La loi relative à l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 a remplacé l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Cette substitution deviendra effective lors de la publication d’un prochain décret en Conseil d’Etat.
Par anticipation, le Conseil de l’AERES a adopté, le 13 février 2014, deux mesures, dont une supprimant toute notation (A+, A, B ou C) des rapports d’expertise. Cette notation sera remplacée par une appréciation textuelle et synthétique pour chaque critère d’évaluation.
QSF s’oppose à cette mesure démagogique. Celle-ci fait suite à celle, adoptée il y deux ans, de la disparition de la note globale de l’équipe et de la multiplication des critères d’évaluation, tendant à minimiser la production scientifique au profit de critères tels « l’interaction sur l’environnement social, économique et culturel ». Elle s’inscrit aussi dans la continuité de la suppression récente des fiches individuelles des chercheurs, qui permettaient à l’évaluateur de se faire une idée précise du nombre de chercheurs publiants dans une équipe.
Ces décisions ont été prises, d’après le communiqué du Président de l’AERES, pour faire suite au rapport sur l’évaluation remis à la ministre par Denise Pumain et Frédéric Dardel. QSF, qui a été reçu par les auteurs de ce rapport, sans que ses positions sur la recherche individuelle trouvent le moindre écho dans le document final, espère que le prochain décret sur le HCERES portera une vision plus exigeante et plus courageuse de l’évaluation.
QSF rappelle que rien ne saurait être plus clair qu’une note : si celle-ci peut dans certains cas avoir valeur de sanction, elle permet aussi aux équipes d’être protégées contre l’arbitraire des présidences d’universités ou des décisions ministérielles, comme elle permet de faire émerger de nouvelles équipes. Un simple rapport rédigé peut en revanche toujours être interprété dans un sens ou dans un autre, et ce d’autant plus que les experts sont en général mesurés dans leur rédaction, et que les rapports comprennent des cases de «points forts», de «points faibles» et de «recommandations» qui doivent, quelle que soit la situation, être renseignées. En contribuant fortement à rendre l’expertise inoffensive, une simple rédaction sans notation laisse ainsi une grande latitude aux instances décisionnaires.
Qui plus est, ces mesures ont, comme les précédentes, un caractère rétroactif, puisque ces nouvelles dispositions touchent la vague E, actuellement en cours d’évaluation : ce n’est pas en début de contrat, mais à la fin de celui-ci (et, dans le cas présent, une fois le dossier rédigé et rendu) que les équipes apprennent comment et sur quels critères elles seront jugées.
Plus généralement, QSF déplore que l’Université française s’obstine actuellement à aller au rebours du mouvement international, pour s’abriter derrière une « exception française ». Alors que l’Italie, par exemple, vient d’adopter une procédure stricte et sélective de notation des équipes à partir de la qualité des publications des chercheurs, et impose pour la qualification des chercheurs à des postes universitaires un minimum quantitatif de publications (ouvrages en nom propres, articles dans des revues à comité de lecture, articles dans des revues répertoriées en première catégorie dans les classements internationaux), il est à craindre que ce mépris croissant de la qualité de la recherche contribue encore à marginaliser l’université française au sein de l’espace européen de la recherche.
QSF déplore également qu’en ces temps de disette financière, l’État continue à dépenser un argent considérable pour des évaluations alors que la dernière évolution consistant à supprimer les notes semble montrer qu’elles ne serviront pratiquement à rien. Le Père Ubu règne de plus en plus dans le monde des universités françaises.