Une fois de plus, l’Université apparaît comme la grande oubliée des débats électoraux. Tandis que la campagne électorale bat son plein, elle continue son lent déclin : une politique managériale à courte vue s’y déploie, favorisée par des restrictions budgétaires qui compromettent toute ouverture de postes dans les universités. Les postes de professeurs ou de maîtres de conférences se raréfient, au même titre que les contrats doctoraux ou d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER). Par ailleurs, l’actualité met en évidence une tendance préoccupante dans le recrutement des enseignants à l’université : celle qui consiste à faire appel à des «contractuels» plutôt que de choisir de vrais universitaires, qualifiés par le Conseil National des Universités (CNU). Cette possibilité est ouverte par le droit en vigueur qui institue pourtant une hiérarchie entre les recrutements.
En effet, le principe traditionnel prévu par le droit est censé être le recrutement d’universitaires – que la technocratie ministérielle nomme des «enseignants-chercheurs». Régi par le décret du 6 juin 1984 (plusieurs fois modifié), il combine une procédure nationale de qualification par le CNU à une procédure locale de désignation par l’université concernée. Cette dernière recrute par l’intermédiaire d’un comité de sélection composé d’universitaires et de personnels assimilés. Les personnes recrutées deviennent des fonctionnaires, ayant un statut calqué sur le modèle du statut général de la fonction publique.
La loi relative aux libertés et responsabilités des université (dite « Loi LRU ») fait exception à ce principe par l’adjonction des fameux «contrats LRU», prévus par l’article L. 954-3 du Code de l’éducation. Aux termes de celui-ci, le Président de l’Université peut recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée, des «agents contractuels», non seulement «pour occuper des fonctions techniques ou administratives correspondant à des emplois de catégorie A» mais aussi «pour assurer, par dérogation (…), des fonctions d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche». Cette disposition a servi ensuite de modèle pour recruter des chercheurs (art. L. 431-2-1, Code de la recherche).
Le problème, évident, tient au fait que ce recrutement dérogatoire, et considéré comme autonome par rapport au recrutement des universitaires fonctionnaires, est très mal encadré. D’abord, et surtout, il n’y a pas eu de décret d’application de cette disposition législative, de sorte que ce sont les établissements eux-mêmes qui doivent fixer le régime juridique de ces agents contractuels . Ensuite les modalités de recrutement sont très différentes de celles en usage pour les enseignants-chercheurs. Par exemple, le comité de sélection ici visé, n’est pas un jury, comme le sont par contraste les comités de sélection compétents pour recruter les véritables universitaires (professeurs et maîtres de conférences). En effet son avis est simplement consultatif, ne liant donc pas le Président de l’Université alors que celui-ci est lié par l’avis d’un comité de sélection «ordinaire» recrutant des universitaires. De même, le nombre de membres du comité de sélection n’est pas prévu. On pourrait même imaginer un recrutement sur simple dossier. Enfin, les conditions concernant les candidats ne sont pas du tout fixées de sorte que, par exemple, il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat pour être recruté comme «contractuel-LRU» . Cette absence d’encadrement fait que ce recrutement supposé être dérogatoire est entièrement soumis à l’arbitraire des « dirigeants » des universités et des facultés de droit. On a par exemple pu voir des directeurs de thèse siéger dans le comité de leurs propres thésards candidats à un poste LRU-contractuel. Or, ce qui est impossible, car illégal, pour un comité de sélection destiné à recruter un maître de conférences ou un professeur, devrait l’être tout autant pour la procédure de recrutement d’un doctorant contractuel dans la mesure où le principe d’impartialité devrait valoir dans les deux cas.
