Vendredi 19 juin, au terme de vingt heures de séance, le CNESER – organe consultatif du monde académique – a rendu un avis favorable au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2020 (LPPR). Avant même le confinement, les bruits les plus inquiétants avaient couru sur ce projet. Plusieurs syndicats et groupes dénonçaient dans les termes les plus vifs la précarisation de la recherche que la nouvelle loi allait produire. Ce seul fait d’une opposition préventive et indifférenciée témoigne de l’anxiété et du désarroi qui ont gagné, année après année, réforme après réforme, un nombre croissant de chercheurs et d’universitaires. Pour l’essentiel, ces craintes étaient peu fondées. Profus et mal composé (voir sur ce point notre précédent communiqué), le texte publié ne comporte que deux mesures phares : un engagement financier chiffré de l’État pour la décennie à venir et la création d’une nouvelle voie de recrutement dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Sur le premier point, il faut beaucoup de mauvaise foi pour ne pas apprécier les 25 milliards d’euros promis – même sur dix ans – à une recherche française financièrement exsangue. Ce n’est pas la manne annoncée par la ministre, mais pas non plus la misère décrite par ses opposants radicaux.
Pour les universitaires et chercheurs, le vrai problème concerne l’institution d’une procédure accélérée pour recruter des professeurs (article 3), que l’on décrit comme l’équivalent d’un tenure track à l’américaine, ou des junior professors en vigueur en Allemagne et en Suisse. La disposition déroge à la règle générale qui impose, pour devenir professeur, d’être qualifié par le Conseil national des Universités (CNU), sur la base d’une habilitation à diriger des recherches (HDR) soutenue dans une université. L’idée de départ est assez claire. Pour que nos plus brillants chercheurs restent en France, ou rentrent après plusieurs années de « post-docs » à l’étranger, ou encore pour pallier la carence du vivier dans certains domaines, on construit un dispositif avantageux : accès plus rapide au rang magistral ; rémunération un peu plus décente que celle, actuellement indigne, des maîtres de conférences ; crédits et possibilité de recruter des collaborateurs pour les projets engagés. Ces conditions s’adressent aussi à de jeunes talents étrangers n’excluant pas de venir travailler en France, nonobstant la situation très insatisfaisante qu’ils peuvent s’attendre à trouver dans nombre d’établissements.
L’introduction d’une telle disposition appelait toutefois beaucoup de prudence. Or c’est là que le bât blesse, car le texte ne précise ni les modalités de sélection, ni les domaines dans lesquels ce type de recrutement peut être utile, alors qu’il est censé s’étendre à un nombre de postes conséquent, à hauteur de 25% des recrutements de professeurs et de directeurs de recherche par voie normale. Problématique dans sa mise en œuvre, le nouveau dispositif rompt avec le principe d’égalité dans l’accès à un même corps de fonctionnaires.
Mais ce qui était déjà contestable devient franchement inacceptable avec la manœuvre à laquelle le ministère s’est prêté devant le CNESER. Pour emporter le vote du projet de loi, la ministre a pris l’engagement que tout recrutement sur une de ces nouvelles chaires s’accompagne d’une « promotion supplémentaire » d’un maître de conférences comme professeur des universités ou, au CNRS, d’un chargé de recherche comme directeur de recherche. Sans que la chose soit explicite, cette mesure est destinée à faciliter les promotions sur place, partiellement régies par l’article 46-3 du décret de 1984 sur les carrières d’enseignant-chercheur.
Admirons la cohérence : pour faire passer l’instauration d’une voie « d’excellence », on favorise la moins défendable des procédures de ce système, celle qui permet d’être promu par une parodie de concours dans le même établissement où l’on a accompli tout ou l’essentiel de sa carrière. C’est ce qu’on appelle l’endogamie locale, cette maladie des universités françaises qui nuit au dynamisme de la recherche comme à celui de l’enseignement, et qui entache de larges secteurs du système de recrutement, excepté dans certains domaines tels que les mathématiques.
Si cette mesure était adoptée par le législateur, ce ne sont donc pas des logiques de développement scientifique, mais des arrangements locaux qui dicteront la création des nouvelles chaires, soit un résultat inverse de l’intention initiale ! Espérons que les prochaines étapes de l’examen du projet conduisent à l’écarter, à moins… qu’en conservant le volet financier du projet de loi, on ne se décide à subordonner tout le reste à l’organisation d’une discussion enfin sérieuse.