Si le portail national trouvermonmaster.gouv.fr est indéniablement une source précieuse d’information pour les étudiants sur l’ensemble des diplômes nationaux de Master délivrés par les établissements d’enseignement supérieur français, publics ou privés, son déploiement dans un contexte post covid ne peut qu’inquiéter la communauté universitaire. Du fait de la pandémie, les modalités de contrôle des connaissances ont été allégées ces deux dernières années. En conséquence, les étudiants furent particulièrement nombreux à obtenir leur licence en 2020-2021 et une forte pression s’est exercée, avant comme après la coupure estivale, sur les responsables de Master. La presse s’est d’ailleurs faite l’écho de la déception des non admis et des actions qu’ils ont pu intenter. Ils ont notamment commencé à se saisir du droit à se voir proposer une poursuite d’étude en M1, fort imprudemment prévu au second alinéa de l’article L. 612-6 du code de l’éducation, tel qu’il résulte de la loi du 23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat engendré par le processus de Bologne. En réalité, la loi de 2016, loi de compromis, opérait un savant équilibre entre la sauvegarde de la capacité des responsables de formation à sélectionner à l’entrée en M1 et l’affirmation, assez largement contradictoire, d’un droit à la poursuite des études. C’est cet équilibre qui jusqu’ici, conformément à la volonté du législateur, penchait plutôt en faveur de la sélection à l’entrée en master, qui se trouve remise en cause par l’intervention du pouvoir réglementaire et le déploiement de la plateforme Trouvermonmaster.gouv.fr (I) Il en résulte un basculement du système vers une logique de gestion des flux estudiantins qui n’est pas sans rappeler certains des travers de Parcoursup (II).
I. Le savant équilibre de la loi du 23 décembre 2016 : un pas en avant, un pas en arrière
Rappelons que bien après l’instauration du LMD en 2002, le processus de Bologne est longtemps resté inachevé dans le cursus Master. Ni la loi LRU de 2007, ni celle dite « ESR » de 2013 n’étaient en effet parvenues à mettre un terme à la pratique d’une sélection à bac +4, à laquelle nombre de responsables de Master demeuraient attachés. Cependant, la légalité de cette sélection entre le M1 et le M2 était subordonnée par l’article L. 612-6 du code de l’éducation à l’inscription de la formation sur une liste établie par décret qui n’a vu le jour qu’en…mai 2016. Entre-temps, plusieurs étudiants avaient obtenu devant les tribunaux leur inscription forcée en M2, avec l’aval du Conseil d’État . Le risque contentieux n’étant pas totalement endigué, le législateur s’est en définitive saisi de la question jusque-là laissée entière de la sélection à l’entrée du M1, ce qui a donné naissance à la loi de décembre 2016.
Mais comme toujours lorsqu’il s’agit de parler sélection au sein de l’université, nos gouvernants se sont efforcés de concilier l’inconciliable : la loi du 23 décembre 2016 réécrit l’article L. 612-6 du code de l’éducation en autorisant à la fois une sélection à l’entrée en M1 et un droit à la poursuite des études .
L’alinéa 1er de l’article L. 612-6 autorise en effet les établissements à fixer des capacités d’accueil en M1 et à subordonner l’admission « au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat ». Toutefois, dès l’alinéa 2 de ce même article, il est prévu que les titulaires d’une licence qui ne sont pas admis dans le M1 de leur choix « se voient proposer l’inscription dans une formation du deuxième cycle en tenant compte de leur projet professionnel et de l’établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence ».
Le pouvoir réglementaire est ensuite venu préciser cette habile dialectique par le biais de l’article R612-36-3, lui-même récemment modifié par l’article 1 du décret n°2021-629 du 19 mai 2021. Le candidat refusé dans au moins cinq masters doit saisir, dans un délai de quinze jours, le recteur de sa région académique afin de se voir proposer une inscription en M1. Le recteur doit alors présenter à l’étudiant au moins trois propositions d’admission dans une formation conduisant au diplôme national de master, en tenant compte de son projet personnel et professionnel, de l’offre de formation existante, et des capacités d’accueil desdites formations. Afin de limiter la mobilité géographique contrainte, le recteur doit veiller à ce que l’une au moins des trois propositions d’inscription concerne l’établissement ou à défaut la région académique dans lequel l’étudiant a obtenu sa licence.
