La transparence et l’égalité de traitement dans le recrutement des professeurs des universités et des maîtres de conférences sont une condition essentielle de la qualité de l’enseignement et de la recherche universitaires.
Or un amendement déposé par des députés du Modem et de LREM, dans le cadre du projet de loi « Transformation de la fonction publique », menace la qualité du recrutement universitaire et constitue une atteinte à peine dissimulée au statut des enseignants-chercheurs. Cet amendement a « pour objet de permettre aux universités de déroger à la procédure de qualification pour recruter directement leurs enseignants-chercheurs. Cette dérogation serait accordée […] pour des disciplines comportant un nombre suffisant de candidats au regard du nombre de postes ouverts au niveau national […]. Cette nouvelle procédure expérimentale permettrait ainsi, sans supprimer la procédure actuelle de qualification, de conférer aux universités une plus grande souplesse dans l’organisation de leurs recrutements tout au long de l’année ». Ce nouvel article du Code (Art. L. 952-6-2.) prévoit donc, en dérogation des articles L. 952-6 et L. 952-6-1, qu’« à titre expérimental, […] les établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche peuvent, par délibération du conseil d’administration de l’établissement, déroger à la nécessité d’une qualification préalable des candidats pour un ou plusieurs postes qu’ils déterminent. »
Cet amendement, qui témoigne d’une mauvaise connaissance des modalités de recrutement – la qualification n’est pas exigée, par exemple, pour être recruté au CNRS – vise à vider la procédure de qualification par le Conseil national des universités (CNU) de sa substance, tout en fixant comme condition à la dérogation l’« existence d’un nombre suffisant de candidats au regard du nombre de postes ouverts au niveau national ». Or seules les sections du CNU peuvent certifier, grâce notamment à la procédure de qualification, l’existence ou non d’un tel vivier !
De manière tout aussi paradoxale, l’« exposé sommaire » des motifs rédigé par les députés s’appuie de manière confuse sur des chiffres fournis par le CNU, qui permettent justement d’avoir une vision complète de l’état national des disciplines. Ces éléments montrent, au demeurant, que plus de la moitié des candidats à la qualification ne remplissent pas les critères pour les fonctions d’enseignant-chercheur, ce qui semble justifier donc l’existence d’une procédure d’évaluation nationale. Par ailleurs, en prévoyant une évaluation du dispositif par le Haut Conseil de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche (Hcéres), les auteurs de l’amendement semblent ignorer qu’une telle évaluation, qui ne pourrait se faire qu’en tenant compte de la production scientifique et de l’activité didactique des enseignants-chercheurs ainsi recrutés, relève des missions du CNU et non du Hcéres.
Conscient de la nécessité de renouveler les fonctions du CNU, QSF a récemment proposé une réforme des missions de ce Conseil, de son périmètre, de sa composition, du mode de scrutin. Il est en effet important que cette instance nationale soit l’expression d’une collégialité académique qui garantit l’égalité de traitement de tous les candidats. Or la possibilité de deux procédures, l’une réglementaire, l’autre dérogatoire et fondée sur des critères qu’aucune institution, en dehors du CNU lui-même, n’est en mesure de définir, porte atteinte à l’égalité de traitement et des chances. QSF a plusieurs fois souligné que l’un des maux dont souffre l’université française est l’insuffisante ouverture aux candidats venant d’autres universités de l’Hexagone et a fortiori de l’étranger. QSF se bat depuis des années contre le recrutement endogamique, qui risque de pénaliser la qualité de l’enseignement et de la recherche et qui offre une image provinciale de l’université française.
L’amendement en question présente pour QSF un aspect encore plus pernicieux. Prévoir une dérogation aux modalités de recrutement des enseignants-chercheurs dans le cadre de la loi de « Transformation de la fonction publique » est une tentative de banaliser le statut des universitaires, en méconnaissant sa singularité institutionnelle et juridique. Certes, les universitaires sont des fonctionnaires de l’État, mais ils ont un statut particulier qui déroge heureusement au statut général des fonctionnaires. Ce statut n’est ni un privilège corporatif, ni un acquis syndical, mais la condition sine qua non de la liberté de recherche et d’enseignement, de la capacité de notre communauté à faire fi des pressions que les pouvoirs pourraient être tentés d’exercer pour orienter la transmission du savoir, l’élaboration de nouvelles connaissances, la formation de l’esprit critique.
Il est hors de question pour QSF que, à l’occasion d’une loi qui porte sur autre chose que l’université et le statut des universitaires, une partie de l’actuelle majorité veuille mettre fin à la qualification par le CNU.
La loi de programmation en préparation permettra d’aborder les questions d’attractivité qui se posent à l’université française. QSF est prêt à avancer des propositions, y compris pour améliorer la représentativité du CNU.
QSF appelle la communauté universitaire, les organisations représentatives et la Conférence des présidents d’universités à manifester leur hostilité à cet amendement et à préserver le statut des enseignants-chercheurs.
QSF demande à la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation de défendre le principe d’indépendance des universitaires, d’affirmer que les missions du CNU garantissent l’égalité des chances dans l’accès au corps des enseignants-chercheurs et de rappeler que la concertation est la seule voie qui permettra les réformes dont l’université française a besoin.