Certaines universités ont très vite compris le danger de ce type de contrat et ont donc fixé des règles pour les encadrer. Par exemple, au regard de la lourdeur du service imposé à un contractuel LRU – qui peut aller jusqu’au double de celui d’un ATER – des universités ont remodelé les contrats en y intégrant une moitié de service pour l’enseignement (équivalent à celui d’un ATER) et la seconde pour la recherche. De même, afin d’éviter que ces contrats puissent être attribués à des personnes qui ne remplissent pas les conditions requises pour devenir enseignant à l’université, certaines facultés de droit ont imposé la qualification par le CNU comme condition sine qua non de recevabilité de la candidature. Ces universités ont joué intelligemment de l’autonomie en utilisant l’espace réglementaire dont elles disposaient, faute de cadre réglementaire national, pour fixer des conditions propices au recrutement de véritables universitaires sur ces contrats. Hélas, toutes les universités ne sont pas également vertueuses et certaines ont profité de l’absence de réglementation pour se livrer à un certain nombre d’abus et d’excès.
Or ces contrats LRU permettent une souplesse qui n’est pas sans danger pour la qualité de l’enseignement et de la recherche au sein des universités. Facilement renouvelables – alors qu’ils sont censés être «provisoires» – ils peuvent aboutir à un recrutement pour une durée indéterminée, ce que l’on désigne par procédure de «cédéisation» (néologisme guère heureux). Outre le danger lié à la généralisation de ce phénomène de «cédéisation» au détriment de l’ouverture de postes de professeurs ou de maîtres de conférences – mais également d’ATER – il convient de pointer celui lié au contournement du CNU. En effet, certaines universités acceptent de recruter sur des contrats LRU des docteurs qui n’ont pas été qualifiés par le CNU. Les renouvellements successifs de leur contrat permettent ensuite, au bout d’un certain nombre d’années, de les accueillir au sein de l’université sous le statut du contractuel à durée indéterminée pour assurer des tâches d’enseignement – et non de recherche – alors que l’instance nationale que constitue le CNU a estimé qu’ils n’avaient pas les compétences requises pour faire partie du corps universitaire. Le recrutement sur des postes LRU puis la «cédéisation» de docteurs non qualifiés par le CNU permet ainsi à des docteurs d’accéder par des biais détournés à une carrière universitaire pour laquelle une instance nationale a jugé qu’ils n’avaient pas les compétences requises. Rappelons une fois encore que la qualification du CNU est un indispensable rempart à l’arbitraire dans le recrutement, au localisme et aux arrangements internes.
Au-delà de ces premières difficultés, il n’est pas inutile de revenir sur les problèmes intrinsèques à ce type de contrat.
Certes, un CDI reste un contrat, mais il ne confère pas à celui qui en bénéficie l’avantage du statut de titulaire, qualité qui, en droit, distingue fondamentalement le contractuel à durée indéterminée du fonctionnaire. En effet, le premier est soumis au droit applicable aux agents contractuels; le second, au statut de la fonction publique prévu par la loi. Même s’il y a beaucoup de points communs, aujourd’hui, entre le droit des agents contractuels et celui applicable aux fonctionnaires, les différences n’en demeurent pas moins essentielles. Le contractuel n’a pas de progression de carrière à proprement parler et ne bénéficie pas tout à fait des mêmes garanties que le fonctionnaire. Surtout, l’agent contractuel recruté à durée indéterminée, faute d’être soumis au décret statutaire de 1984, ne bénéficie pas du même service que les autres universitaires. Il peut être astreint par contrat – et donc sous réserve certes de son consentement – à effectuer beaucoup plus d’heures que les universitaires statutaires. Son service est souvent le double de celui d’un statutaire et peut augmenter encore au gré des heures complémentaires ou des charges administratives. Si on a pu s’offusquer des conditions des PRAG, agrégés du secondaire, la situation des «LRU cédéisés» est pire encore.
Pour une université confrontée à un enseignement de masse avec des moyens financiers en baisse de tels emplois ne sont pas sans intérêt : pour un traitement donné, le contractuel LRU assure en effet un nombre considérable d’heures d’enseignement voire d’administration. On peut voir d’ailleurs dans la multiplication de ces recrutements aux procédures allégées un énième signe de la paupérisation des universités.