Notons d’abord que, contrairement à ce qui avait pu être affirmé lors des débats parlementaires relatifs à l’adoption de la loi du 23 décembre 2016, aucun garde-fou pédagogique n’a été prévu par le législateur ou le pouvoir réglementaire. Nulle part il n’est en effet précisé que les propositions du recteur ne pourront concerner « ni un Master que le chef d’établissement concerné ne souhaiterait pas proposer à cet étudiant, ni un Master dont l’étudiant ne remplirait pas les prérequis» . Bien au contraire, l’article R612-36-3 tel que modifié par le décret 19 mai 2021 précise que « l’acceptation par l’étudiant d’une proposition met fin au traitement de la saisine par le recteur de région académique. Son inscription dans la formation concernée est de droit dès lors qu’il en fait la demande auprès du chef d’établissement ». Il en résulte une situation ubuesque : les responsables de master sont en droit de refuser les étudiants de leur propre université dont ils estiment le niveau insuffisant, mais ils peuvent être mis en situation de devoir inscrire des étudiants refusés ailleurs. On imagine sans peine la pression qui, dans ces conditions, est susceptible de s’exercer sur les présidents d’Université ou les doyens d’UFR…
L’article L. 612-6 du code de l’éducation, tel qu’il résulte de la loi de compromis du 23 décembre 2016 s’efforçait donc de concilier deux objectifs contradictoires : la capacité à sélectionner à l’entrée en M1 et l’affirmation d’un droit à la poursuite des études. Reste à savoir dans quel sens va trancher la pratique : en faveur de la raison ou du droit au Master ? Le déploiement du portail Trouvermonmaster.gouv.fr peut laisser craindre le pire.
II. Trouvermonmaster.gouv.fr : le diable est toujours dans le détail numérique
En effet, le véritable danger qui se profile à l’horizon réside dans la transformation du portail d’information Trouvermonmaster.gouv.fr en un portail de candidature. Dès la prochaine rentrée, les étudiants ne candidateront plus en master auprès des établissements mais, comme dans le cas de Parcoursup pour l’entrée en L1, sur ce portail dorénavant unique. Pour les étudiants, le gain de temps serait évidemment appréciable. A plus long terme, il est pourtant loin d’être certain qu’ils y gagnent. D’abord, parce qu’on pourrait voir dans ce projet un symbole supplémentaire du phénomène bien ancré de « secondarisation » de l’université, ce qui n’est valorisant ni pour les étudiants, ni pour leurs enseignants. Ensuite, parce que la politique du guichet unique favorise inévitablement la multiplication des candidatures. On court le risque que les responsables de master soient contraints d’abandonner l’examen individuel des candidatures, devenu beaucoup trop chronophage, au profit d’un algorithme plus ou moins juste et pertinent, similaire à ceux mis en place pour l’accès à l’université. L’efficacité de l’orientation vers les Masters qui sont les plus adaptés au profil et à l’avenir de l’étudiant pourrait être moindre. On risque enfin de voir resurgir au niveau du Master les travers de Parcoursup et en particulier la tendance des formations antérieures à « surnoter » leurs étudiants afin d’éviter de les « pénaliser ». Lorsqu’on sait qu’à l’université nombreux sont les étudiants qui obtiennent leur licence sans toujours maîtriser les savoirs fondamentaux, une telle perspective ne peut que laisser songeur quant à la qualité des futurs diplômes.
La mise en place d’une plate-forme nationale risque donc fort de faire basculer l’économie du système dans le sens de « l’idéologie du Master pour tous » qui transparaît clairement du deuxième alinéa de l’article L. 612-6. Les formations ne pourront que hiérarchiser de multiples candidatures et pourraient être contraintes d’accepter des candidats, quel que soit leur niveau, à concurrence de leur capacité d’accueil. Le processus de candidature à l’entrée en Master ne sera plus sélectif mais s’apparentera au mieux à une procédure d’orientation des meilleurs candidats vers les Masters les plus recherchés. Il en résultera une inévitable hiérarchisation des Masters dans laquelle seuls les plus réputés, souvent situés dans les grandes villes, tireront leur épingle du jeu. Les autres seront contraints comme en L1 d’accepter des étudiants candidats « par défaut », au risque d’ailleurs de démotiver ceux qui auront fait un choix positif. Sans doute est-ce déjà pour partie le cas, mais est-il véritablement besoin d’accentuer ce phénomène délétère ?
Cécile Guérin-Bargues
Secrétaire générale de QSF