Le nouveau rapport sur la recherche publié par le ministère témoigne d’une préoccupation partagée entre le gouvernement, les chercheurs et enseignants-chercheurs sur l’état de la recherche ainsi que sur l’absolue nécessité d’en faire une priorité dans les années à venir. Onze pages de constat, six objectifs affichés pour tous les partenaires qui interviennent dans la recherche, l’ensemble se veut ambitieux et entend témoigner de l’engagement de l’Etat dans la recherche, ce dont on ne peut que se réjouir. Les mesures ne laissent pas moins quelque peu dubitatif. Elles perpétuent en effet la tendance bien ancrée d’une recherche sur projets, qui sont financés en fonction d’orientations le plus souvent dictées par des priorités « sociétales », plutôt que reposant sur des fondements scientifiques.
1/ Un bilan globalement juste
Le « Constat général » préliminaire reconnaît l’essoufflement de la recherche française depuis 1990. Il souligne le manque d’innovation dans des domaines scientifiques majeurs (par exemple les vaccins à ARNm ou l’IA), la lourdeur et la complexité des procédures administratives, le déficit de financement de la recherche, notamment en ce qui concerne le budget de fonctionnement des laboratoires et des équipes.
Selon ce rapport, il est donc nécessaire de relancer la recherche française en lui donnant à la fois souplesse, dynamisme et moyens, dans le cadre d’une stratégie nationale de la recherche qui coordonne et soutienne les chercheurs tout en attirant de nouveaux talents. Des objectifs tels que « simplifier pour donner plus de temps et de sens pour la recherche », « soutenir la prise de risque pour la connaissance de demain » ou « construire des processus d’évaluation adaptés » sont légitimes.
2/ Une vision partielle de la recherche
Toutefois, ce « constat général » comporte des lacunes parce qu’il privilégie certains aspects au détriment d’autres.
Rien n’est dit de la politique de fusion et de regroupement des établissements qui a modifié la cartographie de la recherche. Elle visait un objectif de clarté et de lisibilité qui n’a pas été atteint, bien au contraire. Par ailleurs, elle a entraîné au sein des établissements fusionnés une redistribution des ressources qui s’est parfois faite au détriment de certaines Unités de Recherche (UR).
La discrétion du rapport au sujet des UR est d’ailleurs étonnante. Certes, elles figurent dans le schéma n°1 de la p. 22 mais elles sont éclipsées par les Unités Mixtes de Recherche (UMR), dont le fonctionnement est exposé sur plusieurs pages. L’image de la recherche dans les universités est donc abusivement simplifiée, voire partielle. Faut-il en déduire qu’à terme une UR ne pourra subsister que si elle est associée à un Organisme National de Recherche, ou placée sous sa dépendance ?
Le rapport affirme l’« absolue nécessité » (p. 13) des SHS. Toutefois, le traitement qui leur est réservé laisse penser qu’il ne s’agit que d’une pétition de principes à visée diplomatique. Douze lignes de généralités leur sont consacrées alors qu’une centaine de lignes est employée à la présentation d’exemples détaillés en mathématiques, physique, chimie, biologie et médecine. De plus, le principal mérite des SHS résiderait dans leur ouverture à l’interdisciplinarité (p. 13). Si l’interdisciplinarité est assurément féconde, le propos traduit cependant une méconnaissance des spécificités des SHS qui laisse présager une transposition inadéquate du modèle utilisé en médecine et dans les sciences dites dures, tendance dont les SHS souffrent déjà bien assez. Les méthodes, les objets, les enjeux et la finalité de la recherche en sciences sont de toute évidence différents des SHS, et l’alignement est destructeur pour ces disciplines de même que leur manque de visibilité au nom de l’interdisciplinarité.
3/ Un pilotage centralisé et hiérarchisé
Le rapport dit viser un équilibre paritaire entre, d’une part, le pilotage ministériel et, d’autre part, l’autonomie des établissements ainsi que la liberté académique des chercheurs. Cet équilibre préconisé est reconduit au plan des objets d’une recherche partagée entre « recherche’ ‘orientée’ » et « recherche ouverte mais évaluée » (p. 6). C’est cependant un modèle beaucoup plus centralisé et hiérarchisé qui transparaît dans les lignes suivantes :
Le MESR en stratège, après concertation et accord avec les autres ministères, élabore et négocie avec les opérateurs (ONR et universités) des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP). Les établissements étant autonomes, il leur revient de les mettre en œuvre. (p. 7)
Seul le ministère est donc décisionnaire. La « clarification » des missions des acteurs (p.6) assimile l’autonomie des établissements à un rôle d’exécution des décisions ministérielles.
