Un large écho vient d’être donné sur le mode du scandale à des extraits d’un cours d’histoire du droit donné par un professeur de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, enregistrés par des étudiants puis diffusés sur les réseaux sociaux. Il ressort des extraits vidéo disponibles que cet enseignant s’exprime très librement sur le « mariage pour tous », auquel il ne cache pas son hostilité à titre personnel. Pour illustrer son opposition, il se livre à un développement à l’emporte-pièce sur les conséquences extrêmes auxquelles pourrait selon lui aboutir le principe de non-discrimination s’il n’était pas maîtrisé. Il évoque ensuite sur le même ton de dérision une jurisprudence relative au changement de sexe.
Des étudiant(e)s ainsi que des collègues universitaires ont appelé à des sanctions contre ce professeur. L’administrateur provisoire de l’université a publié un communiqué condamnant les propos tenus. La référente égalité femmes-hommes de l’université a été saisie. Le parquet de Paris s’apprête à examiner si ces propos sont susceptibles de constituer une infraction pénale.
Cette déplorable affaire est d’abord pour QSF l’occasion de rappeler les limites constitutives de la liberté d’expression en situation d’enseignement.
Tout enseignant a droit à ses opinions personnelles sur des sujets de société, et peut être conduit à en faire état soit par les circonstances de son enseignement, soit par ses objets. Il serait déraisonnable de tenir toute espèce d’expression de ces opinions pour contraire à la déontologie. En revanche, il est exigible que cette expression se tienne toujours dans les limites autorisées par la loi, qu’elle soit assortie de la réserve et des précautions intellectuelles indispensables, et qu’elle soit limitée au maximum par rapport à la substance scientifique des cours. Cela exclut diverses sortes de provocations, aussi bien qu’un relâchement de langage indigne d’une enceinte académique.
Ces règles conditionnent la liberté de la parole universitaire, qui est une partie intégrante de la liberté académique, et que QSF tient pour un principe fondamental. Ces mêmes règles apparaissent aujourd’hui d’autant plus impératives que la révolution numérique affecte les murs de l’université d’une nouvelle porosité. En particulier, par la multiplication des enregistrements sauvages et leur diffusion incontrôlée, toute prestation d’enseignement de nature non strictement technique peut se voir portée devant le tribunal de l’opinion avec statut d’événement public – et ce, en cas de propos problématiques, avant que les instances statutaires aient pu se prononcer sur leur qualification.
De façon plus générale, le développement des enregistrements, associés ou non aux nouveaux systèmes d’enseignement à distance, est de nature à faire peser sur les enseignants de nouvelles sortes de contraintes. Cette évolution aura ses aspects positifs si elle a pour résultat de dissuader les écarts de langage et les dérapages de toutes sortes. Il est cependant peu probable que ce soit là son principal effet. La même évolution peut favoriser le formatage des discours et la standardisation des pédagogies, au détriment d’un enseignement vivant et original, qui implique dialogue et libres développements. Elle peut aussi, du fait des possibilités quasi illimitées d’exploitation fallacieuse et malveillante qu’offrent les nouveaux moyens numériques, créer un climat d’intimidation directement contraire à la liberté académique elle-même.
En toute hypothèse, ce nouvel environnement exige de tous une extrême vigilance. QSF forme le vœu que toutes les leçons soient tirées de l’affaire de Paris 1, et appelle à une réflexion de toutes les parties, corps enseignants, associations étudiantes, présidences d’université, administration centrale, autour de ces nouveaux enjeux.