L’opinion a pris conscience cette année du fait que le paysage universitaire parisien allait être profondément modifié : le nombre d’universités situées intra muros va être réduit d’une manière drastique. Il s’agit d’une modification radicale, qui met fin à la situation produite par l’éclatement de l’université de Paris en 1969.
Les inconvénients du découpage de l’ancienne Sorbonne sont devenus de plus en plus visibles en quelques décennies : le clivage politique a progressivement perdu son sens et la séparation des disciplines a empêché d’avoir à Paris de véritables universités pluridisciplinaires, comme on en trouve dans tous les pays. La particularité du système universitaire français, centré sur les facultés plus que sur les universités, a aussi contribué à produire, après l’éclatement de 1969, un système très fragmenté, où la plupart des universités parisiennes comprennent un nombre limité, parfois exigu, de disciplines. Cette fragmentation est nocive, car elle empêche les échanges interdisciplinaires, nécessaires à la recherche de haut niveau. Une seule université de Paris intra muros, Paris 7 ou Diderot, née en 1971, réunit un nombre large de disciplines, à la fois de sciences expérimentales et de sciences humaines et sociales.
Quand a surgi dans l’agenda politique l’idée d’un regroupement des universités en province (Strasbourg, Grenoble, Bordeaux, Toulouse, etc.), permettant d’avoir non pas des facultés, mais de véritables universités rassemblant l’universalité des savoirs, l’exigence d’une reconfiguration à Paris, haut lieu de concentration universitaire, est devenue plus impérieuse encore. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la décision a été prise d’abord de promulguer une loi sur l’autonomie des universités, en 2007, ensuite de contraindre les universités à se regrouper. Cela a été imposé à Paris comme dans les grandes villes, et on l’envisage désormais pour des régions entières, ce qui posera des problèmes encore différents. Trois instruments ont été employés pour obtenir ces regroupements. Le premier était à la disposition du nouveau gouvernement : les PRES, inventés en 2006 par le gouvernement Villepin. Un peu oubliés pendant la phase de mise en place de la LRU, ils ont été relancés, réinterprétés et réutilisés comme des institutions assurant la transition vers de nouvelles grandes universités, par une fusion des universités actuelles. Les deux autres moyens, le plan Campus et les Idex, ces derniers surtout, ont été utilisés par les ministres Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez comme des leviers, ou des instruments de chantage, pour contraindre les universités, proclamées autonomes, à se plier au bon vouloir du gouvernement. En 2011, les présidents de Paris 2, 3, 4, 5, 6, 7, ont tous été contraints de s’engager à regrouper leurs six universités en deux seules, sous la menace pour celles-ci d’être privés de l’argent des Idex.
Cette opération a été menée avec une seule finalité, clairement affichée : créer des universités qui, par leur taille et grâce à un simple fait arithmétique, se verraient mieux placées dans le classement de Shanghai, qui se fonde sur le comptage des publications scientifiques. Stratagème puéril, ne méritant certainement pas l’appellatif de « politique de l’excellence » dont le targuent ses promoteurs. La somme des publications n’améliore pas leur qualité.
Or, cette politique, dictée par le seul souci du classement international, est décevante parce qu’elle ne prend aucunement en compte les disciplines et le besoin de les regrouper rationnellement. Elle s’est posé encore moins la question de la taille supportable d’une institution, dans un contexte de contraintes matérielles précises. Elle aboutirait à créer deux immenses universités, l’une de 90.000 et l’autre de 120.000 étudiants (PRES Sorbonne Universités et Sorbonne Paris Cité), sans que le gouvernement ait pris la peine d’élaborer le moindre plan immobilier. La question n’est pas accessoire, puisque ces nouvelles universités seront dispersées sur plusieurs dizaines de sites, et poseront de grands problèmes pratiques sans aucune perspective d’amélioration.
Quatre exigences restent donc insatisfaites : taille gérable, plan immobilier, harmonisation des ensembles disciplinaires, organismes de gouvernance.
