Alors que l’université menace d’exploser sous l’afflux des nouveaux bacheliers et que les problèmes de l’accès au master attendent toujours une solution cohérente, que fait le Ministère de l’Enseignement Supérieur ? Il persévère dans son entreprise de détricotage du statut de professeur des universités.
Reprenons l’historique. Fin juin 2020, un « compromis déplorable » dénoncé par QSF[1] avait été scellé au CNESER entre le ministère et certains syndicats pour que ceux-ci laissent passer le projet de la loi sur la programmation de la recherche (LPR). La ministre promettait en effet qu’en contrepartie de toute création d’un des postes de « professeur junior » prévus par cette loi, les universités disposeraient d’un poste de professeur réservé pour la « promotion » des maîtres de conférences.
Cette promesse a été confirmée en février dernier, sous la forme d’un « repyramidage » permettant dès 2021-2022 à 800 MCF, ceux, disait la ministre, « qui n’ont peu ou plus de perspectives d’évolution dans le corps des professeurs », d’accéder à ce corps. Trois universitaires ont été mandatés pour rédiger un rapport dit de « concertation »[2], soulignant les blocages de carrières et proposant une solution conforme à l’accord intervenu. À la suite de ce rapport, remis en avril 2021, a été rédigé un projet de décret « relatif à la création d’une voie temporaire de promotion interne des maîtres de conférences ».
Dans l’état actuel du texte, les critères évoqués pour la promotion sont l’investissement pédagogique, la qualité de l’activité scientifique et l’investissement dans des tâches d’intérêt général. Toutefois, en raison de la suppression de la qualification nationale, l’évaluation et la procédure de promotion interne sont dorénavant entièrement maîtrisées par les instances locales. Ces instances seront portées, peut-on hélas prévoir, pour une partie d’entre elles, à donner l’avantage aux candidats bien introduits auprès d’elles, au détriment de ceux qui se seront investis davantage dans les activités scientifiques. Par ailleurs, le projet prévoit qu’au niveau national, le ratio des promotions s’établira à 3 MCF hors classe pour 1 MCF classe normale : l’ancienneté sera donc un élément déterminant pour pouvoir en bénéficier.
Dans un éditorial virulent, des professeurs de droit ont résumé la philosophie de toute cette opération : « À l’usure devenez professeurs »[3]. Formulons autrement la critique : dans le contexte de l’adoption et de l’application de la LPR, cette réforme a pour but d’acheter la paix sociale, au détriment de la qualité de la recherche universitaire française[4].
Les blocages de carrière pour les MCF sont un fait avéré. Ils sont directement fonction de la diminution globale du nombre de postes PR mis aux concours. Il convient d’y porter remède, mais non par la voie d’une telle réforme, laquelle aura des conséquences catastrophiques pour les MCF ayant obtenu une HDR puis la qualification et qui sont prêts à la mobilité. La même réforme ne sera pas non plus sans effet dommageable sur les chercheurs en poste dans les instituts (CNRS, INSERM, INRIA) ou à l’étranger. Elle va directement à l’encontre de ce qui est réellement bénéfique aux universités : des recrutements véritablement ouverts, selon une procédure que QSF a proposé de perfectionner[5].
On comprend la colère et l’amertume des MCF habilités et qualifiés, qui verront leur travail méprisé au bénéfice de collègues bien placés dans les établissements. Certains d’entre eux, qui ont tenté d’alerter le ministère sur cette injustice, ont été éconduits sans ménagement et se sont résolus à introduire un recours en justice pour faire valoir leurs droits.
Outre cette injustice dans la gestion des carrières, l’effet démobilisateur qui en résultera et le discrédit qu’elle est de nature à jeter sur l’institution universitaire aux yeux d’observateurs extérieurs, la disposition envisagée aura d’autres effets pernicieux qu’il convient de souligner. Elle fournit une excuse commode pour se dispenser des efforts qui rendraient les carrières universitaires attractives à un plus grand nombre. Elle constitue un pas supplémentaire vers la réalisation d’un corps unique des enseignants d’université, au sein duquel les responsabilités académiques seront exercées de manière indifférenciée, et qui sera, surtout, corvéable à merci (à preuve déjà la multiplication indigne des heures complémentaires contraintes), aux dépens du temps consacré à la recherche.
Parallèlement, la création de postes MCF en nombre conséquent, que la situation présente rend indispensable, ne semble absolument pas à l’ordre du jour, l’objectif affiché étant au contraire d’amener partout le ratio PR/MCF de 30/70 à 40/60. Le potentiel de recherche des universités s’en trouvera grandement affaibli sans que l’encadrement pédagogique y gagne en qualité, bien au contraire.
Tous les enseignants-chercheurs doivent donc s’inquiéter de ce projet, et QSF les invite à agir dans leur propre établissement afin d’empêcher par tous les moyens légitimes cette dégradation du système de recrutement, aussi opportuniste que lourde de périls.
[1] https://www.qsf.fr/2020/07/02/lppr-au-cneser-un-compromis-deplorable/
[2] Voir https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Actus/81/5/21_04_19_Rapport_Concertation_1401815.pdf; et nos commentaires : https://www.qsf.fr/2021/05/03/les-recrutements-universitaires-au-tournant-des-ressources-humaines-commentaires-sur-un-rapport-par-denis-kambouchner/
[3] Recueil Dalloz – 11 février 2021
[4] Voir le communiqué de QSF du 10 février 2021 : https://www.qsf.fr/2021/02/10/huit-cents-nouveaux-postes-de-professeur-des-universites-satisfaction-dexigences-scientifiques-ou-achat-de-la-paix-sociale/
[5] https://www.qsf.fr/2021/03/04/propositions-damelioration-des-procedures-de-recrutement-des-enseignants-chercheurs/