Aucun Noël, semble-t-il, sans que le MESRI apporte aux universitaires un cadeau empoisonné. L’an passé, la LPR avec ses amendements. Cette année, le décret portant sur la création d’« une voie temporaire d’accès par promotion interne au corps des professeurs des universités au bénéfice des maîtres de conférences », publié au Journal officiel du 22 décembre. Le ministère affectionne ce calendrier pour les décisions importantes, qu’il espère faire passer à travers les distractions festives de la fin d’année : stratagème en l’occurrence un peu puéril, sachant que la présente décision était attendue depuis l’année dernière et qu’elle sera largement discutée dans les universités.
La politique de la « voie temporaire », également dite du « repyramidage », avait été annoncée au CNESER le 19 juin 2020, à la suite d’un marchandage avec une certaine organisation syndicale. Elle a été ensuite confirmée devant les sénateurs au moment de l’approbation de la LPR, puis précisée par touches successives. Les universités – dont le contingent de promotions internes varie entre 36 postes et un seul, répartis entre UFR et départements selon des critères peu clairs – ont été appelées avant même publication du décret à préparer cette nouvelle forme de recrutement des professeurs, et s’y sont appliquées au long de l’année 2021 avec plus ou moins de zèle. À chacune de ces étapes, depuis son communiqué du 2 juillet 2020, QSF a manifesté son opposition à une politique que notre association estime injuste et néfaste pour l’avenir des universités françaises[1].
Le présent décret, qui appelle un examen détaillé, institue une procédure d’une invraisemblable complexité, sans doute destinée à dissimuler la simplicité de son intention directrice : celle-ci consiste à attribuer aux Présidents des universités, le pouvoir de promouvoir, entre 2022 et 2025, 2000 maîtres de conférences au rang de professeur. Ces promotions s’effectueraient en dehors de tout contrôle sérieux et extérieur : le CNU n’aurait qu’un rôle consultatif et l’audition se tiendrait devant un comité local, composé de trois professeurs seulement, dont deux collègues directs du candidat. On passe donc ici de la logique du recrutement par sélection et élection à celle d’un avancement discrétionnaire d’un corps à un autre, et l’on décrète que cette procédure doit être une affaire interne de chaque université. On laisse apparemment intacte l’exigence d’une HDR, pour le moment du moins car un autre projet de décret rend son maintien à court ou moyen terme assez improbable. L’hypocrisie guette !
Ce « repyramidage » va de pair avec une autre partition dont les premières notes ont été jouées voici un mois : il s’agit de la suppression du contingent national d’avancements de carrière. Un haut représentant du ministère a en effet annoncé à la CP-CNU, sans être à ce jour démenti, la décision ministérielle de réserver toute décision d’avancement aux instances locales, le CNU se trouvant dépossédé de tout rôle en la matière (voir communiqué de la CP-CNU, 10 décembre 2021).
Autre aspect des choses, plus difficile à percevoir : cette « voie de promotion interne » se présente comme un moyen de rééquilibrer le ratio entre les corps, et d’offrir à des MCF bloqués dans leur carrière une voie de promotion vers un corps plus prestigieux. En réalité, l’effet pour les heureux élus sera dans un premier temps purement symbolique : la grille de traitement des professeurs de 2e classe étant similaire à celle des MCF hors classe, ils ne bénéficieront pas d’emblée d’une augmentation de leur rémunération. En revanche, l’État n’ayant pas l’intention d’augmenter le contingent national de promotions à la 1ère classe, et les universités n’ayant pas les moyens d’augmenter le leur, il en résultera, pour la promotion à la 1ère classe, une nouvelle concurrence entre ces collègues et des professeurs recrutés sur des bases plus exigeantes. Au regard des pratiques qui ont gagné de nombreux établissements, il est à craindre que les premiers ne l’emportent sur les derniers, ce qui entrainerait, du fait du présent décret, un dommage collatéral particulièrement important.
Nul ne peut se le dissimuler : ce « repyramidage » longtemps annoncé et enfin réalisé constitue le premier pas d’une politique à la fois ambitieuse et délétère, qui consiste, selon les vœux souvent exprimés par la CPU, à concentrer le pouvoir en matière de recrutements et de carrières dans les mains des présidents d’universités.
Sous prétexte que les universités ont de toute manière intérêt à « recruter les meilleurs », cette politique ne tient aucun compte d’exigences de qualité dont la mise en œuvre implique un système équilibré de contre-pouvoirs et de filtres institutionnels, donnant une fonction aussi bien aux instances nationales qu’aux instances locales[2]. L’étalage ministériel de bons sentiments, les appels à la confiance et à la vertu n’empêcheront jamais cette rupture d’équilibre de montrer ses effets néfastes, avec le renforcement des mœurs clientélistes et des pratiques localistes, aux dépens d’un dynamisme scientifique qui ne sera plus cultivé qu’en de rares îlots « d’excellence ».
Ce ministère aura ainsi réussi à instituer, via un texte officiel, la promotion à l’ancienneté au rang magistral. Ce faisant, il aura transformé en règle de droit une pratique certes existante mais qui jusqu’ici se faisait relativement discrète, tant elle paraissait contraire aux standards universitaires internationaux.
Un tournant néo-managérial : est-ce là tout ce qu’on peut proposer pour l’université française des années 2020 ? Que ne s’attache-t-on plutôt à rendre décentes les conditions d’études de l’ensemble des étudiants, encadrement compris, en même temps qu’à ménager pour l’ensemble des métiers de l’ESR – soumis de toutes parts à des pressions accrues – des conditions d’exercice enfin correctes ? En jetant un regard sur les presque cinq années écoulées, chacun peut juger du bilan. Maintenant, vers qui se tourner ?
À tous nos collègues, nos meilleurs vœux pour l’année 2022.
[1] Voir notamment https://www.qsf.fr/2021/10/18/professeurs-a-lanciennete-les-pieges-du-repyramidage/; https://www.qsf.fr/2021/07/17/carrieres-des-enseignants-chercheurs-suite-comment-encourager-limmobilisme/; https://www.qsf.fr/2021/05/03/les-recrutements-universitaires-au-tournant-des-ressources-humaines-commentaires-sur-un-rapport-par-denis-kambouchner/
[2] Voir en particulier https://www.qsf.fr/2021/02/10/huit-cents-nouveaux-postes-de-professeur-des-universites-satisfaction-dexigences-scientifiques-ou-achat-de-la-paix-sociale/; voir également https://www.qsf.fr/wp-content/uploads/2019/04/Une-universit%C3%A9-au-service-des-savoirs-et-de-la-soci%C3%A9t%C3%A9.pdf