- Les leçons d’une réunion
Après publication, le 3 mai dernier, de nos commentaires sur le Rapport Blaise-Desbiolles-Gilli, QSF a reçu de M. Lloyd Cerqueira, directeur adjoint du cabinet de la ministre, une proposition de réunion à laquelle devaient participer la DGESIP et la DGRH.
QSF a bien entendu accepté le principe de cette réunion, qui a eu lieu en visioconférence le 25 mai.
En l’absence de M. Cerqueira, empêché, ce rendez-vous a réuni, côté Ministère, MM. Jean-Michel Jolion, conseiller en charge de la formation, des politiques de site et des relations entre la science et la société ; Pierre Coural, adjoint au DGRH, et Sébastien Chevalier, chef du service de la coordination des stratégies de l’enseignement supérieur et de la recherche à la DGESIP et à la DGRI.
QSF était représentée par Joëlle Ducos, Denis Kambouchner, Loïc Merel et Paolo Tortonese.
- M. J.-M. Jolion a présenté les projets ministériels :
– Double soutenance du doctorat : soutenance à huis clos avec les candidats, puis soutenance publique (à l’imitation de la Belgique et de la Suisse). Le projet est envisagé malgré les difficultés de mise en pratique. Il doit passer au CNESER en juillet et être valable pour la promotion qui entre en thèse en 2021.
- HDR : M. Jolion a rappelé l’attachement de la ministre à l’HDR, mais souligné les différences importantes de critères selon les établissements. Un état des lieux doit être fait sur les attendus des HDR pour la fin 2021 avant la mise en route de la procédure de recrutement en 2021-2022.
- COS: La ministre ne souhaite pas une composition exclusivement interne, mais envisage un observateur extérieur, interne à l’établissement. Une mise en situation professionnelle des candidats est envisagée (cours, conférence). Les membres des comités de sélection devraient être formés au recrutement.
Le texte doit être publié avant le début de la campagne de recrutement, le conseil d’État n’aimant pas, selon nos interlocuteurs, les changements en cours de procédure.
- CNU: Le ministère rappelle son attachement à la mise en œuvre du suivi de carrière, inscrit dans la loi, avec un dialogue accru entre établissements et instance nationale. Le dossier unique de l’enseignant-chercheur doit être l’élément-clé de ce dialogue.
- Repyramidage MCF/PR: 2000 emplois de MCF seront transformés en postes PR, à la demande des établissements. Ces postes seront réservés à des MCF HDR avec dix ans d’ancienneté et/ou hors classe. Il s’agit de remédier à la disparité entre les deux corps et d’arriver à un équilibre 60% de MCF pour 40 % de PR, la moyenne étant actuellement de 75% contre 25. La priorité ira aux disciplines et aux établissements où le déséquilibre est le plus flagrant. Il s’agit ainsi de ménager pour le recrutement des PR une voie par recrutement (avec candidature ouverte à des personnes extérieures à l’établissement) et une voie par promotion, la procédure actuelle ne distinguant pas entre les deux types d’accès aux rang concerné. La ministre souhaite que cette voie par promotion soit pérennisée. Les postes ainsi transférés vers le corps des PR ne seront pas compensés par des postes de MCF, nonobstant l’augmentation du nombre d’étudiants et l’abondance des heures nécessaires pour assurer les formations. Le ministère semble estimer que les chaires de « professeurs juniors » et les contractuels suffiront pour les compenser.
QSF a présenté plusieurs objections :
- L’enquête prévue auprès des établissements sur les critères qu’ils pratiquent pour l’HDR apparaît d’une utilité très incertaine: la disparité de ces critères est chose aisée à réduire et ne constitue pas un problème aigu.
- On n’aperçoit de cohérence,
– ni entre ce souci d’homogénéisation des critères des HDR et l’abolition de la qualification aux fonctions de professeur, qui agissait fortement en ce sens ;
– ni entre l’enquête relative à ces critères et le projet de rendre l’HDR facultative en confiant aux Conseils académiques le pouvoir de dispense ;
– ni entre ce dernier projet et le maintien de l’HDR pour les promotions internes.
- Les mesures envisagées ne pourront que se traduire par une hétérogénéité du corps des PR, liée à des modes de recrutement disparates et de valeur inégale.
- Elles entraîneront partout un renforcement du localisme.
Aucune réponse n’a été apportée à ces interrogations, si ce n’est, pour la troisième, l’obligation de la fonction publique d’avoir deux voies de recrutement.
