Nous publions ici une tribune parue au Canada mais dont le sujet peut également intéresser fortement
les chercheurs et enseignants-chercheurs français.
Nous remercions les auteurs de cet article d’avoir autorisé sa diffusion sur notre site.
Alors que les parlementaires canadiens se penchent sur l’actualisation de la Loi sur les langues officielles, La Presse nous apprend depuis quelque temps que des écueils surviennent à répétition durant ces travaux. Nous pensons qu’il s’agit d’un moment approprié pour rappeler le rôle du gouvernement canadien dans la promotion du français en sciences.
Entre 1995 et 2019, le pourcentage d’articles savants publiés en anglais est passé de 64 % à plus de 90 % à l’échelle mondiale. Le français a, quant à lui, régressé d’un peu moins de 10 % à 1 %.
La tendance est la même au Canada. Ainsi, le pourcentage d’articles en anglais dans les sciences médicales et naturelles s’y élève maintenant à près de 100 %. En sciences sociales et humaines, ce pourcentage baisse légèrement, oscillant entre 95 % et 90 %. Au Québec, la situation aussi est inquiétante : 70 % des articles récents en sciences sociales étaient en anglais, comparativement à 30 % dans les arts et humanités. Le déclin en sciences sociales est impressionnant, car les articles en anglais y représentaient moins de 50 % en 1980.
Plusieurs conséquences découlent de ce déclin du français et de son capital symbolique.
Une première est l’inégalité dans l’accès aux connaissances pour les communautés francophones canadiennes. L’offre de documents savants en français pour les chercheurs, étudiants, praticiens et membres du public est bien moindre que celle en anglais.
Une deuxième est l’inégalité d’accès à la publication savante pour les chercheurs francophones et la pénalité associée à la publication en français, exacerbée par l’occultation systémique de cette littérature par les auteurs anglo-canadiens, que ce soit en raison de leur faible littératie en français ou de leur intériorisation du postulat de la moindre pertinence de cette littérature.
Une troisième concerne l’infériorisation des objets de recherche associés au français et de la diffusion en français. Pour voir leurs articles acceptés dans des revues anglophones, les francophones, particulièrement dans les sciences sociales et humaines, doivent souvent travailler sur des objets vus comme davantage « internationaux », plutôt que sur d’autres concernant les communautés où ils évoluent.
Plus généralement, la langue de publication des articles influe sur les rangs des universités dans les classements internationaux, lesquels sont largement basés sur les publications faites dans des revues internationales anglophones.
Éminemment critiquables, ces classements, qui offrent toutefois aux universités une vitrine internationale, cristallisent une perception de leur importance relative. Ainsi, une quatrième conséquence est celle d’une dévalorisation des universités francophones, puisqu’une part moins importante de leur production savante est prise en compte dans l’établissement de leur rang.
Enfin, la communauté scientifique canadienne est dans une position particulière par rapport à d’autres communautés multilingues. Si le passage à l’anglais dans la communauté scientifique s’observe dans d’autres pays multilingues tels la Belgique ou la Suisse, l’anglais n’y est pas l’une des langues officielles, de sorte que ce passage est moins susceptible de modifier l’équilibre linguistique du pays. En revanche, au Canada, l’anglais n’est pas une langue « neutre » : sa croissance en science contribue à une dynamique plus globale de déclin du français dans un écosystème national anglonormatif. La cinquième conséquence se rapporte donc à l’asymétrie fondamentale du rapport de forces entre les deux langues officielles du Canada, qui se trouve en quelque sorte naturalisée et dépolitisée à la faveur d’un contexte scientifique international lui servant d’adjuvant.
Les parlementaires qui réfléchissent présentement aux manières d’actualiser la Loi sur les langues officielles devraient avoir pour objectif que le gouvernement du Canada et les organismes subventionnaires fédéraux assument réellement la responsabilité, dans un pays qui se veut officiellement bilingue, de contrer cette dynamique délétère. Le gouvernement fédéral peut ainsi travailler à réduire les biais linguistiques associés actuellement à la recherche en français en donnant plus d’importance aux projets présentés dans les concours d’attribution de subventions plutôt qu’à l’expérience des candidats, en s’assurant que les demandes en français puissent être évaluées dans cette langue, en traitant les demandes de visas d’étudiants francophones de façon équitable, en investissant dans la traduction des contenus scientifiques et en favorisant la découvrabilité des contenus scientifiques en français.
Le gouvernement canadien doit surtout agir de concert avec le gouvernement du Québec, ainsi qu’avec tous les acteurs publics et privés concernés, pour contrer le déclin d’une grande langue nationale et internationale : il en va de l’égalité concrète entre l’anglais et le français au Canada. L’Université de Montréal soutiendra avec enthousiasme les initiatives visant à fédérer les énergies en ce sens.
VICE-RECTEUR ASSOCIÉ, PLANIFICATION ET COMMUNICATION STRATÉGIQUES, UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL