Au moment même où les parlementaires peinent à trouver un accord pour le vote d’un budget et où les menaces de censure du Gouvernement planent une nouvelle fois, les universités éprouvent toujours plus de difficultés à mener à bien leurs missions essentielles. Faute de budget, de nombreuses universités sont conduites à suspendre voire annuler nombre de dépenses, y compris celles qui seraient financées par des fonds de recherche spécifiques attribués à des projets d’excellence (ANR, CNRS, MSH, IUF, etc). De fait, de nombreuses missions de recherche, colloques et séminaires, conférences et journées d’étude, engagement de personnel contractuel ou investissements matériels essentiels, sont suspendus jusqu’à nouvel ordre.
Dans ce contexte inquiétant, l’annonce par Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la suspension du projet d’attribution du statut de « Key Lab » à 25% des unités de recherche placées sous tutelle du CNRS (UMR) est un réel soulagement. Ce projet avait émergé sans concertation avec les laboratoires et les universitaires eux-mêmes qui – il est manifestement nécessaire de le rappeler toujours et encore – sont des acteurs majeurs de la recherche. Cette labellisation « Key Lab » ne pouvait être perçue que comme une injustice, voire comme une menace pour l’ensemble du réseau scientifique français, constitué de laboratoires soutenus par le CNRS et d’unités de recherche qui en sont dépourvues. Que des laboratoires d’excellence puissent apparaître comme moteurs de la recherche, c’est un fait dont on ne saurait douter, tout comme l’on peut rationnellement admettre que certains domaines de recherche puissent apparaître comme prioritaires dans un contexte international extrêmement tendu. Que l’État définisse une politique scientifique consistant à soutenir les laboratoires porteurs de projets majeurs ou de grande visibilité internationale, c’est non seulement son rôle mais une nécessité dont peut profiter l’ensemble du réseau français de la recherche. Mais QSF ne saurait accepter que cette décision soit imposée sans que les critères de reconnaissance de cette excellence ne soient clairement définis, et sans visibilité sur le budget alloué à la recherche. Dans le contexte d’une baisse du budget général (actée par les dernières décisions contre lesquelles QSF s’est déjà exprimée), l’augmentation de moyens octroyée à un groupe de « happy few » serait le corollaire d’une inévitable diminution des ressources attribuées aux autres laboratoires, perçus alors comme porteurs d’une recherche de second ordre et invisibilisés dans le paysage national et international.
Un plan national de recherche, ambitieux et performant, capable de répondre aux défis sociétaux de notre époque, ne peut se dispenser de la participation active des universitaires, des chercheurs et des personnels d’appui à la recherche. Toute restructuration qui se passerait de leur collaboration constituerait une nouvelle forme d’atteinte à la liberté académique, déjà suffisamment malmenée, et si essentielle aux métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le financement de l’excellence et de projets novateurs et ambitieux est une très bonne nouvelle pour la communauté des universitaires et des chercheurs. Il ne doit pas dissimuler le besoin d’un soutien pérenne des équipes de recherche, quels que soient leur statut et leurs tutelles. Ces équipes sont le gisement de la recherche fondamentale sans laquelle la recherche par projet serait dépourvue de toute cohérence. Et c’est là, surtout, que se trouve la « clé » de notre excellence scientifique reconnue au niveau international.