- Un courrier sans réponse
Après avoir protesté de manière assez vive contre ce qui apparaissait comme un simulacre de concertation et un refus de porter la discussion sur les questions de fond, Denis Kambouchner a adressé à M. Lloyd Cerqueira, le 28 mai, le courrier suivant, qui est resté sans réponse :
Monsieur le Directeur Adjoint,
[…] Comme vous en avez sans doute été informé, nos échanges avec M. Jean-Michel Jolion, accompagné de MM. Chevalier et Coural, n’ont pas eu les résultats souhaités. M. Jolion nous a précisé les dispositions envisagées par Madame la Ministre suite à la publication du Rapport Blaise-Desbiolles-Gilli, et a pris note de nos observations et questions. Toutefois, ses réponses ont été fort loin de dissiper nos interrogations qui demeurent entières sur plusieurs points.
Nous prenons acte avec satisfaction de deux orientations qui figuraient parmi nos propres propositions : encouragement apporté aux soutenances de thèse en deux temps ; allongement du processus de recrutement avec mise en situation professionnelle des candidats de la liste étroite. En revanche, trois points au moins restent à nos yeux plus que problématiques :
– L’HDR. Nous ne comprenons absolument pas ce qui est envisagé.
On nous annonce une réflexion sur un cadrage national des attendus de l’HDR, comme si les disparités des attentes entre disciplines constituaient un problème majeur, et comme s’il ne suffisait pas que les attentes, par discipline, soient spécifiées au niveau national par les sections compétentes du CNU pour que soit réglée la question des disparités entre établissements.
Mais surtout, quel sens y a-t-il à vouloir formaliser ce point au moment où l’on s’apprête – à notre sens sans aucune justification et avec des conséquences hautement dommageables – à rendre l’HDR facultative en confiant aux CAC le pouvoir de dispense ? Le Rapport Blaise-Desbiolles-Gilli était sur ce point d’une grande confusion, et cette confusion n’est en aucune manière dissipée.
– Les comités de sélection. Madame la Ministre ne souhaite pas une composition exclusivement interne, mais envisage un observateur extérieur – si nous comprenons bien, très relativement extérieur car interne à l’établissement. En cela, l’orientation « tout-local » du Rapport nous semble pour l’essentiel maintenue. Celle-ci nous paraît reposer sur une dénégation du problème du localisme, autrement dit de l’endogamie dans les recrutements, phénomène pourtant indiscutable dans certaines proportions, et dont nous essayons en vain de comprendre si le Ministère le tient sérieusement pour un facteur de dynamisme des universités. Comme l’a rappelé notre collègue Loïc Merel, cette endogamie est rigoureusement proscrite chez les mathématiciens, pour le plus grand bien de leur discipline.
Quant au projet de « professionnalisation des jurys » [i.e. : des CoS], évoqué par M. Jolion, il nous semble purement grotesque. Les membres des CoS sont des adultes intelligents et instruits, qui savent ce qu’ils font, lors même que ce qu’ils font est criticable. Qui, du reste, serait chargé des formations correspondantes ? Ceci relève, pardonnez-nous, d’un délire infantilisant.
– Le repyramidage et les nouvelles voies de recrutement PR. Le Ministère souhaite modifier le ratio PR/MCF pour le porter partout à 40/60, mesure dont l’urgence nous échappe. Mais en outre, il associe à cette correction une politique massive en faveur de la promotion interne. Pour notre part, nous sommes conscients des problèmes de blocage de carrière, dont l’aspect indiciaire n’est pas à négliger. Ces blocages seraient nettement moindres s’il était mis fin aux pratiques de gel de postes et si des postes étaient créés en nombre suffisant vu la pression démographique qui s’exerce sur les universités. L’aménagement de voies réservées de promotion est une très mauvaise solution. Même si elle ne devait pas avoir de conséquences négatives pour les emplois MCF, elle signifiera une baisse des exigences scientifiques pour l’accès au rang magistral (cette expression a-t-elle d’ailleurs encore un sens ?), et entraînera au sein des unités d’enseignement des disparités et des situations psychologiquement encore bien plus compliquées et tendues que ce n’est le cas aujourd’hui.
Plus généralement, comme nous l’avons indiqué à M. Jolion, le diagnostic sur lequel se fondent ces projets d’évolutions nous semble insuffisamment précis, et l’utilité d’un équilibre entre les instances locales et les instances nationales apparaît remise en question sans avoir jamais été débattue. La compétition entre les établissements n’ayant nullement en France la réalité qu’elle a, par exemple, aux USA, il est pourtant clair que tout affaiblissement des régulations nationales est destiné à se traduire par un encouragement à des réflexes de nature féodale. Quant aux pratiques doctrinaires prêtées à certaines sections du CNU, elles devraient changer du jour où le panachage des listes sera rendu possible et où l’on renoncera aux « membres nommés » qui sont un héritage d’un autre temps.
