Le site universitaire de Toulouse se trouve dans une situation singulière : en dépit de sa taille (environ 100 000 étudiants) et des grands centres scientifiques qui y sont situés (CNES, Météo France), il ne bénéficie d’aucun financement majeur de la part des programmes dits d’investissement d’avenir » (PIA) : pas d’IDEX ou d’I-site. Une nouvelle candidature vient toutefois d’être déposée en février 2021 dans le cadre du programme ExcellencES. Elle a suscité quelques polémiques, en raison de l’existence de deux projets concurrents.
Un retour historique s’impose : le site de Toulouse avait obtenu un IDEX en 2011, révoqué en 2016 par le jury international pour défaut de volonté de créer une université de recherche. En réalité, le projet initial qui avait remporté l’IDEX avait été modifié après 2012 : l’idée de périmètre d’excellence, c’est-à-dire en substance l’idée de concentrer les efforts sur les secteurs les plus performants, avait été plus ou moins abandonnée. Il ne restait donc plus de ces évolutions qu’une structure confédérale, la COMUE. Les établissements du site passèrent alors beaucoup de temps en négociations pour arriver à un nouveau projet, porté par les deux seules Toulouse-2 (SHS) et Toulouse-3 (sciences et médecine), Toulouse-1 (droit, économie) ayant préféré s’en tenir à l’écart. Le projet déchaîna un de ces mouvements de protestation dont Toulouse-2 a le secret : long, destructeur, ne faisant que des perdants. Le projet, proposé envers et contre tout, ne parvint pas davantage à convaincre le jury en 2019.
Pour cette nouvelle tentative, un « expert » extérieur a été missionné pour aider la COMUE. Pendant longtemps, la COMUE n’a travaillé que sur des questions de gouvernance, avec la volonté affirmée de faire un projet inclusif consacré aux « transitions » de toute sorte. Le flou du processus a fini par déclencher une bronca d’un grand nombre de directeurs de laboratoires majeurs, qui a eu deux conséquences. La première, coopérative, s’est traduite par l’inclusion à la dernière minute d’un volet recherche plus substantiel dans le projet TIRIS (celui de la COMUE). La seconde, disruptive, a pris la forme d’un projet concurrent, TTU (Toulouse Tech University), porté par la fameuse Toulouse School of Economics (TSE, composante de Toulouse-1), Toulouse-3 et l’ISAE (« Sup Aéro », l’école d’ingénieurs la plus en vue de la ville). Cette seconde proposition s’est heurtée à une forte opposition : le conseil d’administration de Toulouse-3 n’a pas suivi son président dans le soutien à TTU, et celui de Toulouse-1 l’a encore plus fortement rejeté, au grand dam de TSE. En définitive, le seul projet présenté est TIRIS, mais un mécontentement subsiste chez TSE.
Que retenir de cette lamentable histoire? D’abord, que les forces centrifuges, tenant au conservatisme et aux craintes de chaque établissement, et aussi sans doute à la composition hétéroclite imposée par la loi aux différents conseils, ont empêché depuis dix ans la mise sur pied d’une stratégie commune cohérente entre les universités toulousaines. Il existe pourtant des coopérations à petite échelle entre les enseignants des trois établissements et les nombreuses écoles d’ingénieur du site. De plus et surtout, ces multiples atermoiements montrent combien la stratégie de fusion à tout crin des gouvernements successifs, obsédés par le classement de Shanghaï, les pousse à imposer des rassemblements hypertrophiés qui n’ont aucune chance d’être acceptés ou efficaces. L’idée d’un périmètre d’excellence accompagné de la création de structures plus petites, si elle pose d’autres problèmes, a au moins le mérite de présenter une certaine logique et de suivre des modèles qui ont fait leurs preuves. Rappelons que sur les dix universités en tête de l’emblématique classement de Shanghaï, sept comptent moins de 21 000 étudiants (et les trois autres, entre 33 000 et 41 000) : c’est leur budget qui en fait des géants.
Pascal Thomas