Avec l’actuelle administration de l’enseignement supérieur, on finit par penser que le pire est toujours sûr. À peine QSF avait-il alerté sur les dangers d’un « repyramidage » qui entérine le principe d’un accès à l’ancienneté aux fonctions de professeur que pointe une disposition plus inquiétante encore : la remise en question de la sélection pour l’entrée en master.
Dans la Note associée au présent communiqué, Cécile Bargues a décrit le cadre juridique régissant l’entrée en Master 1 et souligné la situation ubuesque créée par un législateur inconséquent. La loi du 23 décembre 2016, modifiant l’article L. 612-6 du code de l’éducation, réussit en effet à énoncer dans un même article deux règles contradictoires : au premier alinéa, le droit à la sélection offert aux établissements ; au second, le droit à la « poursuite des études » pour tous les étudiants titulaires d’une licence.
Comme toujours, le danger se précise avec les outils techniques. Le MESRI vient de donner au portail national trouvermonmaster.gouv.fr, créé il y a trois ans pour les étudiants en difficulté d’orientation, une nouvelle fonction qui menace de réduire à néant le droit des formations universitaires à sélectionner des étudiants à l’entrée du M1. Certes, ce portail constitue pour les étudiants une précieuse source d’information sur l’ensemble des Masters délivrés en France, mais son nouveau déploiement dans un contexte post-covid ne peut qu’inquiéter la communauté universitaire.
Au cours des deux dernières années, les modalités de contrôle des connaissances ont été allégées du fait de la pandémie. En conséquence, les étudiants ont été particulièrement nombreux à obtenir leur licence en 2020-2021, et une forte pression s’est exercée, dès la dernière rentrée, sur les responsables de master. Certains non admis ont d’ailleurs commencé à intenter des actions en justice, sur la base de ce qui constitue depuis le 23 décembre 2016 le second alinéa de l’article L. 612-6 du code de l’éducation.
Dans ces conditions, le danger qui se profile est lié à la transformation du portail d’information Trouvermonmaster.gouv.fr en un portail de candidature. Dès le prochain printemps, les étudiants ne candidateront plus auprès des établissements, mais sur ce portail dorénavant unique, comme dans le cas de Parcoursup pour l’entrée en L1. Ainsi que l’indique Cécile Bargues dans sa Note, la mise en place de cette plate-forme nationale risque de se muer en processus d’orientation des candidats avec computation des critères et propositions d’admission. Les plus brillants d’entre eux seront orientés vers les masters les plus recherchés, tandis que les masters dont les capacités d’accueil n’auront pas été remplies se verront pratiquement contraints d’accueillir, à la demande des commissions rectorales, des étudiants dépourvus des capacités requises pour y entrer.
Une telle réforme, si elle se réalise, constituera un nouveau pas vers la « secondarisation » de l’université, mettant à nu le caractère fictif de l’autonomie des établissements. Elle abaissera définitivement le niveau d’un certain nombre de filières et donnera le signal d’une fuite des meilleurs étudiants vers les écoles, conformément à la loi de Gresham selon laquelle « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Ce principe est bien connu. Le ministère de l’enseignement supérieur l’ignore-t-il, ou a-t-il d’avance accepté la dégradation programmée de notre système universitaire ?