Le député M. Jean-Yves Le Déaut, dans son rapport intitulé « Refonder l’Université. Dynamiser la recherche », et Madame la ministre Geneviève Fioraso, dans ses dernières déclarations ( Le Monde, 14.01.2013) proposent « un rapprochement entre les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et les universités. On annonce que l’une des premières conséquences sera « l’inscription automatique à l’université des étudiants en CPGE ». Tout en restant dans les lycées chaque classe prépa sera rattachée à une université par une convention. Cela permettra aux enseignants de donner des cours dans les deux établissements. « Les proviseurs seront incités à proposer à leurs élèves des cours à l’université. Les élèves de CPGE seront ainsi immédiatement initiés à la recherche » (sic).
Le rapport du député Le Déaut remis au Premier ministre le 14 janvier 2013, propose la création d’EPCS « par convention entre les établissements et organismes fondateurs ». D’autres partenaires, en particulier des entreprises et des collectivités territoriales ainsi que des établissements ou organismes de recherche ou d’enseignement supérieur ou de recherche non fondateurs et des lycées comprenant des classes préparatoires aux grandes écoles, peuvent y être associés (p. 42).
Le même rapport « propose que le ministère de l’éducation nationale mette à disposition du premier cycle de l’enseignement supérieur 500 PRCE ou PRAG en plus par an pendant cinq ans, notamment des titulaires d’un doctorat». En outre, « pour remédier à la différence grade/fonction des PRAG du supérieur effectuant de la recherche », le rapport propose encore «la transformation de 300 postes de PRAG du supérieur en postes de maîtres de conférence (pour les PRAG titulaires d’un doctorat, inscrits sur la liste de qualification et publiants). Par symétrie une partie du service de cours de doctorants ou ATER ayant déjà enseigné dans le supérieur pourrait être effectuée dans les lycées pour y introduire des disciplines qui, jusqu’à aujourd’hui, étaient uniquement enseignées dans le supérieur. Des enseignants-chercheurs pourraient aussi être incités à faire des conférences à propos de l’enseignement supérieur et de la recherche dans les lycées et à servir de pont entre les équipes pédagogiques des deux mondes » (p.73) et il ajoute que « chaque lycée ayant au moins une formation supérieure (CPGE ou STS) soit rattaché par partenariat avec un établissement d’enseignement supérieur de son académie qui effectue de la recherche ». Il termine en proposant de « subordonner les équivalences d’années entre les cours suivis en CPGE et l’Université à une double inscription des étudiants dans les lycées et dans l’enseignement supérieur. »
On ne peut que se réjouir que l’enseignement supérieur universitaire et l’enseignement «secondaire supérieur» dispensé dans les lycées en CPGE se trouvent, par ces propositions, rapprochés. Comme QSF défend également le principe d’une sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur, il ne peut que se réjouir de voir inscrite, par ces propositions, l’idée d’une sélection à l’entrée du supérieur. En effet comment peut-on envisager le rapprochement entre l’enseignement supérieur universitaire et l’enseignement supérieur dispensé en CPGE sans harmoniser l’accès à ces deux filières ? L’accès aux prépas étant sélectif, la logique des actuelles propositions ministérielles conduit à envisager une sélection à l’entrée de l’université également.
Cependant les présentes propositions ne laissent pas de susciter certaines inquiétudes quant à leur mise en œuvre :
1) Dans quelles conditions les enseignements dispensés dans des lycées en partenariat avec l’enseignement supérieur seront-ils validés ? Et quelle sera leur valeur au regard des cursus concernés : dispense d’une année de cours, de tel ou tel cours, avec ou sans complément de connaissances, etc.?
2) Comment seront recrutés ou nommés dans l’enseignement supérieur ainsi institué par partenariat les enseignants amenés ainsi à faire leurs service à la fois dans des lycées et dans les universités ?
3/ La transformation purement administrative de centaines de postes de PRAG , fussent-ils occupés par des docteurs, en postes de maîtres de conférences, n’est elle pas une solution juridiquement douteuse et politiquement inacceptable dans la mesure où elle déroge au principe du concours pour accéder à de tels emplois et porte atteinte aux droits des nombreux autres docteurs, y compris qualifiés, en attente d’un poste ? On ne devient pas universitaire à l’ancienneté …
4) Comment seront décomptées les heures d’enseignements : par référence à la présence devant des étudiants ou des lycéens ou par rapport au corps d’appartenance ? Et alors comment sera assurée l’égalité de traitement et garanti le temps nécessaire à l’ATER pour mener à bien les travaux de recherche en vue de l’élaboration de sa thèse, notamment ?
