Le 23 avril, soit quatre jours après publication (le 19 avril) du Rapport de la Concertation sur le recrutement des enseignants-chercheurs, le MESRI a présenté aux organisations syndicales un projet de décret sur le recrutement des professeurs d’université (dépêche AEF du même jour).
Selon ce projet, les MCF titulaires sont, de droit, « réputés inscrits sur la liste de qualification aux fonctions de professeur des universités ». Le fameux article 49-3 du décret de 1984, sur les concours réservés aux MCF titulaires de l’HDR, est supprimé. Le recrutement des professeurs d’économie par concours de l’agrégation l’est aussi. Dans les disciplines juridiques, un régime dérogatoire est instauré, résultat d’une négociation sectorielle.
Mais la mesure phare est celle-ci : les Conseils académiques des établissements (CAC), qui pouvaient auparavant dispenser d’HDR les candidats étrangers, pourront désormais accorder cette dispense, en lieu et place des sections compétentes du CNU, à tous les titulaires de « diplômes universitaires, qualifications et titres de niveau équivalent ».
L’esprit de cette dernière mesure est clair, et l’inscrit dans le fil de celles que QSF n’a cessé de combattre depuis un an, du compromis sur les créations de postes passé au CNESER de juin 2020[1] jusqu’à l’annonce, le 1er février dernier, d’un « repyramidage » sans conditions claires[2], en passant bien sûr, fin octobre, par la suppression-surprise de la qualification pour les MCF titulaires[3]. Il s’agit de faciliter l’accès des maîtres de conférences au rang magistral sur des critères autres que scientifiques.
Cette mesure participe d’une philosophie déplorable et jamais explicitée : si les fonctions des professeurs d’université restent non seulement d’enseigner et de faire de la recherche, mais aussi de diriger des recherches doctorales et des laboratoires, comment admettre que pour un nombre croissant de recrutements, les dispositifs de contrôle de la valeur scientifique des dossiers se trouvent ainsi affaiblis, avec des CAC qui seront de surcroît nécessairement sensibles aux intérêts des collègues du même établissement ?
Jusque dans l’hypothèse favorable où les demandes de dispense d’HDR resteraient limitées, cette disposition multipliera les ruptures d’égalité entre candidats à un même poste. Elle achèvera, en tout état de cause, l’œuvre à laquelle l’actuel ministère semble tenir par-dessus tout : la dérégulation de l’accès aux fonctions de professeur. Certaines universités se doteront d’un système de recrutement conforme aux normes internationales et fondé sur la qualité des travaux scientifiques ; dans d’autres, on deviendra professeur à l’ancienneté grâce à un recrutement « maison » sans limites.
Le Rapport de la consultation sur les recrutements avait certes montré la voie :
« La fin de la qualification nationale, pour les maîtres de conférences titulaires, aux fonctions de professeur exige désormais des établissements qu’ils définissent eux-mêmes les compétences attendues de leurs futurs professeurs. Le périmètre des attendus de l’HDR reste donc à définir » (p. 12).
« Quelques interlocuteurs s’interrogent sur la nécessité de conserver l’HDR, au regard des pratiques internationales, le doctorat étant dans la plupart des pays le diplôme le plus élevé[4]. Il serait dans ce cas nécessaire que le suivi de carrière permette de valider les compétences requises pour l’encadrement de doctorants. Les établissements pourraient alors dispenser d’HDR tous les candidats à un poste de professeur, sur la base de leur dossier de candidature, comme ils le font d’ores et déjà pour les candidats internationaux » (p. 13).
Le même rapport insiste cependant sur l’importance d’un cadrage national des attendus de l’HDR (p. 12), et souligne (p. 13) que les conditions dans lesquelles la dispense pourrait se concevoir ne sont pas actuellement réunies.
Que conclure ? La publication de ce projet de décret dans la plus grande précipitation n’illustre pas seulement la politique du mépris à laquelle nous sommes désormais habitués : elle vaut camouflet à l’égard des rapporteurs que le ministère a lui-même désignés. Il y a lieu de se demander jusqu’à quand ce mode d’administration va durer.
[1] https://www.qsf.fr/2020/07/02/lppr-au-cneser-un-compromis-deplorable/
[2] https://www.qsf.fr/2021/02/10/huit-cents-nouveaux-postes-de-professeur-des-universites-satisfaction-dexigences-scientifiques-ou-achat-de-la-paix-sociale/
[3] https://www.qsf.fr/2020/10/30/le-senat-contre-luniversite/
[4] L’habilitation est toutefois en usage dans un certain nombre de pays européens, notamment Allemagne, Autriche, Belgique, Italie, Pologne, Suisse.