Après une année d’accalmie, le débat s’est rallumé à la Sorbonne Nouvelle, autour de l’hypothèse d’une fusion entre les universités qui ont adhéré au PRES Sorbonne Paris Cité. Une note du « Conseil de membres » a mis le feu aux poudres, en donnant pour acquis un projet de création d’une université unique qui remplacerait les quatre actuelles (Paris 3, 5, 7 et 13) alors même qu’elle annonce la transformation du PRES en Communauté d’établissements, statut juridique défini par la loi du 22 juillet 2013 (Article L718-7) et distinct de la Fusion d’établissements (Article L718-6). Le conseil d’administration de la Sorbonne Nouvelle, de son côté, à précisé le 27 septembre que « le modèle d’organisation » préconisé dans la note du « Conseil de membres » « constitue uniquement une proposition et ne saurait en aucun cas être considéré comme un engagement définitif. »
Sur ces bases, la discussion semble devoir reproduire celle qu’avait vécue la Sorbonne Nouvelle il y a deux ans, quand son CA l’avait engagée dans la voie d’une fusion rapide, sous la menace d’un manque à gagner dans les financements dits « d’excellence ». Une discussion qui opposait et oppose les novateurs fusionnistes aux conservateurs autonomistes, les uns prônant la grande université du futur, les autres attachés aux certitudes du présent. Les uns visionnaires et peut-être trop hardis, les autres conservateurs et peut-être trop pessimistes.
Nous pensons qu’un tel débat est bien au-dessous des exigences de l’instant et de l’avenir. Il ne s’agit pas seulement du destin d’une institution qui a quarante ans et à laquelle nous sommes attachés. Il s’agit de redessiner le paysage universitaire parisien pour les prochaines décennies. Il s’agit de réexaminer les choix qui ont amené, en 1969, au démembrement de la Sorbonne, et qui ont défini le cadre dans lequel les études universitaires se sont organisées depuis cette date, dotant Paris d’un système très fragmenté, où la plupart des universités comprennent un nombre limité, fort mince parfois, de disciplines. Cette fragmentation peut être à juste titre critiquée, parce qu’elle empêche les échanges interdisciplinaires, nécessaires à la recherche de haut niveau.
Or, l’idée d’un remembrement des établissements parisiens a fait son chemin dans les dernières années, parallèlement à celle d’une fusion des universités dans les quelques grandes villes de France qui en ont deux ou trois. Il ne faut pourtant pas confondre la situation de Strasbourg, de Bordeaux ou de Toulouse avec celle de la capitale.
Le cas de Paris est caractérisé par quelques données singulières :
- le retour à une université unique n’est pas envisageable comme en province, pour de simples raisons de taille ;
- de nombreuses disciplines sont présentes dans plusieurs universités, ce qui n’est pas le cas en province où, lorsque plusieurs universités se côtoient, la distinction entre établissements est clairement disciplinaire ;
- il existe une université, Paris 7 ou Diderot, née en 1971, qui réunit un nombre large de disciplines, à la fois de sciences expérimentales et de sciences humaines et sociales, et qui peut être considérée comme une université déjà « complète »;
- les carences et difficultés immobilières s’y font sentir d’une manière bien plus aiguë que dans aucune autre ville de France.
Il faut donc penser à un remembrement qui soit orienté par un critère de fond, celui du regroupement de spécialités diverses, mais complémentaires, pour aller dans le sens de la constitution de véritables universités multidisciplinaires, en évitant la fusion de départements de la même discipline, et en favorisant l’interaction des domaines d’étude ainsi regroupés, source de synergies positives aussi bien pour la recherche que pour l’enseignement.
La stratégie adoptée par les ministres de l’Enseignement supérieur depuis 2007 a consisté à mettre en place un système de financement de la recherche qui, privilégiant les très grands projets, incitait les universités à s’associer autour d’initiatives de recherche communes, puis utilisait ces associations comme des leviers pour déterminer les fusions. Nous nous réjouissons des nouveaux liens de coopération qui se sont ainsi noués avec d’autres universités. Mais nous pensons que cette méthode a créé une confusion entre les collaborations scientifiques et les politiques institutionnelles, faisant croire que toute synergie de recherche devait aboutir à une fusion des structures et des enseignements. Nous regrettons que le ministère actuel n’ait pas abandonné cette méthode, qui nous a conduits à une situation bien différente de celle qu’on aurait pu obtenir en réunissant des éléments complémentaires en des ensembles cohérents.
On constate que les PRES de Paris ont été, depuis 2006, formés et reformés sans tenir le moindre compte des disciplines. Quels critères ont présidé aux alliances grâce auxquelles nous avons constitué un géant de 120 000 étudiants et 6000 enseignants, comprenant trois facultés de médecine ? Un autre colosse (90 000 étudiants), nommé Sorbonne-Universités, s’est révélé aux pieds d’argile, au point que l’un des ses membres fondateurs, Paris 2, vient de le quitter. Quelles raisons expliquent l’isolement de Paris 1, dont les disciplines enseignées sont souvent complémentaires de celles de Paris 3, dans le domaine des sciences humaines et sociales ? Que deviendra Paris 2, transfuge de Sorbonne-Universités ? En considérant ces sept années d’alliances instables, il est difficile de se soustraire à l’impression d’un grand désordre et d’une certaine improvisation. Le caprice seul peut avoir dessiné un paysage si éclaté, si déséquilibré, si dépourvu de cohérence. On se demande comment un bachelier français ou un étudiant étranger pourront s’orienter dans une telle offre de formation.
La loi du 22 juillet 2013 apportant quelques modifications au cadre législatif où nous agissons, faut-il continuer sur le même chemin, en changeant simplement l’étiquette des PRES et en les appelant Communautés, ou bien pouvons-nous profiter de ce nouveau cadre pour rediscuter l’ensemble de la politique de remembrement des universités parisiennes ? Il est temps, à notre avis, de choisir cette deuxième option, et d’ouvrir un débat qui, à l’intérieur de Paris 3 comme dans toutes les universités de la capitale, porte sur les critères de redéfinition du paysage universitaire parisien.
Paris, 9 octobre 2013
Nathalie Dauvois, Michel Magnien, Paolo Tortonese
Professeurs au département LLFL