5) Du point de vue financier, sur quel budget ces coûts seront – ils imputés : celui de l’université ou du lycée ?
6) Si le dispositif a pour objet de mieux orienter les lycéens vers des études universitaires, comment la convention d’une prépa avec une seule université pourra-t-elle garantir que toutes les disciplines susceptibles d’intéresser un lycéen seront représentées, et, d’une manière générale, peut–on raisonnablement penser que des universitaires en devenir sont les mieux à même de présenter l’essence de la discipline qui sera développée dans le cursus soutenu par l’université à laquelle ils appartiennent ?
7) En définitive, ne serait-il pas plus simple, moins coûteux pour les deniers publics et plus efficace d’améliorer le dispositif d’information et d’orientation. Que, pour commencer les lycéens des formations technologiques et professionnelles puissent accéder à une formation de même nature ; que les lycéens d’une formation générale puissent être effectivement informés sur la substance, les exigences de méthode et les débouchés de la discipline qui pourrait les intéresser et qu’il soit enfin possible de les dissuader de rejoindre un cursus incompatible avec les compétences acquises au lycée. Voilà qui correspondrait avec les principes justement rappelés en sa page 12 par le rapport Le Déaut .
Si ces mesures visent à instituer des formations supérieures dans les lycées, sur la base de l’enseignement de CPGE , en conférant cet enseignement comme capable de délivrer des diplômes nationaux, il y lieu de craindre, si les partenariats et le rôle des universités dans ces formations n’est pas précisé, que les établissements en question s’instituent dispensateurs de formations universitaires en n’ayant de l’université que le nom.
Cette crainte n’est pas purement chimérique si l’on considère la manière dont le Lycée Henri IV se trouve, au sein du PRES « PSL » [Paris Sciences et Lettres] actuel (alors qu’il n’est pas membre de PSL) décrit comme délivrant « une licence de formation » dont aucune des dispositions de partenariat avec les autres établissements universitaires ( seule Paris Dauphine est une université au sein de PSL) et aucune des conditions de délivrance des diplômes n’est explicitée :
http://www.parissciencesetlettres.org/default/EN/all/psl_henri4_fr/
On apprend que pour éviter les conflits d’intérêt, il ne faut pas que les professeurs de CPGE d’Henri IV préparent au concours d’entrée de l’ENS, ce qui semble indiquer que les enseignants de cette licence doivent être des professeurs de CPGE ne préparant pas à l’ENS Ulm. Les conditions de recrutement de ces enseignants de «licence» ne sont pas précisées. Faut-il rappeler que les professeurs de CPGE ne sont pas tenus d’avoir une thèse, et dépendent exclusivement de l’inspection générale et des proviseurs ? Il est à craindre que des petits pôles d’enseignement supérieur se constituent ainsi en toute indépendance des universités sur base sélective et avec un personnel « maison », alors que les universités n’y auraient pas droit.
Ce type de licence à la carte ne pourrait qu’entrer en conflit avec l’intention affichée par le rapport Le Déaut p. 12 en liminaire, selon laquelle « il est primordial de rappeler d’entrée de jeu les principales responsabilités qui incombent à l’État et les domaines qui doivent continuer d’être définis au plan national : financement national de l’enseignement supérieur et de la recherche, maintien d’un statut national pour ses personnels, maintien d’un cadre national pour les formations et les diplômes, garantie de la cohésion de l’offre de formation sur l’ensemble du territoire et de l’équilibre entre les différentes disciplines, programmation nationale des grandes priorités de la recherche.»
Après avoir autorisé les grandes écoles à délivrer des diplômes universitaires, sans aucune contrepartie au bénéfice des universités privées unilatéralement du monopole de collation des grades (réforme de la LMD), l’actuelle réforme ici examinée ne va-t-elle pas encore les affaiblir davantage en étendant cette faculté aux meilleurs lycées ? Pendant combien de temps les hommes politiques vont-ils encore contourner la difficulté de la seule solution rationnelle et la seule capable de remettre l’université à un niveau international : admettre en faveur de celles-ci le libre droit à accueillir leur public ?
Pascal Engel
Directeur d’études à l’EHESS
Merci pour leurs remarques et leur aide avec ce texte à Olivier Beaud, Claudio Galderisi, Alain Ghozi, Thierry Gontier et Philippe de Lara.