Cette centralisation accrue du pilotage de la recherche se manifeste également par le remplacement préconisé du conseil stratégique de la recherche « en sommeil » depuis 2015 (p. 31) par un haut conseiller à la science (proposition n°1, p. 7). Le rapport estime qu’un interlocuteur unique et permanent simplifierait les échanges (p. 32-33). On peut également en concevoir l’intérêt symbolique et diplomatique. Toutefois la recherche scientifique, qui couvre des disciplines très diverses, suppose également la diversité des points de vue. Par conséquent, sa représentation ne peut être que collégiale. Si l’instance collégiale actuellement en fonctions est en « sommeil », il convient de la réformer, non de la remplacer par un individu. Ce serait un non-sens que les exemples anglo-saxons allégués ne suffisent pas à justifier. A moins que l’éviction de la collégialité ne serve la centralisation du pilotage de la recherche par le ministère. La hiérarchie est : État, ONR, Universités. Le sommet décide, les autres (s’) exécutent.
4/ Une simplification ambivalente
« La prescription nationale, la complexité et la sur-administration locales sont toujours des freins à l’innovation ». Ce constat, établi p. 63 du rapport, sonne juste. Il est pourtant contredit par l’esprit des propositions avancées, qui s’attachent toutes à renforcer cette « prescription nationale ». On ne reviendra pas ici sur la création d’un Haut Conseiller à la science, dont on voit mal comment il pourrait s’acquitter de la nécessaire prise compte de la diversité de la recherche universitaire. La question financière mérite en revanche que l’on s’y attarde plus longuement. La lisibilité du budget attribué à la recherche est bien un impératif, mais elle exige un bilan préalable clair, notamment de l’impact effectif des financements des projets collectifs que ce soit au niveau régional, national ou européen. L’acculturation de l’administration en matière de recherche et d’innovation scientifique, est également souhaitable non seulement au sein de l’administration ministérielle, mais surtout dans les services de la recherche universitaire. Elle pourrait se faire notamment par la présence de docteurs dans les équipes administratives, afin que celles-ci saisissent bien les besoins réels des chercheurs et se fassent appuis plutôt que censeurs des budgets. Quant à la coordination des financements, elle est certainement nécessaire, mais est-ce au prix de la création d’une agence des programmes ? Le rapport peut-il, sans manquer de cohérence, dénoncer à la fois le mille-feuilles administratif et lui créer une nouvelle strate via cette agence, tout en renforçant dans ses propositions deux d’entre elles, l’ANR et le HCERES ?
Quant au troisième volet, son titre ne peut que séduire tout universitaire : « simplifier pour donner plus de temps et de sens à la recherche ». Il faut simplement espérer que cette « simplification », passant par l’accroissement du pouvoir conféré aux directeurs d’unité de recherche, sera effective. L’expérience de ces dernières années permet toutefois d’en douter. Enfin la prise en compte des jeunes chercheurs est importante. Elle ne doit pas se faire toutefois au détriment des chercheurs confirmés qui ont également des besoins de temps et de budget. Certains pays font en sorte que les chercheurs et universitaires confirmés aient des budgets individuels ; en France, l’IUF offre cette possibilité à une minorité. Une telle piste n’en demeure pas moins systématiquement négligée alors qu’elle serait assurément un moteur pour toute la recherche, quelle qu’en soit la forme.
Conclusion
Ce rapport, dont on comprend la nécessité à la suite de la crise du COVID, est assurément un document important. Il propose des pistes de coordination et d’efficacité et rappelle la place déterminante de la recherche dans la stratégie nationale ainsi que la nécessité de pouvoir se positionner au niveau international. Ce qui reste cependant clair dans ce rapport est une orientation vers les priorités ministérielles et nationales, largement déclinées ces derniers mois : numérique, santé, énergie, alimentation, climat, écologie, tels sont les thèmes privilégiés, autant dire les thèmes apparus comme fondamentaux dans les crises traversées ces dernières années. Faut-il s’en contenter, et considérer que la recherche doit être nécessairement au service des priorités gouvernementales ou peut-on à l’inverse penser à une diversité de la recherche, qui n’est pas nécessairement appliquée et faite de brevets ? Le risque inhérent au positionnement du rapport est une moindre prise en compte de la recherche fondamentale et plus généralement de celle qui découvre, hors priorités affichées.