“Madame, Monsieur les Ministres, donnez-vous du temps pour réussir les ESPE”
par Bernard JULIA, élu au CNESER
Comme lors de la création des IUFM, la précipitation risque fort de conduire à de mauvais choix. S’il est urgent de gérer les concours de recrutement (agrégations comprises) et de restaurer la confiance des candidats en leur futur employeur, il faudra énergie et persévérance pour aboutir à un consensus suffisant entre les différents acteurs de la formation des maîtres. Il faudrait également obtenir l’adhésion d’une majorité parlementaire allant bien au-delà des clivages politiques, comme pour toute réforme destinée à améliorer notre système de formation en profondeur et de façon durable.
La partie du projet de loi de refondation de l’Ecole qui implique l’enseignement supérieur autant que l’enseignement scolaire, en particulier ce qui concerne les ESPE, ne pourra être vraiment définie et évaluée qu’après la réforme de l’enseignement supérieur. Les ESPE seront créées par arrêté au sein d’un EPCSCP ou d’un EPCS (notions susceptibles de redéfinition imminente) et leur gouvernance s’inspirera de celle des Ecoles internes des universités actuelles (organisation très floue et très instable jusqu’à la loi de programmation prévue pour Juin).
Voici quelques points qui méritent peut-être une analyse plus approfondie:
1/ Pourquoi ne pas attendre un consensus sur les grands équilibres pédagogiques. Les maîtres-professeurs formateurs qui assureront la formation “professionnelle” et encadreront les stages, les spécialistes des disciplines qui enseigneront les connaissances et les évalueront et les enseignants de méthodes d’enseignement et d’éducation devront se répartir le travail dans des proportions variables suivant les concours? Ils devront interagir pour effectuer leurs recherches et pour que la formation de nos futurs professeurs soit efficace. Les futurs PLP (CPE, inspecteurs) devront aussi trouver toute leur place dans les ESPE. Le passage des IUFM aux ESPE devrait donc être étalé sur deux ans au moins et suivre le rythme de l’accréditation de projets de formation mûrement réfléchis.
2/ Comment voter cette loi sans avoir défini précisément le fonctionnement des ESPE avec leurs multiples tutelles: la tutelle biministérielle via le recteur d’académie d’une part et la tutelle universitaire (qu’on espère être une université polyvalente) de l’autre? Chaque ESPE devra concevoir son projet de formation avec l’ensemble des universités de l’académie et contracter avec elles sa mise en oeuvre. Le poids d’un Conseil scientifique et pédagogique ramassé et prestigieux ne devrait-il pas l’emporter sur celui d’un Conseil d’administration pléthorique même si ce dernier gardait comme il se doit la responsabilité juridique. Oserons-nous réclamer de plus que les ESPE n’abritent que des enseignants en détachement, en mise à disposition ou en CDD?
3/ Il y a tension entre Jacobins et Autonomistes, entre label national et efficacité régionale. Faire coïncider les programmes des masters MEEF avec ceux des concours de recrutement permet d’éviter qu’une trop grande proportion des diplômés de master n’échoue aux concours mais enlève à la procédure d’accréditation/habilitations une partie de son objet. Au-delà de leur fonction d’écluse les concours restent des thermomètres indispensables pour pouvoir comparer les candidats des ESPE, avec ou sans “emploi d’avenir professeur”, aux candidats venant de masters recherche. Pourquoi fixer en fin de M1 MEEF les concours de recrutement de tous les professeurs, de la maternelle au baccalauréat? Pourquoi traiter séparément les décisions sur l’avenir des agrégations, celles-ci méritent réflexion mais constituent l’un des étages importants d’une construction qui doit comprendre dorénavant la formation pédagogique initiale des futurs enseignants-chercheurs?
Enfin, les disciplines et les ordres d’enseignement ayant des besoins spécifiques et divergents, il faut prévoir un cadre législatif très souple et différencié sans oublier l’Europe et introduire une orientation plus sélective pour aboutir à des taux de réussite décents.