Notre déception par rapport aux mesures adoptées et aux procédés mis en œuvre depuis le printemps 2020 n’a pas besoin d’être exprimée à nouveau. Il me reste seulement à vous redire notre disponibilité pour une véritable concertation fondée sur une réflexion approfondie, et notre vœu d’une prochaine révision de projets qui nous paraissent décidément contraires aux intérêts bien compris de notre système d’enseignement supérieur.
- Le projet concernant les promotions internes
Dans le courant du mois de juin, le Ministère a diffusé de manière restreinte un projet de décret concernant les promotions internes de MCF titulaires. « En vue de favoriser la promotion interne », ce texte crée « une voie temporaire de promotion interne par liste d’aptitude », valant pour les années 2021-2025 et pour un nombre maximum de 400 promotions pour une année (NB : à titre de comparaison, en février 2021, 619 postes PR ont été mis au concours par les voies normales). Ces promotions concernent les MCF de plus de dix ans d’ancienneté dans le grade et titulaires de l’HDR (art. 2). Elles seraient réparties chaque année par un arrêté ministériel prenant en compte la taille des établissements, le ratio MCF/PR en leur sein et les autres possibilités de promotion offertes (art. 3).
Dans ce nouveau dispositif, les MCF candidats à une promotion par la voie indiquée déposent dans leur établissement un dossier examiné par deux rapporteurs « librement désignés » par le CAC (art. 4). Celui-ci, réuni en formation restreinte, émet un avis « sur l’ensemble des activités des candidats décrites dans [leur] rapport d’activités (sic) […], en distinguant leur investissement pédagogique, la qualité de leur activité scientifique et leur investissement dans des tâches d’intérêt général ». Cet avis est adressé par le président de l’établissement à la section compétente du CNU », laquelle émet à son tour un avis consultatif (« très favorable », « conforme » ou « réservé ») « sur l’appréciation portée par le CAC sur le dossier du candidat ».
Les dossiers ainsi complétés reviennent ensuite au président ou directeur de l’établissement d’affectation de l’agent, qui « établit une liste d’aptitude », aux termes de laquelle « les lauréats (sic) sont nommés dans le corps des professeurs des universités » selon des modalités de reclassement précisées par l’article 5.
Ce texte à la rédaction parfois négligée est parfaitement représentatif de la transformation engagée. Si le Ministère souhaite faire passer le ratio PR/MCF à 40/60, il semble aussi s’apprêter à faire passer à 40/60 le ratio entre les promotions internes et les autres voies d’accès au corps des PR. Moyennant une étrange torsion de la notion de « liste d’aptitude », ces promotions internes seront laissées à la discrétion des instances locales et des chefs d’établissement. Rien ne dit de plus qu’elles se traduisent par un accroissement global des effectifs d’enseignants-chercheurs, rien ne garantissant que les postes MCF théoriquement libérés par ces promotions seront remis au concours.
QSF a alerté tout au long de la présente année sur les transformations prévues dans le système de recrutement et la gestion des carrières des enseignants-chercheurs. Celles-ci semblent obéir à quatre principes :
- satisfaction de certaines revendications syndicales de longue date ;
- nouveaux pouvoirs accordés aux présidences d’établissements ;
- préférence accordée aux recrutements sur contrat pour les débuts de carrière ;
- réduction des instances nationales à un rôle purement consultatif.
Consciente des blocages de carrière induits pour les MCF par la pénurie de postes PR mis au concours, notre Association ne peut que renouveler ses protestations, à la fois sur le fond des mesures engagées, qui ne pourront qu’encourager les logiques localistes et aggraver les inégalités entre établissements, et sur la méthode employée, qui fait fi de toute concertation digne de ce nom. Ceci en lieu et place d’une politique ambitieuse et réfléchie de renforcement des structures de notre enseignement supérieur, taux d’encadrement inclus, par la voie d’un recrutement de qualité.
QSF appelle les plus hautes instances à mesurer les effets délétères des projets actuellement engagés et à obtenir au plus vite leur révision.*
(*) Avant même que soient adoptées les mesures envisagées, une aggravation des phénomènes d’endorecrutement peut être constatée dans de nombreux secteurs et dans de nombreux établissements, et ce, alors qu’il nous est répété, du côté du Ministère, que de toute manière, les établissements ont intérêt à recruter les meilleurs candidats.
QSF souhaite pouvoir faire un point sur les excès du localisme et appelle les collègues qui en auraient été témoins à se rapprocher de l’Association afin d’établir un début d’état des lieux.