QSF vient de publier deux communiqués qui soulignent à quel point la politique universitaire de ce pays, menée à titre principal par le ministère de l’enseignement supérieur est problématique.[1]
D’autres illustrations pourraient être tirées de nos recherches sur la liberté académique[2]. Une première est liée à « la guerre des archives »[3] qui a éclaté entre, d’un côté, les historiens et archivistes et, de l’autre, la bureaucratie militaire et civile représentée par le Secrétariat général à la défense nationale et à la sécurité (SGDNS). L’enjeu du conflit était l’accès aux archives qui, en violation de la loi de 1979, a été considérablement restreint, au motif de la protection de la sécurité nationale, par une instruction interministérielle. Lors de ce conflit qui a duré plus d’une année, et alors que la restriction à l’accès aux archives constituait une formidable atteinte à la liberté de la recherche, composante de la liberté académique, Mme Vidal, la ministre, a été aux abonnés absents.
Le second exemple est plus connu car il a fait la Une des journaux et des médias. Il concerne la querelle sur l’islamo-gauchisme au cours de laquelle, le 14 février 2021, la ministre qui, jusqu’alors, s’était tenue sur une prudente réserve, a fait une sortie intempestive dénonçant des courants de pensée dans l’université et appelant le CNRS à mener une enquête « sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion.» Même si d’autres menaces sur la liberté académique existent, il est indéniable que les universités ou établissements publics analogues voient débarquer la mode de la cancel culture ou de l’idéologie woke. Mais la façon dont la ministre en a parlé a en quelque sorte rendu service aux militants de ces causes identitaires qui ont pu alors, facilement, se poser en victimes.
De ce point de vue, la comparaison avec la manière dont le pouvoir politique a traité de cette question au Québec mérite l’attention. Le Canada anglophone est particulièrement touché par la cancel culture, comme le prouve à l’envi l’épisode lamentable d’Ottawa au cours duquel une jeune universitaire (Veruschka Lieutenant-Duval) fut littéralement mise au pilori et sanctionnée par son université pour avoir employé le mot de « nigger » dans un cours dont l’esprit se voulait pourtant plus que politiquement correct. Ce tsunami médiatique a révélé au Canada entier l’ampleur du problème posé par les tenants d’un nouvel ordre moral. Le gouvernement québecois a alors décidé de réagir. Le hasard a fait que, au même moment, le scientifique en chef de la Province québecoise a rendu un rapport intitulé l’Université québecoise du futur dans lequel il s’inquiétait à la fois de l’accroissement des atteintes à la liberté académique et des formes de censure dans les établissements.
La différence entre le Québec et la France dans la manière de traiter de la liberté académique s’avère pleine d’enseignements. D’abord, l’affaire a paru suffisamment importante aux autorités québecoises pour que ce soit le premier ministre en personne de la Province (François Legault) qui décide, en février 2021, de la création d’une Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire. Celle-ci a plusieurs missions dont l’une est de « déterminer les principes de la liberté académique ». Mais la surprise de taille pour un Français est que ce sont cinq universitaires – dont un doctorant — qui la composent. Ce serait inimaginable en France où la haute fonction publique capte toute réflexion collective en s’accaparant la présidence des commissions ad hoc. Le Québec fait donc étrangement confiance aux universitaires pour s’occuper de problèmes universitaires. Par ailleurs, cette Commission a pris le temps de travailler sérieusement en multipliant les auditions et en lisant les nombreuses contributions dans lesquelles des universitaires donnaient leur avis et exposaient des situations problématiques[4]. Cette commission indépendante rendra en décembre 2021 son rapport destiné à éclairer le gouvernement québecois sur les mesures à adopter pour enrayer ce déclin de la liberté académique.
Ainsi, le contraste apparaît saisissant entre ce qui s’est passé au Québec et en France. Là-bas a été menée une enquête sérieuse fondée sur la rationalité et l’expérience du terrain. Ici, la question de la liberté académique a donné lieu à des déclarations à l’emporte-pièce d’une ministre, appelant à la rescousse le CNRS, mastodonte bureaucratique qui n’a pourtant guère de compétence — au double sens du terme- pour s’occuper de la liberté académique au sein des universités. Il est aussi frappant d’observer qu’en France ni le Premier ministre, ni le président de la République n’ont cru bon de se pencher sur la question, confirmant ainsi qu’à l’exception des grèves estudiantines, la question de l’enseignement supérieur n’est pas, à leurs yeux, politiquement digne d’attention.
Concluons : la façon insane dont en France la question de la liberté académique a été traitée témoigne bien de la faiblesse traditionnelle du ministère de l’enseignement supérieur. Les universitaires français paient le prix fort de la profonde indifférence des politiques à l’égard des universités françaises, « voiture-balai de l’enseignement supérieur », comme l’a formulé le sociologue François Vatin.
Olivier BEAUD
Président d’honneur de QSF
[1] https://www.qsf.fr/2021/10/18/professeurs-a-lanciennete-les-pieges-du-repyramidage/ et https://www.qsf.fr/2021/11/05/trouvermonmaster-gouv-fr-du-bac-pour-tous-au-master-pour-tous/
[2] Olivier Beaud, « Le Savoir en danger. Menaces sur la liberté académique », PUF, 2021.
[3] Idem, Chap 8.
[4] Voir son site : https://www.quebec.ca/gouv/ministere/enseignement-superieur/organismes-lies/commission-reconnaissance-liberte-academique