Faisant suite aux projets d’arrêté parus au printemps dernier, qui avaient suscité de nombreuses critiques, les nouveaux documents de travail ont atténué quelques aspects parmi les plus problématiques des textes antérieurs, tant dans l’expression (malgré quelques scories, telles que le slogan de la « démarche qualité »), que sur un certain nombre de points décisifs quant à la conception même d’un doctorat.
Si langage de la « professionnalisation » est fortement présent, les projets admettent que le doctorant est en formation par la recherche, donc n’est pas encore un chercheur. Une certaine insistance est mise sur le travail personnel du doctorant, ce qui est fondamental pour certaines disciplines, notamment (mais pas seulement) dans les SHS. Enfin, il ne semble plus être question d’un doctorat professionnel spécifique, qui aurait pu être acquis sans rédaction d’une véritable thèse.
Mais quelques points restent profondément préoccupants, voire franchement négatifs.
1. La mise en place systématique et obligatoire – après avoir déjà été expérimentée çà et là – du « Comité de suivi individuel » (art. 13). Ce comité de suivi aurait à évaluer l’avancement de la thèse et pourrait faire des recommandations au directeur de thèse. Cette disposition revient à une mise sous tutelle du directeur de thèse, tenu à l’écart des travaux du comité et d’abord le cas échéant de sa désignation, et ce, alors que dans de nombreuses disciplines la relation personnelle entre le doctorant et son directeur reste la base de toute activité doctorale (y compris pour guider le doctorant dans les activités complémentaires à la thèse).
Il est tout à fait nécessaire que les cas de conflit ou de difficultés avérées entre le doctorant et son directeur puissent être traités par une instance formée au sein de l’ED. Mais le présent texte semble instituer la suspicion en règle. La marginalisation du directeur de thèse, dont il est porteur, est inacceptable et contre-productive – d’autant plus inacceptable que les membres du comité sont supposés être « sans lien avec la direction du travail du candidat ». Cette formule peu déchiffrable semble exiger que les membres de ce comité soient scientifiquement étrangers au sujet de la thèse, auquel cas la constitution de ces comités sera rendue très difficile ou vidée d’avance de sa signification.
Ajoutons que la mise en place de ce comité, déjà en soi nécessairement lourde, sera très généralement inapplicable dans le cas des cotutelles.
Ce point demande à être entièrement revu.
2. La durée des thèses est limitée, dérogations comprises, à cinq années. On approuve et partage évidemment le souci d’aboutir à une durée raisonnable pour chaque thèse. Cependant, cette disposition rigide semble ignorer non seulement les situations personnelles très variables des doctorants, mais la grande variété de définition, de format et de conditions d’élaboration du travail de thèse entre les divers secteurs disciplinaires. Elle risque dans certains cas d’aboutir à la conclusion hâtive de travaux qui auraient mérité d’être prolongés, et pourrait être un handicap pour certains nouveaux docteurs. Par ailleurs, il faudrait clarifier la situation des doctorants contractuels : doivent-ils obligatoirement faire leur thèse en trois ans ? leur contrat pourrait-il être prolongé ?
3. L’insistance mise sur l’examen des conditions matérielles de réalisation de la thèse préalablement à l’inscription peut faire craindre une dérive vers la restriction des inscriptions aux seules thèses financées, avec une exception pour ceux qui ont un (autre) métier stable. Non seulement cela exclurait une bonne partie des thèses dans certaines disciplines, mais cela introduit des critères non pertinents.
4. L’accumulation de conditions mises à l’inscription se matérialise dans une « convention de formation », qui est déclinée dans l’article 12 en toute une liste d’éléments dont plusieurs sont très discutables – soit irréalistes pour le début d’une véritable recherche (calendrier précis, programme de valorisation avant même toute réalisation…), soit schématiques (temps complet ou temps partiel ?), soit extérieurs à la qualité scientifique du projet (conditions matérielles), d’autres enfin relevant de la responsabilité du directeur (suivi des recherches).
5. Au diapason de la problématique de l’employabilité, l’idée d’un « portfolio du doctorant » (art. 15), sur lequel seront supposés notés tous ses acquis, n’a malheureusement aucun sens en tant qu’elle se distinguerait d’un CV de forme classique.
6. Concernant la venue en soutenance, c’est de manière malencontreuse que l’article 17 renonce au principe de deux rapporteurs extérieurs à l’établissement, et au principe d’un délai minimal de trois semaines à un mois entre le dépôt des rapports préliminaires et la soutenance. On s’étonne de l’affaiblissement des exigences sur ce point.
En revanche, la défiance envers les directeurs de thèse s’exprime à nouveau à l’article 18, qui leur interdit de prendre part à la décision finale.
Cette disposition est d’autant plus inutilement vexatoire que l’article 19 élimine toute référence à des mentions, alors que les délibérations des jurys portent quasi exclusivement sur la mention à décerner.
Cette même disposition est également impossible à respecter dans le cas des cotutelles, à moins qu’on ne pose en principe que le co-directeur étranger doit lui aussi se soumettre à la règle française.
Il nous semble que cette disposition (article 18, dernier alinéa, lignes 1-2) devrait être supprimée.
Conclusions
La plupart des dispositions contenues dans ce projet sont de nature à alourdir et à bureaucratiser considérablement le fonctionnement des Écoles doctorales, qui sont de fait, depuis une dizaine d’années, le cadre de réalisation des doctorats. Au lieu de vérifier, souvent a posteriori, la validité d’un certain nombre d’opérations, les ED sont ainsi appelées à mettre en œuvre des formes de contrôle tatillonnes, à susciter en permanence des structures plus ou moins inutiles, et à cumuler des fonctions qui seraient mieux remplies par les directeurs de thèse et les équipes de recherche.
Cet alourdissement bureaucratique ne pourra que multiplier les dysfonctionnements, au détriment de la qualité des recherches doctorales.
D’une manière générale, la philosophie du contrôle et de la défiance, qui est pour une large part celle de ce projet, est de nature à exacerber les tensions collégiales plutôt qu’à les désamorcer.