Intervention au CNESER de Denis Kambouchner, représentant de QSF, du 17 octobre 2016, à propos du projet de décret relatif à l’admission en master
Pas plus que plusieurs organisations syndicales qui se sont exprimées, l’association QSF – qui représente pourtant au CNESER 22% des enseignants-chercheurs de rang A – n’a été consultée sur le présent projet de décret concernant les modalités d’admission en master. La présidence de l’Association a été reçue par le Cabinet le 4 octobre en fin de matinée, alors que le projet était déjà finalisé.
Nous voulons dire notre opposition à ce texte dont les interventions de ce matin ont suffi à mettre en relief les ambiguïtés. Ce texte est ou trompeur ou inconséquent. Ce qu’il accorde d’une main, il menace de le retirer de l’autre. De la sorte, il ne peut guère avoir que des conséquences funestes : soit une perte d’autonomie jamais vue des formations universitaires, soit une multiplication illimitée des contentieux, soit encore la constitution au niveau post-licence d’un archipel de formations sans réelle valeur.
L’article 2 : « Les établissements autorisés par l’Etat à délivrer le diplôme national de master peuvent organiser un processus de recrutement… », correspond en effet à ce pour quoi QSF a toujours plaidé, ayant toujours tenu la sélection à l’entrée du M2 pour un pis-aller au sein d’une cote d’emblée mal taillée.
Mais il y a l’article 3 : « Un étudiant titulaire [de la licence] qui n’a reçu aucune réponse positive à ses demandes d’admission en première année [de master] se voit proposer, à sa demande, par le recteur [de la région académique où il a obtenu sa licence], après accord des chefs d’établissement concernés, au moins trois propositions d’admission dans une formation conduisant au diplôme national de master. »
Au mépris de toute logique, cet article 3 signifie ceci : au terme d’une procédure qui s’annonce incroyablement compliquée à mettre en place et ensuite à gérer, les recteurs et les chefs d’établissement pourront imposer aux responsables des différentes formations de master, y compris théoriquement celles qui mettront en œuvre les dispositions prévues à l’article 2, l’inscription d’étudiants dont ces responsables n’auront d’abord pas voulu.
De deux choses l’une alors : ou bien cette procédure entrera en vigueur, et il faut parler d’une atteinte sans précédent aux libertés académiques, plaçant les établissements universitaires au même niveau de tutelle que les lycées et collèges ; le recteur ne devra plus être alors dit « chancelier des universités », mais quelque chose comme : « recteur des collèges, des lycées et des universités ». Ou bien ce sont les étudiants concernés qui feront les frais de ce dispositif en trompe-l’œil, en se voyant proposer des formations de master très éloignées de leurs voeux, ce qui ouvrira la voie à des myriades de recours devant le juge administratif.
On nous dira que c’est là une vision trop abstraite, qui ne fait pas la distinction entre les masters sélectifs et les masters non sélectifs : dans la pratique, nous dira-t-on, les propositions rectorales ne devraient porter que sur ces derniers. Mais qui ne voit que dans les nouvelles conditions créées par l’article 2, TOUTES les formations de master qui se voudront dignes de ce nom seront conduites à afficher leurs prérequis, de sorte que, si elles ont le moindre souci de leur « label qualité », le recasage envisagé ne pourra pas se produire sans conflit ?
Nous renonçons à nous demander par quels cheminements les partenaires de la négociation en sont venus à prendre pour un compromis honorable un dispositif dont l’incohérence saute aux yeux. Mais à l’origine de cette incohérence, il y a au moins quatre erreurs de base :
1) Le « droit à la poursuite d’études en master », qu’on invoque depuis des mois, est sans doute intuitivement fondé, mais il est juridiquement des plus imprécis.
2) La doctrine de l’accès universel au master (pour les titulaires d’une licence) dissimule à peine l’idée que la licence est aujourd’hui un diplôme démonétisé. Mais que ne songe-t-on à lui rendre sa valeur, notamment en agissant sur les conditions d’encadrement des étudiants de toutes les filières, qui laissent ici et là tellement à désirer ?
3) Si l’on se résigne à la démonétisation des licences, c’est faute d’avoir eu le courage d’instituer des prérequis pour les admissions en L1 : d’où l’inflation des inscriptions dans certaines filières transformées de facto en formations-parkings.
4) On considère que toute poursuite d’études après la licence passe par les formations de master, comme s’il était absurde de concevoir au niveau dont il s’agit des formations courtes (d’un an), à visée exclusivement professionnelle, et des diplômes spécifiques correspondant à ces formations.
Notre idée n’est nullement que les étudiants qui auraient eu du mal à acquérir leur licence devraient être ensuite abandonnés à leur sort. Des perspectives doivent à l’évidence être cherchées et aménagées pour eux. Mais le défi essentiel, en tout ceci, est celui du renforcement général des formations, y compris en amont de la licence, que ce soit par la mise en place d’années de pré-licence ou du côté de l’enseignement secondaire. Faute d’affronter ce défi, nous restons dans l’hypocrisie, et, en l’espèce, nous jouons avec le feu. Il est vrai que tout ceci intervient à quelques mois d’échéances électorales auxquelles le devenir de notre système universitaire est maintenant en grande partie suspendu.