Pour donner quelques exemples : les universités d’élite américaines, qui décrochent les meilleures places dans le classement de Shanghai, sont toutes de petite taille (Yale 6000 étudiants, Princeton 6000, Stanford 15000, Chicago 15000, Harvard 20000), les grandes universités anglaises, premières en Europe, restent dans des limites comparables (Cambridge 16000, Oxford 18000). Certes, les universités d’État américaines sont plus grandes, mais Berkeley et UCLA, par exemple, ne dépassent pas les 40000 étudiants. Comment faire fonctionner des universités trois ou quatre fois plus grandes que les plus grandes américaines avec un taux d’encadrement particulièrement bas et un personnel administratif très insuffisant (un administratif tous les 36 étudiants, alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 1 sur 7) ?
Une université, c’est aussi un lieu identifiable. On ne peut en créer sans se poser d’aucune manière la question de leur localisation et de leur visibilité physique. Les deux grands ensembles envisagés seront distribués chacun sur plusieurs dizaines de sites. Le seul ensemble pensé en termes d’espace, le campus de Saclay, n’est pas un PRES. Quant à Paris centre, on aurait peut-être pu créer un grand campus à Tolbiac, si on avait choisi de construire, et non pas seulement de réhabiliter les deux bâtiments de la halle aux grains et des grands moulins, particulièrement inadaptés à être transformés en campus. Mais l’occasion est ratée, et un grand projet fait défaut, alors qu’un bâtiment comme celui de Censier réclame un désamiantage dont le coût, selon le devis officiel dépasse les 70 millions d’euros. Les besoins en immobilier sont immenses et posent la plus grave difficulté pour l’avenir : il faut au moins commencer à aborder ce problème dans une vision d’ensemble.
Quant aux disciplines, la médecine de Paris 5 devra fusionner avec la médecine de Paris 7, ce qui donnera une première année d’environ 6000 étudiants, qui suivraient tous la même formation, alors que les philosophes de Paris 1 n’auront toujours pas de collègues littéraires avec lesquels dialoguer. Au lieu d’être corrigés, certains déséquilibres seront accentués. Pourquoi la seule université pluridisciplinaire du centre de la capitale, Paris 7, doit-elle fusionner dans un si grand ensemble, alors que Paris I, limitée aux certaines sciences humaines et sociales, reste isolée ? Quel est le sens de ce regroupement entre Paris-Dauphine et des grandes écoles, dans un PRES (Paris Sciences et Lettres) où aucune autre université n’apparaît ?
Dans la situation juridique actuelle, si ces PRES surdimensionnés deviennent des universités, ils seront gérés par la loi LRU. Des universités de 100000 étudiants auront ainsi un conseil d’administration de la même taille que l’université de Nîmes, créée par le ministre Gilles de Robien en 2007, et qui compte 3000 étudiants ? Et les 6000 professeurs et maîtres de conférences du PRES Sorbonne Paris Cités seront représentés par 14 collègues seulement ? Des disciplines entières seront exclues de cette représentation. Or, une réforme de la loi LRU, que l’ensemble des universitaires appelle de ses vœux, devrait résoudre ce problème, parmi beaucoup d’autres. Faut-il introduire, pour les plus grandes universités, des facultés ? Qu’on l’appelle de ce nom ou d’un autre, un organisme intermédiaire entre l’université et les UFR (aujourd’hui de taille très variable, mais souvent réduite), semble nécessaire, surtout dans le cas d’universités de grande taille. Il n’existe que deux niveaux aujourd’hui, UFR et université : un troisième serait le bienvenu pour que le fonctionnement démocratique de l’institution soit amélioré.
Face à ce panorama confus et déséquilibré, devant cet ensemble de décisions hâtives et mal préparées, peut-on croire qu’il n’est pas trop tard pour revenir à la raison ? Que le gouvernement de François Hollande pourrait choisir un meilleur chemin ? Le remembrement des universités parisiennes est nécessaire et peut offrir une occasion de réorganisation harmonieuse du travail de recherche et d’enseignement. Mais il doit être mieux pensé, mieux planifié, mieux financé. Il appartient au Parlement de se saisir de cette affaire, alors qu’une telle politique a été concoctée dans les coulisses du ministère sans aucun débat public. Mais à la discussion doivent participer d’abord tous les universitaires, non seulement les présidents d’université, qui ont été jusqu’ici les interlocuteurs exclusifs des ministres.