Au début de cette année, France Universités (ex-CPU) a mis en place une commission présidée par le directeur de Sciences Po Paris et chargée « de réfléchir aux moyens de renforcer et de défendre la liberté académique en France et au sein d’un réseau international d’universités ». On attend avec intérêt les conclusions de cette commission, d’autant que deux épisodes récents, qui ont eu pour cadre la Sorbonne, illustrent les menaces exercées sur la liberté académique et méritent qu’on en tire les leçons.
Le 11 février dernier, à l’université Paris 1, une séance du séminaire « Rencontres phénoménologiques » consacrée à « l’énigme du transsexualisme » a été annulée, après qu’une étudiante eut jugé inacceptables à la fois le mot d’« énigme » et celui de « transsexualisme », auquel il faudrait préférer « transidentité ». Une des responsables de l’équipe de recherche concernée ayant indiqué aux organisateurs de ce séminaire qu’il convenait de s’abstenir de toute publicité pour cette séance, ceux-ci ont préféré y renoncer, en présentant « toutes [leurs] excuses aux personnes qui ont pu se sentir offensées par l’intitulé de la communication ». Dans ce cas précis, la présidence de l’université ne semble pas avoir été consultée ni avertie.
Le 12 mai dernier, à Sorbonne Université, dans le cadre du diplôme universitaire « Référent laïcité », qui propose une fois par mois un débat ouvert au public, Mme Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue du CNRS, devait présenter son dernier ouvrage – très discuté – sur les Frères musulmans (Le frérisme et ses réseaux, Odile Jacob). La Doyenne de la Faculté des Lettres a préféré reporter cet événement, en invoquant un motif de sécurité. Dans ce dernier cas, l’annulation de la conférence a été très médiatisée, en relation avec la polémique sur l’islamo-gauchisme à l’Université et avec le colloque de janvier 2022, Après la déconstruction, Reconstruire les sciences et la culture, au cours duquel la conférencière avait déjà eu l’occasion de présenter ses thèses.
Dans les deux cas et quoi qu’on puisse penser du fond, l’atteinte à la liberté académique est manifeste, avec des intimidations exercées par des groupes largement extérieurs aux structures concernées.
Il est capital que la communauté universitaire s’attache à réfléchir à ce qu’impliquent la défense et l’exercice de cette liberté. À cette fin, QSF estime utile le rappel de trois principes :
- Tout chercheur ou universitaire qui publie un ouvrage relevant de sa discipline a le droit, lorsqu’il y est invité par ses collègues, de présenter cet ouvrage dans le cadre d’un établissement universitaire. Ceci vaut jusque dans le cas où cet ouvrage apparaîtrait critiquable dans ses thèses ou dans sa méthodologie, l’université devant précisément constituer le lieu par excellence où cette libre critique peut s’exercer, sous une forme dûment argumentée et non purement dénonciatrice.
- Le bon exercice de la liberté académique implique la possibilité du débat contradictoire. Aussi convient-il que les organisateurs d’événements – colloques et conférences, à distinguer des cours dispensés de manière régulière – leur assurent une publicité suffisante et veillent à ce que les conditions de ce débat soient en effet réunies.
- S’agissant des sujets culturellement, socialement ou politiquement sensibles, la vocation de l’université n’est pas de favoriser les polémiques et d’alimenter un tapage médiatique, mais d’accueillir des réflexions exigeantes et des manifestations dont la dimension scientifique apparaît indiscutable. Les universitaires et chercheurs eux-mêmes sont les premiers et, en dernière instance, les seuls vrais juges de cette qualité. Pour autant que cette qualité est assurée, la mission des directeurs de laboratoire et d’UFR et des présidents d’université est de prendre les mesures nécessaires pour que ces manifestations se tiennent comme prévu, à l’abri des intrusions et des obstructions, comme il se doit au sein d’une université ouverte et pluraliste.