’ont que peu ou plus de perspectives d’évolution dans le corps des professeurs de pouvoir y accéder plus facilement. L’objectif étant qu’ils puissent le faire, pour la plus grande majorité d’entre eux, dans leur établissement d’origine. […] La cible correspond pour un tiers à des MCF de classe normale avec plus de dix ans d’ancienneté, et pour deux tiers à des MCF hors classe, qui, eux n’ont pas nécessairement plus de dix ans d’ancienneté. Donc pour le moment nous sommes à la fois sur un critère de démographie et d’ancienneté »[2].
Ces termes ne peuvent qu’inquiéter notre association.
D’une part, il n’est nullement question de proscrire la promotion locale, mais bien d’y inciter. La qualification des maîtres de conférences aux fonctions de professeur par le CNU ayant par ailleurs disparu par la grâce d’un amendement scélérat, on favorise une procédure de recrutement moins défendable encore que naguère, celle qui permet d’être promu par une parodie de concours dans l’établissement où l’on a accompli tout ou l’essentiel de sa carrière. Or cette endogamie – qui concerne déjà plus de 40 % des recrutements de professeurs – est un véritable fléau. Elle nuit au dynamisme de la recherche comme à celui de l’enseignement, déconsidère l’Université française à l’étranger, et entache de larges secteurs du système de recrutement, à quelques exceptions près dont les mathématiques. Elle aura pour effet pervers d’inciter les jeunes maîtres de conférences à accepter toujours plus d’heures complémentaires et de responsabilités locales aux dépens de leurs travaux de recherche. En outre, à quoi bon publier un profil ou former un comité de sélection si ce n’est pour masquer ce qui s’apparenterait en définitive à une requalification de poste, dont rien ne dit du reste qu’elle s’accompagnera de l’ouverture au concours d’autant de postes de MCF ?
D’autre part, on peut s’interroger sur la nécessité de recruter comme professeurs des universités des maîtres de conférences de classe normale qui, bien qu’ayant plus de dix ans d’ancienneté, ne disposent pas, par hypothèse, d’un dossier qui leur aurait permis d’accéder à la hors classe. À l’inverse, on peut craindre que ces huit cents postes ne soient ouverts au détriment des postes normaux auxquels de très bons candidats non MCF et prêts à la mobilité pourraient prétendre (chercheurs CNRS/INRIA/INSERM ou en poste à l’étranger, etc.). Enfin, que devient, dans cette procédure, l’Habilitation à Diriger les Recherches ? Constitue-t-elle ou non un prérequis pour l’accession aux fonctions de professeur d’université ? Dès lors que l’une des fonctions principales des professeurs est de diriger des thèses, la moindre des choses est de l’exiger.
Si l’ouverture au concours de ces huit cents postes ne peut qu’être saluée, il est primordial à la fois de préserver le statut de professeur et ses exigences scientifiques et de remédier à un sous-encadrement toujours plus dramatique en assurant la mise au concours d’un nombre égal de postes MCF supplémentaires. Il est également indispensable d’encourager, au lieu du localisme, une mobilité bénéfique par des mesures fortement incitatives. Le pire serait de sacrifier la qualité de la science à la paix sociale, comme pouvait nous le faire craindre le déplorable compromis intervenu au CNESER en juin dernier[3]. L’annonce ici faite s’inscrit dans la continuité de cet accord dont nous risquons, si nous n’y prenons garde, de mesurer très vite les conséquences les plus délétères. Si le comité chargé de réfléchir aux modalités du recrutement sur ces huit cents postes devait entériner cette continuité, le résultat serait, après suppression de la qualification CNU pour les MCF titulaires, un abaissement sans précédent de la qualité du recrutement des professeurs d’université.
[1] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid156761/installation-du-comite-de-suivi-de-l-accord-syndical-majoritaire-du-12-octobre-2020.html
[2]https://www.aefinfo.fr/depeche/644660?fbclid=IwAR3ptlH_APE9kKyLHkmRYpFFlP7JRrNGTuUEJdC7d3cuVJUZmHlOqW2ZjTM
[3] https://www.qsf.fr/2020/07/02/lppr-au-cneser-un-compromis-deplorable/