Communiqué sur le discours du Président de la République
sur la recherche et la science du 7 décembre 2023
Le président de la République a consacré un long discours, lors de la réception officielle du 7 décembre 2023, à «l’avenir de la recherche française». On ne peut que s’en féliciter car c’est remettre enfin la question de la recherche et de la science au premier plan de l’agenda des politiques publiques. Ce discours, reposant à la fois sur un constat d’avant 2017 et sur le rapport Gillet paru en 2023, se veut offensif sur la recherche et l’innovation en France, «ce qui fait une nation, son indépendance et la capacité à dessiner son avenir ». Cet engagement au plus haut sommet de l’État est louable, certes, mais QSF voudrait cependant signaler trois points qui lui semblent inquiétants pour l’avenir de la recherche.
1. Une centralisation accrue du pilotage de la recherche autour de grandes thématiques
La réforme d’ampleur que signale ce discours est, à la suite du rapport Gillet, la transformation des Organismes Nationaux de Recherche en Agences de programmes thématiques. Ces agences sont appelées à coordonner la recherche dans des champs disciplinaires définis et à travailler en étroite relation avec le ministère. Un financement conséquent et bienvenu y sera consacré. Cette réforme est l’aboutissement de la tendance nationale et européenne des vingt dernières années à privilégier des thématiques stratégiques, en lien avec les défis nationaux et internationaux ou les innovations technologiques, au détriment toutefois de recherches venant d’initiatives de chercheurs sur des terrains neufs et peu exploités. Elle implique un pilotage plus marqué encore de la recherche, au moment même où l’on affirme pourtant que l’autonomie des universités doit entrer dans une phase 2. Il en résulte un risque accru d’invisibilité de certains travaux scientifiques relevant notamment de la recherche fondamentale, alors même qu’ils contribuent à la notoriété de la France; songeons notamment aux Médailles Fields. Quant aux SHS, réduites au patrimoine, à l’IA, ou aux enjeux de société et mutilées de pans entiers sacrifiés au nom des enjeux de société, elles sont présentées comme devant être renforcées, mais toujours dans une perspective d’interdisciplinarité et de transdisciplinarité, ce qui en fait des disciplines subsidiaires et non plus fondamentales. Si le financement des travaux en SHS n’est possible que par le biais de programmes transdisciplinaires ou, de manière moindre, par les opérateurs de recherche que sont les laboratoires, que feront les chercheurs pour ce qui est le cœur de leurs recherches et qui nécessite en général un financement sur la longue durée ?
A la suite du rapport Gillet, nous nous étions étonnés et inquiétés d’un possible pilotage étatique de la recherche par la création d’un haut conseiller à la science. Le discours du 7 décembre instaure la création d’un Conseil présidentiel, constitué de membres prestigieux, reconnus internationalement pour leurs travaux. Nul ne peut mettre en cause la compétence et la qualité indiscutables de ses membres et on sait que d’autres pays ont des conseils similaires pour aider à définir une stratégie nationale de la recherche. Mais cette nouvelle instance, directement rattachée au Président implique une présidentialisation de la recherche. On peut craindre une détermination des orientations à moyen et à long terme selon des critères qui risquent de relever d’une stratégie politique à court terme, et ce, au détriment d’une véritable politique scientifique. Qu’en est-il désormais du Conseil stratégique de la recherche, rattaché au Premier ministre ? Qu’en est-il également du rôle du ministère de l’enseignement et de la recherche ? Sont-ils soumis à la décision d’un seul homme, même aidé de conseillers remarquables?
2. La phase 2 de l’autonomie?
Dans son discours, le chef de l’État a incité à une autonomie accrue des universités en faisant l’éloge de la politique menée depuis 2017: il a cité la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants), la «logique de site» tendant à imposer des regroupements d’universités, mais aussi la loi LPR qui, selon lui, « apporte sur sa trajectoire 25 milliards d’euros de plus dans notre recherche sur 10 ans », ce qui a conduit notamment à la revalorisation des traitements (pour les débuts de carrière essentiellement).
Vu de l’intérieur, la situation n’est pas aussi positive : ces réformes n’ont réussi que très partiellement à endiguer la paupérisation des universités et n’ont absolument pas amélioré l’attractivité des carrières. Le Président, comme la ministre le même jour, considèrent que le remède vient principalement des financements privés, ainsi que des financements européens. Les universités apparaissent avant tout comme des opérateurs au niveau territorial, œuvrant « en tant que cheffes de file pour organiser et gérer la recherche scientifique de leur territoire ». Or la dénomination de cheffe de file, empruntée au droit des collectivités locales, signifie non pas que les universités ont une pleine autonomie pour faire acquérir à leur recherche une notoriété internationale, mais qu’elles constituent des acteurs territoriaux, aux pouvoirs limités. Elles ne sont donc pas des lieux de dynamisme ou même de pilotage de la recherche, mais n’ont que le pouvoir d’organisation et de gestion de financements dans un cadre managérial inspiré du privé, les contrats d’objectifs, de moyens et de performances (COMP). Pour obtenir ces financements, elles doivent s’inscrire dans des thématiques définies ailleurs.
3. Simplifions et soyons heureux ?
Le maître mot, tant dans la bouche du chef de l’État qu’au ministère, est simplification, qui apparaît désormais comme la panacée et la promesse d’un avenir riant. Simplification des procédures d’abord, afin de dégager du temps pour les chercheurs, ce qui est assurément nécessaire… quand cela ne se traduit pas par l’instauration de plates-formes où la fonction du chercheur se réduit à celle d’un secrétariat. Simplification des statuts ensuite, favorisant les échanges entre ONR et universités, ce qui ne peut qu’être fécond si les ONR ne sont pas les donneurs d’ordre d’une recherche universitaire. Simplification enfin d’une évaluation qui aboutirait, si elle est bonne, à un financement pluriannuel des unités de recherche ou, si elle est mauvaise, à la fermeture de laboratoires. La simplification, présentée comme un horizon heureux pour les chercheurs, universitaires ou non, est désormais le nouvel idéal, alors même que l’on assiste, au contraire, à une multiplication des procédures, via des modalités de financements souvent complexes. Dix-sept sites doivent servir de terrain d’expérimentation: espérons que n’en sortent pas de nouvelles procédures, finalement plus complexes encore.
Il est à craindre que le bonheur des universitaires et des chercheurs ne soit malheureusement pas encore à l’ordre du jour et, surtout, qu’au nom de la centralisation et de la simplification, soient étouffées la créativité et la dynamique de la recherche, qui sont le véritable moteur de l’innovation.