De son côté, le «LRU cédéisé» retire un bénéfice certain de sa nouvelle position juridique. Certes, il est en théorie plus facile de se séparer d’un agent contractuel, même à durée indéterminée, que d’un fonctionnaire. Toutefois, la rupture du contrat suppose un motif précis, tenant soit à la personne (une faute grave par exemple) soit au service (par exemple, la disparition du besoin qui a justifié le recrutement). Compte tenu des tendances de la fonction publique à se pérenniser, on comprend que la personne recrutée en CDI pour assurer des enseignements l’est presque à vie. Par ailleurs, le ministère de l’enseignement supérieur n’ayant que trop tendance, ces dernières années, à diversifier les modes de recrutement, rien ne dit que nous soyons à l’abri de la création, à l’avenir, d’une procédure qui permettrait à un contractuel cédéisé d’intégrer le corps professoral au bout d’un certain nombre d’années : une sorte de chaire des «cédéisés», pour ainsi dire… Il suffira alors de jouer sur la corde sensible de l’humanisme et de présenter le candidat soutenu comme la victime d’un système qui aura beaucoup exigé de lui pour que le tour soit joué. C’est ce type de raisonnement et de procédure qui a jadis permis à des assistants non docteurs de devenir maîtres de conférences et, plus récemment, à des maîtres de conférences de devenir professeurs via le «repyramidage» prévu par la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (dite Loi LPR).
On ajoutera pour faire bonne mesure que l’absence d’encadrement national a une signification précise: ce mode de recrutement, qui est entièrement entre les mains de l’Université, est très souvent laissé à la discrétion du doyen ou du président. Selon le droit en vigueur, le comité de sélection des «contractuels-LRU» doit être constitué d’enseignants-chercheurs «et de personnels assimilés». On voit bien toutefois les abus que ce faible encadrement peut provoquer. Les conditions d’impartialité, parfois même trop rigoureuses , imposées par la jurisprudence du Conseil d’État pour le recrutement des enseignants-chercheurs peuvent être facilement tenues en échec pour le recrutement d’un «simple» LRU. Il est donc facile à un doyen ou à un président, nécessairement bien placé pour solliciter ses collègues, de faciliter le recrutement de l’un de ses élèves non qualifiés, puis d’obtenir le renouvellement réitéré de son contrat LRU, avant de lui concocter un CDI sur mesure. Ce constat n’est pas anodin tant les contrats au sein de l’université sont souvent le fruit de négociations et de compromis. La pratique montre d’ailleurs que certains doyens ou présidents sont prêts à sacrifier des postes de maîtres de conférences pour obtenir un CDI, sur lequel ils auront davantage prise. Pareille manœuvre est non seulement scandaleuse en elle-même, mais aussi dangereuse pour l’avenir de l’université. Elle est de surcroît profondément injuste pour les docteurs qualifiés par le CNU qui, bien qu’objectivement meilleurs que la personne retenue sur le LRU cédéisé, se retrouvent sans poste, faute d’avoir été en mesure de candidater sur un poste de maître de conférences que l’on a renoncé à ouvrir au profit du CDI. Enfin, l’attrait des universités pour les contrats LRU n’est pas sans conséquence sur les postes d’ATER. Les universités sont en effet tentées de privilégier les contrats LRU sur les postes d’ATER qui leur coûtent parfois plus cher pour moins d’heures. À terme, ce sont donc les doctorants qui risquent également de pâtir de cette vogue des contrats LRU.
Bien évidemment, tous les recrutements de «contractuels-LRU» ne sont pas arbitraires et critiquables. Dans beaucoup de cas, ces contrats sont précieux pour un certain nombre de docteurs qui, bien que qualifiés par le CNU, se trouvent sans emploi après leur thèse, faute d’avoir été recrutés comme titulaires. Aujourd’hui, l’obtention d’un poste de maître de conférences peut hélas, selon les disciplines, prendre des années. Dans les disciplines où existe une agrégation du supérieur (droit, science politique, gestion), un bon contrat-LRU, sans un nombre excessif d’heures, peut permettre à ceux qui n’ont pas encore la possibilité de s’y présenter oui qui ont échoué, de conserver des chances d’être recruté, sur un poste de titulaire, à l’Université. C’est une précieuse ressource dans certains cas.
Mais on doit hélas constater qu’en France, l’autonomie des Universités ouvre la porte à l’arbitraire. André Legrand, un des meilleurs connaisseurs du droit universitaire français qualifiait le système politico-juridique instituée par la loi LRU d’une formule bien trouvée. Il parlait de la «dictature quadriennale d’un groupe». La dictature en question est en général celle du Président de l’Université ou du Doyen, dans des universités où l’anomie domine et où il n’y a aucun contre-pouvoir. Les instances dirigeantes peuvent désormais jouer sur l’avancement local, sur les moyens financiers attribués aux centres de recherche ou encore sur les heures de cours, si sensibles pour les non-résidents. Elles ont aujourd’hui trop d’armes en leur faveur pour ne pas imposer le silence dans leurs rangs.
En cas de rébellion, un Président ou un Doyen peut de surcroît sortir les «armes lourdes» de la sanction. Le développement de ces pratiques critiquables de «cédéisation» a ainsi conduit un certain nombre d’universitaires à s’y opposer et à manifester, d’une manière plus ou moins frontale, leur désaccord. Dans plusieurs cas, cela s’est traduit par des représailles à leur égard, qu’il convient de dénoncer avec fermeté. Ainsi, un professeur d’université a été, de manière unilatérale et irrégulière, récemment évincé par son Doyen de la direction de l’IEJ qu’il dirigeait, pour avoir contesté la mise en place d’une procédure de «cédéisation» au sein de son université. Toute mesure prise à l’encontre d’un universitaire qui aurait osé s’opposer à ce type de recrutement constitue pourtant une atteinte évidente à la liberté académique.
Il serait pourtant largement temps de réfléchir au moyen d’arrêter ce processus de recrutement par le bas si l’on veut que l’université conserve un niveau d’enseignement correct. Or, avec les contrats LRU cédéisés, on recrute de purs «enseignants», mal payés, taillables et corvéables à merci, sans jamais se demander si de tels choix ne vont pas affaiblir le niveau de formation des étudiants. On peut pourtant supposer que le recrutement d’un maître de conférences qualifié par le CNU est à même d’offrir aux étudiants une meilleure qualité d’enseignement, véritablement universitaire car fondé sur la recherche. Cela suppose évidemment de rompre avec une approche purement quantitative ou managériale et de remettre le mérite et le niveau du service rendu au cœur du débat. On s’écarte hélas tous les jours davantage de ces sains principes, l’université fonctionnant dorénavant plus à l’aide de tableaux Excel qu’elle ne recherche l’excellence.
La réduction des budgets n’en est pas moins une réalité, de sorte que l’alternative est la suivante: soit continuer à avoir une offre de formation équivalente, avec une baisse mécanique du niveau des enseignants, soit réduire l’offre de formation, afin d’avoir moins d’heures de cours à proposer aux étudiants. Certains dirigeants d’université semblent avoir opté, sans aucun débat et dans leur coin, en faveur de la première branche de l’alternative, alors que seule la seconde est acceptable dès lors que l’on défend une conception un peu exigeante de l’Université. Encore faudrait-il au moins poser le débat et discuter. Ce n’est pas au ministère d’y répondre, mais aux universitaires de le faire, et donc d’utiliser l’autonomie à leur profit, en refusant les «diktats» de leurs dirigeants, qui, une fois élus, oublient trop souvent qu’ils sont aussi des universitaires.
Le Bureau de QSF